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Taxes douanières américaines: Les implications économiques pour le Bénin

Economie
Gildéric Adjovi Gildéric Adjovi

Alors que le président Donald Trump a décidé de suspendre pour trois mois l’application de nouveaux droits de douane sur les exportations en provenance de plusieurs pays dont le Bénin, les inquiétudes demeurent. En toile de fond, la remise en cause progressive de l’Agoa, cette loi américaine qui offrait un accès préférentiel au marché américain, pourrait fragiliser les ambitions commerciales et industrielles. Dans cet entretien, l’économiste Epiphane Gilderic Adjovi analyse les implications économiques de ce virage protectionniste et propose des pistes de résilience pour l’économie béninoise.

Par   Babylas ATINKPAHOUN, le 11 avr. 2025 à 07h27 Durée 3 min.
#Taxes douanières américaines #Donald Trump

La Nation : Quels sont les impacts immédiats sur la balance commerciale du Bénin de la décision du président américain d’appliquer 10 % de taxes douanières aux exportations vers les États-Unis ?

Gildéric Adjovi : Le regain de protectionnisme observé de la part des Etats-Unis depuis le retour du président Donald Trump au pouvoir constitue un évènement économique majeur qui mérite de faire l’objet d’une analyse approfondie. La décision, qui fait l’objet de cet entretien, peut être considérée comme une remise en cause de la préférence tarifaire accordée par les Etats-Unis à certains pays dont le Bénin, à travers l’Agoa. Bien que la part des Etats-Unis dans nos exportations soit encore suffisamment faible (un peu moins de 2 % entre 2021 et 2023), elle connaît une tendance à la hausse très marquée.

L’abandon de l’Agoa et l’instauration d’un droit de douane de 10 % vont inévitablement conduire à une concurrence accrue pour les produits que nous exportons vers ce pays. Cela peut contribuer à une réduction de nos exportations vers les Etats-Unis. La conséquence doit être une aggravation du déficit de la balance commerciale du Bénin qui est structurellement déficitaire. 

Cette mesure pourrait-elle avoir des impacts sur les grands équilibres macroéconomiques du pays ?

Malgré la faiblesse relative de la part des ventes de produits béninois sur le marché américain, cette mesure pourrait avoir des répercussions notables sur plusieurs indicateurs macroéconomiques. On peut notamment s’attendre à une contraction des investissements dans les secteurs orientés vers l’exportation vers les États-Unis, à une baisse des revenus des producteurs concernés, ainsi qu’à une diminution du volume de marchandises en transit par le Bénin à destination du marché américain. Cette dernière évolution pourrait également impacter négativement les activités portuaires du pays.

Le textile, issu de la Zone industrielle de Glo-Djigbé (Gdiz), qui fait aujourd’hui la fierté du Bénin, n’est-il pas en danger avec cette décision ?

Il est trop tôt pour avoir une estimation assez précise de l’impact sur les activités des usines textiles installées à la Gdiz.

Cependant, la conquête du marché américain fait partie des objectifs que les investisseurs intervenant dans cette zone industrielle se sont fixés. Dans ces conditions, il existe un risque de ralentissement des investissements étrangers. Mais, la mise en place de mesures adéquates de facilitation de commerce peut améliorer la compétitivité des produits et donc attirer les investisseurs. 

De mon point de vue, il ne faut pas dramatiser la situation. Comme il a été précisé plus haut, la part des Etats-Unis dans les exportations du Bénin n’est pas trop importante.

Par ailleurs, notre capacité à réagir peut éviter à notre économie de subir un ralentissement important de son rythme de croissance.

Quelles stratégies le Bénin pourrait-il envisager pour amortir l’impact de cette hausse des droits de douane ?

La réponse à apporter à cette situation ne doit pas se limiter à la recherche d’un réajustement à court terme.

En effet, réussir à obtenir de nouvelles préférences unilatérales suite à une renégociation bilatérale exposera toujours le Bénin à l’éventualité d’une remise en cause brutale dans le futur. L’une des premières réponses à apporter doit être la poursuite de la politique de diversification de nos produits à l’exportation et des marchés. La suppression de toutes les pratiques et mesures qui sont des obstacles à la compétitivité. Pour ne pas continuer à subir des chocs de cette nature, il serait plus réaliste de mettre en place des stratégies de diversification des marchés à l’exportation. Une telle option doit rendre le pays plus résilient face aux chocs de politique commerciale de ses partenaires.

L’imposition de ces droits de douane ne signe-t-elle pas, de fait, la fin de l’Agoa, même si l’accord est encore officiellement en vigueur jusqu’en septembre 2025 ?

La question reste entière puisque les Etats-Unis ont pris, depuis le retour du président Trump, des mesures qui peuvent faire penser que ce pays n’est plus dans une logique d’un traitement spécial différencié pour les pays en développement. Je veux parler de la suspension des programmes gérés par l’Usaid. A mon avis, sur le sort qui sera réservé à l’Agoa jusqu’en septembre 2025, des éclaircissements doivent être donnés par la partie américaine.

Mais, ce qui est le plus inquiétant, c’est la suite qui sera donnée à cet instrument après septembre 2025. C’est pourquoi, je fais ici la proposition aux autorités de considérer que l’Agoa ne sera plus renouvelé et de commencer à prendre les mesures pour ne pas être exclu du marché américain du fait de la non compétitivité de nos produits.   

Est-ce que cette situation peut être un levier pour accélérer une stratégie industrielle plus endogène et résiliente, moins dépendante des accords préférentiels unilatéraux comme l’Agoa ?

Il est évident que des chocs de cette nature créent les conditions d’un réajustement de nos stratégies économiques. Si pour nos pays, les accords préférentiels peuvent constituer des tremplins pour amorcer le développement, il faut éviter de construire toute sa stratégie sur lesdits accords. Il me semble qu’une bonne partie des investisseurs présents au niveau de la Gdiz ont en ligne de mire le marché américain avec en arrière-plan l’Agoa. Il est temps maintenant de mettre en place des stratégies d’amélioration de la compétitivité de nos produits à l’exportation, car les préférences unilatérales peuvent à tout moment être remises en cause. Il faut également s’inscrire dans la logique de diversification de la destination de nos exportations et de s’appuyer sur les autres mécanismes qui existent. Je veux parler de la Zlecaf qui est en train d’être implémentée sur le continent et qui, selon moi, doit nous permettre d’avoir un meilleur accès au marché africain.

Même si pour donner une réponse à cette décision américaine, l’approche bilatérale peut être recherchée, il faut quand même retenir qu’en principe, l’appartenance du Bénin à des organisations régionales comme l’Uemoa, la Cedeao et même l’Ua nous impose d’avoir une démarche concertée en matière de politique commerciale. L’approche régionale accroît également notre pouvoir de négociation qui, même à cette dimension, est toujours très faible.