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Taxes douanières américaines: Quel avenir pour l’Agoa ?

Economie
Donald Trump Donald Trump

La décision du président américain, Donald Trump, d’imposer des taxes douanières sur certains produits africains importés aux États-Unis, bien que suspendue pour trois mois, hypothèque l’avenir de l’Agoa. Ce contexte d’incertitude doit conduire les pays africains, dont le Bénin, à repenser leur stratégie d’accès au marché américain et à explorer des alternatives pour préserver leur compétitivité à l’export.

Par   Babylas ATINKPAHOUN, le 11 avr. 2025 à 07h20 Durée 3 min.
#Taxes douanières américaines

Entrée en vigueur en 2000 sous la présidence de Bill Clinton, l’African growth and opportunity act (Agoa) a longtemps constitué une passerelle économique entre les États-Unis et l’Afrique subsaharienne. Grâce à ce dispositif, plus de 6 500 produits africains peuvent être exportés vers les États-Unis sans droits de douane. Mais cette dynamique pourrait changer. Le président américain Donald Trump a annoncé l’imposition de nouvelles taxes douanières sur une partie des produits africains entrant sur le marché américain.

« Bien que cette décision ait été suspendue pour trois mois, le signal envoyé est clair : les États-Unis veulent revoir les règles du jeu commercial », avertit Florent Kpatindé, consultant formateur en commerce international. Selon lui, cette mise en pause de trois mois est une mesure dilatoire, probablement politique, qui vise à laisser le temps aux partenaires africains de s’adapter ou de réagir, mais aussi à jauger les réactions internes aux États-Unis, notamment celles des industriels et des consommateurs. Si cette mesure venait à être confirmée, les conséquences seraient nombreuses. « Du côté américain, ce sont d’abord les importateurs et les consommateurs qui verront leurs coûts grimper. Certains produits africains, comme le beurre de karité ou les textiles, deviendront plus chers dans les rayons américains », explique Florent Kpatindé. Cela pourrait réduire la demande pour ces produits, avec un effet domino sur les volumes importés.

Mais c’est surtout pour l’Afrique que l’impact serait plus rude. «Une réduction des exportations induirait une baisse de la production locale, des pertes d’emplois, et par ricochet, des effets sur les recettes fiscales », fait-il savoir. Le Bénin, par exemple, exporte des produits comme l’anacarde, le karité, l’ananas et le textile vers les États-Unis grâce à l’Agoa. Si ces produits perdent leur avantage tarifaire, ils deviendront moins compétitifs face aux concurrents asiatiques ou sud-américains.

Fin déguisée 

Officiellement, l’Agoa prend fin en septembre 2025. Mais cette nouvelle pression tarifaire pourrait précipiter une rupture. « On peut parler d’un affaiblissement graduel, voire d’une fin déguisée», affirme l’expert. Des pays comme le Ghana ont déjà entamé des pourparlers bilatéraux pour maintenir des avantages douaniers malgré le contexte tendu. « La suspension actuelle ne garantit pas que la mesure sera annulée. Au contraire, elle prépare le terrain à une refonte de l’accord, peut-être en défaveur des pays africains », insiste-t-il.

Face à cette incertitude, Florent Kpatindé préconise une réponse continentale à travers la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf). « L’Afrique doit cesser de subir les humeurs des grandes puissances. Il est temps de bâtir un marché intérieur solide et interconnecté », recommande-t-il. Pour ce faire, il encourage le développement de chaînes de valeur régionales (Cvr), capables d’intégrer plusieurs étapes de transformation sur le continent. « Le coton burkinabè, par exemple, pourrait être filé au Bénin, tissé au Ghana et cousu en Côte d’Ivoire. Cette intégration régionale rend les produits africains plus compétitifs, tout en générant des emplois dans plusieurs pays », propose-t-il. Ces chaînes de valeur régionales permettraient également aux Pme africaines d’accéder à des technologies modernes, à des marchés plus vastes et à des financements adaptés, ce qui renforcerait leur résilience face aux chocs extérieurs.

Pour Forent Kpatindé, cette crise pourrait devenir une opportunité pour le Bénin. « C’est le moment de miser sur la qualité, la traçabilité et la transformation locale dans les filières agricoles exportatrices », recommande-t-il. Le pays a déjà engagé des efforts dans le textile, notamment à travers la Zone industrielle de Glo-Djigbé (Gdiz), qui accueille des unités de transformation de coton et de confection. Mais il trouve que cela ne suffira pas et qu’il faille investir dans la formation, le packaging, le branding "Made in Benin" et surtout, la normalisation des produits pour les adapter aux standards internationaux.

Enfin, pour espérer renégocier un accord plus équilibré avec les États-Unis, l’Afrique devra parler d’une seule voix. « Une approche individuelle serait suicidaire. C’est ensemble que les pays africains peuvent peser dans les négociations. Sinon, ils seront traités comme des partenaires faibles, chacun dans son couloir», estime l’expert en commerce international. Cette unité sera essentielle face à un président américain qui affiche une volonté claire de défendre à tout prix les intérêts économiques des États-Unis, quitte à bouleverser des accords de longue date.