La Nation Bénin...
La
décision du président américain, Donald Trump, d’imposer des taxes douanières
sur certains produits africains importés aux États-Unis, bien que suspendue
pour trois mois, hypothèque l’avenir de l’Agoa. Ce contexte d’incertitude doit
conduire les pays africains, dont le Bénin, à repenser leur stratégie d’accès
au marché américain et à explorer des alternatives pour préserver leur
compétitivité à l’export.
Entrée en vigueur en 2000 sous la présidence de Bill Clinton, l’African growth and opportunity act (Agoa) a longtemps constitué une passerelle économique entre les États-Unis et l’Afrique subsaharienne. Grâce à ce dispositif, plus de 6 500 produits africains peuvent être exportés vers les États-Unis sans droits de douane. Mais cette dynamique pourrait changer. Le président américain Donald Trump a annoncé l’imposition de nouvelles taxes douanières sur une partie des produits africains entrant sur le marché américain.
«
Bien que cette décision ait été suspendue pour trois mois, le signal envoyé est
clair : les États-Unis veulent revoir les règles du jeu commercial », avertit
Florent Kpatindé, consultant formateur en commerce international. Selon lui,
cette mise en pause de trois mois est une mesure dilatoire, probablement
politique, qui vise à laisser le temps aux partenaires africains de s’adapter
ou de réagir, mais aussi à jauger les réactions internes aux États-Unis,
notamment celles des industriels et des consommateurs. Si cette mesure venait à
être confirmée, les conséquences seraient nombreuses. « Du côté américain, ce
sont d’abord les importateurs et les consommateurs qui verront leurs coûts
grimper. Certains produits africains, comme le beurre de karité ou les textiles,
deviendront plus chers dans les rayons américains », explique Florent Kpatindé.
Cela pourrait réduire la demande pour ces produits, avec un effet domino sur
les volumes importés.
Mais
c’est surtout pour l’Afrique que l’impact serait plus rude. «Une réduction des
exportations induirait une baisse de la production locale, des pertes
d’emplois, et par ricochet, des effets sur les recettes fiscales », fait-il
savoir. Le Bénin, par exemple, exporte des produits comme l’anacarde, le
karité, l’ananas et le textile vers les États-Unis grâce à l’Agoa. Si ces
produits perdent leur avantage tarifaire, ils deviendront moins compétitifs
face aux concurrents asiatiques ou sud-américains.
Fin déguisée
Officiellement,
l’Agoa prend fin en septembre 2025. Mais cette nouvelle pression tarifaire
pourrait précipiter une rupture. « On peut parler d’un affaiblissement graduel,
voire d’une fin déguisée», affirme l’expert. Des pays comme le Ghana ont déjà
entamé des pourparlers bilatéraux pour maintenir des avantages douaniers malgré
le contexte tendu. « La suspension actuelle ne garantit pas que la mesure sera
annulée. Au contraire, elle prépare le terrain à une refonte de l’accord,
peut-être en défaveur des pays africains », insiste-t-il.
Face
à cette incertitude, Florent Kpatindé préconise une réponse continentale à
travers la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf). « L’Afrique
doit cesser de subir les humeurs des grandes puissances. Il est temps de bâtir
un marché intérieur solide et interconnecté », recommande-t-il. Pour ce faire,
il encourage le développement de chaînes de valeur régionales (Cvr), capables
d’intégrer plusieurs étapes de transformation sur le continent. « Le coton
burkinabè, par exemple, pourrait être filé au Bénin, tissé au Ghana et cousu en
Côte d’Ivoire. Cette intégration régionale rend les produits africains plus
compétitifs, tout en générant des emplois dans plusieurs pays », propose-t-il.
Ces chaînes de valeur régionales permettraient également aux Pme africaines
d’accéder à des technologies modernes, à des marchés plus vastes et à des
financements adaptés, ce qui renforcerait leur résilience face aux chocs
extérieurs.
Pour
Forent Kpatindé, cette crise pourrait devenir une opportunité pour le Bénin. «
C’est le moment de miser sur la qualité, la traçabilité et la transformation
locale dans les filières agricoles exportatrices », recommande-t-il. Le pays a
déjà engagé des efforts dans le textile, notamment à travers la Zone
industrielle de Glo-Djigbé (Gdiz), qui accueille des unités de transformation
de coton et de confection. Mais il trouve que cela ne suffira pas et qu’il
faille investir dans la formation, le packaging, le branding "Made in
Benin" et surtout, la normalisation des produits pour les adapter aux
standards internationaux.
Enfin, pour espérer renégocier un accord plus équilibré avec les États-Unis, l’Afrique devra parler d’une seule voix. « Une approche individuelle serait suicidaire. C’est ensemble que les pays africains peuvent peser dans les négociations. Sinon, ils seront traités comme des partenaires faibles, chacun dans son couloir», estime l’expert en commerce international. Cette unité sera essentielle face à un président américain qui affiche une volonté claire de défendre à tout prix les intérêts économiques des États-Unis, quitte à bouleverser des accords de longue date.