La Nation Bénin...
Les
crises économique, politique, sécuritaire et sanitaire dans le monde et plus
précisément dans la sous-région ouest-africaine ont sérieusement affecté le
pouvoir d’achat du Béninois. Les prix des produits de première nécessité ne
cessent de flamber dans le pays depuis un moment, poussant les populations à
crier leur ras-le-bol. Si certaines voix tendent à imputer la situation au
gouvernement, la raison est toute autre, selon le professeur d’Economie
agricole Albert Honlonkou. Dans cet entretien, il clarifie la situation et
propose des pistes de solutions pour juguler la crise.
Professeur,
quand parle-t-on de cherté de la vie ?
De façon générale en économie, on parle de cherté quand les prix alimentaires sont élevés, et que le panier de la ménagère voit sa valeur s’élever. Cela peut être dû à un déficit d’offre ou à une hausse de la demande ou les deux à la fois. Ces déplacements des courbes d’offre et de demande engendrent la hausse des prix des produits de première nécessité que l’on constate actuellement.
Quelles sont les raisons qui expliquent cette cherté des denrées alimentaires qui fait grincer les dents au Bénin actuellement ?
Les raisons sont aussi variées que diverses. Il est difficile de parler d’un déplacement de la courbe d’offre ou d’une réduction de la quantité offerte car selon les statistiques de la Direction des Statistiques agricoles du ministère de l’Agriculture, de l’Elevage et de la Pêche, tous les produits vivriers sauf le riz (-6 %) ont connu une hausse en 2023 comparativement à l’année 2022. La production maïsicole a même connu une hausse de 19 b%. La raison d’une baisse de la quantité offerte peut donc être éliminée en même temps que le probable abandon de la culture du maïs au profit d’une autre culture annuelle, le coton par exemple. En 2023, la production du coton a même stagné (moins de 1 % d’augmentation). Je trouve que la raison principale de la cherté de la vie due à la hausse des prix des vivriers dont le maïs est le déplacement de la courbe de demande vers le haut à cause d’une hausse de la demande extérieure. Les agriculteurs se sont tournés vers les pays limitrophes pour faire écouler leurs produits à des prix plus rémunérateurs. Ces pays augmentent leur demande et sont prêts à proposer des prix plus élevés. En effet, à cause de la crise sécuritaire dans ces pays et le déplacement subséquent des populations agricoles, ces pays font face à un déficit d’offre qu’ils essaient de combler en se tournant vers les pays frontaliers. Malgré la fermeture officielle de la frontière avec le Niger par exemple, le secteur informel continue de fonctionner à plein régime grâce à la porosité des frontières en Afrique de l’Ouest. Si ces raisons évoquées décrivent mieux les cas du Niger et du Burkina, il est aussi probable que le Nigeria ait augmenté sa demande à cause de ses grands éleveurs de volaille qui ont besoin de céréales qu’ils viennent chercher au Bénin.
Les frontières nigériennes par exemple sont fermées depuis un moment. Par où passent alors ces produits ?
C’est vrai que les frontières nigériennes sont fermées depuis un moment et beaucoup peuvent se demander par où peuvent passer ces produits vivriers. Mais les gens trouvent toujours les moyens pour contourner les dispositifs officiels surtout dans les pays comme le Bénin, le Niger, le Burkina Faso et même le Mali où l’informel règne en maitre.
Nous sommes dans un Etat libéral et tout le monde cherche à réaliser du profit. N'est-ce pas que l'agriculteur est libre de vendre son produit à qui il veut ?
En général, quand les prix sont élevés et qu’on l’impute à la demande extérieure, les fonctionnaires et les citadins plus vocaux trouvent qu’il faille interdire l’exportation des produits vivriers par tous les moyens. Ils n’interviennent pas quand les producteurs bradent leurs productions pendant les périodes de récolte qui sont des périodes d’abondance. Dans un Etat à économie libérale, on peut affirmer que l’agriculteur est libre de vivre de son activité comme il l’entend et qu’il est souverain de vendre à qui il veut. Malheureusement, le producteur primaire n’est pas toujours le grand bénéficiaire de la hausse des prix. Cette flambée des prix des produits de première nécessité impacte également négativement certains agriculteurs qui bradent leurs productions dès les premières récoltes et plus tard, achètent ces mêmes produits plus cher. Ce sont des acheteurs nets de produits agricoles. Les grossistes et autres intermédiaires de produits vivriers qui achètent ces produits à des prix bas pendant les périodes de récolte, les stockent puis reviennent les vendre cher, sont les grands gagnants des marchés vivriers. Néanmoins, il faut reconnaître également qu’ils ont pris des risques. C’est pourquoi, l’Etat libéral ne doit pas utiliser sa violence légitime pour une intervention brutale sur le marché afin de contenter ces électeurs des villes qui sont plus vocaux. Il doit penser au mécanisme de régulation à mettre en place pour que l’agriculteur ne soit pas le perdant, qu’il vende ses produits sur place ou l’exporte, puisque après tout, tout le monde cherche à faire du profit. Dans ce domaine, il n’y a pas mille solutions. C’est le mécanisme des stocks tampons constitués pendant les périodes d’abondance pour assurer un prix plancher aux agriculteurs et utilisés pendant la période de soudure pour assurer un prix plafond aux consommateurs. La mauvaise gestion du défunt Onasa (Office national d’Appui à la Sécurité alimentaire) a pu décourager les politiques, mais un mécanisme privé, avec un fonds de stabilisation au besoin n’est pas difficile à mettre en place.
C’est vrai que c’est une situation mondiale mais certains pays de la sous-région comme le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire et même le Togo sont quand même arrivés à mettre en place un système de contrôle et d’encadrement des prix. Pourquoi le Bénin ne peut-il pas l’expérimenter ?
Les pays que vous avez cités montrent que l’utilisation des subventions est une arme politique puissante. Si les pays comme le Niger et le Burkina Faso viennent s’approvisionner au Bénin tout en proposant des prix plus faibles au consommateur, quelqu’un doit payer la différence de facture. Et c’est l’Etat. Et cela se comprend pour ces pays en crise ou en période électorale comme c’est le cas du Togo. Personne ne sait si les dispositifs utilisés par ces pays sont plus efficaces que celui du défunt Onasa. Ce dont je doute. Mais je continue de croire que dans le cas précis de l’Onasa, on a trop vite jeté le bébé avec l’eau de bain. Néanmoins, au crédit de l’Etat, après la suppression de l’Onasa, le Maep a pris l’arrêté N° 2017 N° 007 créant la Cellule technique de Suivi et d’Appui à la Gestion de la Sécurité alimentaire (Ct/Sagsa) dont la mission est de contribuer à garantir la sécurité alimentaire à tous, à tout moment et en tout lieu au Bénin (art. 2). Cette cellule est également dotée de nombreuses attributions dont la prévention des risques d’insécurité alimentaire par des mécanismes appropriés (art.3). Je trouve que cette cellule est restée amorphe et manque d’imagination et d’initiatives à proposer au gouvernement.
Quelles sont aujourd’hui les pistes de solutions pour véritablement inverser la tendance ?
Il faut construire un mécanisme de régulation de type partenariat public-privé avec un fonds de stabilisation et l’implication des banques. Cela peut concerner aussi bien le stockage des produits que les minoteries. Ce mécanisme a déjà été ébauché plus haut. Bien géré, l’Etat n’y perdrait même pas un sou. Le cas échéant, plusieurs produits alimentaires pourraient être concernés : le maïs, le mil et le sorgho, le manioc, les cossettes de manioc et d’igname, les huiles de palme et d’arachide. Si nous ne voulons pas appauvrir les paysans en s’attaquant trop facilement aux « commerçants dits véreux », les mécanismes de régulation appropriés doivent être mis en place pour que chacun trouve son compte (paysans, commerçants, Etat, consommateurs citadins).