La Nation Bénin...
La
survie des entreprises passe nécessairement par la formalisation. C’est le
message fort de Laurent Gangbès, directeur général de l’Agence de développement
des petites et moyennes entreprises (Adpme), qui explique comment l'agence
accompagne les entrepreneurs dans leur croissance. Entre facilitation d’accès
aux financements, structuration du projet, accompagnement à l’accès aux marchés,
à l’obtention des certifications et renforcement de leurs capacités..., l'Adpme
se veut un partenaire clé pour permettre aux Pme locales de se hisser aux
standards du marché national et international.
La Nation : Monsieur le directeur général, comment l’Adpme assure-t-elle sa mission de promotion et de développement des micro, petites et moyennes entreprises ?
Laurent
Gangbès : L'Agence de développement des petites et moyennes entreprises (Adpme)
installée par le gouvernement sous la tutelle du ministère des Pme et de le
Promotion de l’emploi, est ouverte à toutes les entreprises, qu'elles soient
petites, moyennes, ou même grandes. Notre rôle est d’accueillir les entreprises
ou les porteurs de projet, de les écouter, de définir avec eux, une fois le
diagnostic effectué, le dispositif d’accompagnement le plus adapté à leur
situation. Par ailleurs, l’Agence reçoit également des entreprises confrontées
à des difficultés ponctuelles, par exemple avec l’administration publique et
nous nous efforçons avec les bonnes relations que nous développons avec
l’administration, d’aider à trouver des solutions. Les entreprises peuvent nous
solliciter physiquement en se rendant à notre siège à Cadjèhoun ou nous contacter
par téléphone ou par l’intermédiaire de notre plateforme digitale E-PME. Ces
facilités permettent à toutes les entreprises, quelles que soient les lieux de
leur implantation d’avoir accès à nos services. Bien évidemment, il sera
nécessaire de rencontrer le dirigeant afin de mettre en œuvre le dispositif
d’accompagnement. Lorsque nous recevons une demande, nous la qualifions en
échangeant avec l’entreprise pour mieux comprendre ses besoins spécifiques. À
partir de là, nous orientons l’entreprise vers une structure d’accompagnement
spécialisée que nous mandatons pour réaliser un diagnostic approfondi. Sur la
base de ce diagnostic, un dispositif d’accompagnement technique et/ou financier
est proposé, avec des objectifs concrets comme l’augmentation du chiffre
d’affaires, l’amélioration des marges ou encore la création d’emplois.
Il faut dire que l'Adpme agit comme un guichet unique pour toutes les initiatives entrepreneuriales. Cela signifie que nous centralisons les demandes des entreprises mais aussi celles des partenaires techniques et financiers (Ptf), de manière à ce que l'argent public qui est mis à la disposition de notre pays soit efficacement dépensé pour le développement des petites et moyennes entreprises. De nombreux Ptf ont différents programmes d’accompagnement, mais ces initiatives ne sont pas toujours bien coordonnées. Notre rôle est de veiller à ce que les actions et programmes de nos partenaires soient cohérents et alignés sur les priorités stratégiques du pays. Un exemple concret concerne l'interdiction des importations de volailles surgelées, à partir du 31 décembre 2024. Si un programme a pour impact l’augmentation de l’importation de volailles surgelées, nous ne devons pas l’accompagner. En revanche, si des programmes initiés par des Ptf ou des Ong ont pour ambition d’accompagner les Pme dans la filière avicole en investissant dans la production de poussins, de provende, dans les abattoirs, dans les entrepôts frigorifiques ... alors nous coordonnerons nos moyens avec ceux des Ptf pour accompagner les programmes. Cela illustre l'importance d'avoir une approche coordonnée et alignée sur les réalités locales.
Qu'en est-il des entreprises informelles en ce qui concerne cet accompagnement, étant donné que c’est un secteur qui contribue fortement au Pib du pays ?
Aucune
entreprise ne peut se développer durablement dans l’informel. L’informel limite
l’accès au crédit, ce qui freine la croissance. Une entreprise formelle peut
obtenir des prêts, se développer, augmenter ses parts de marché et sa marge
bénéficiaire. Notre rôle est d’accompagner ceux qui souhaitent passer du
secteur informel au formel. Il ne s’agit pas seulement de les rendre
fiscalement conformes, mais aussi de les soutenir pour qu’ils puissent obtenir
des crédits et faire croître leurs activités. Payer des impôts est normal, mais
pour cela, il faut d'abord que les entreprises se développent. La crainte que
beaucoup ont, est de se voir imposer des taxes dès qu'ils se formalisent. C’est
vrai qu’un contrôle fiscal mal calibré peut contraindre une entreprise à mettre
la clé sous la porte, même si elle est saine et active. C’est là que notre rôle
d’intermédiaire est crucial. Nous travaillons main dans la main avec
l’administration fiscale pour accompagner les Pme et éviter que des décisions
ne compromettent la pérennité de l’entreprise. Et aujourd’hui, nous sommes
vraiment satisfaits de l’arsenal de mesures et de dispositifs que le
gouvernement a mis à notre disposition pour rassurer les entreprises et les
accompagner. Par exemple, un entrepreneur qui passe du secteur informel au
formel peut bénéficier d’une période de grâce de deux ans sans payer d’impôts.
C'est une approche pédagogique. Il s’agit d’encourager les entreprises à
franchir le pas tout en atténuant leurs craintes. Pendant cette période, elles
peuvent se stabiliser, renforcer leurs opérations avant de contribuer
fiscalement. Plus il y aura d’entreprises prospères, plus l’État pourra
collecter des taxes, ce qui profitera à nos écoles, nos hôpitaux et au
bien-être général du pays. Nous devons faire comprendre aux entrepreneurs que
ce n’est qu'en passant par le formel qu'ils pourront accéder aux crédits
nécessaires à leur développement. Et le gouvernement a bien compris que le
secteur privé est au cœur du développement économique du pays. Aucune nation ne
peut se développer sans un secteur privé fort. C’est pour cela que l’Adpme a
été créée, pour structurer et dynamiser ce secteur. Nous avons une mission
essentielle : aider chaque entrepreneur, chaque Pme à se développer, à franchir
des étapes, à accéder à des marchés. Le rôle de l’État est d’encourager cette
énergie entrepreneuriale non seulement en mettant à disposition partout dans le
pays des infrastructures telles que les routes, les marchés, les hôpitaux, ...
mais également en installant une agence dont la responsabilité est de
travailler au quotidien avec les Pme pour les aider a résoudre les difficultés
qu’elles peuvent rencontrer. La stratégie du gouvernement est d’encourager
l’esprit entrepreneurial. Sans cet élan, sans cette envie de prendre des
risques, un pays ne peut prospérer. Nous devons encourager nos entrepreneurs à
oser, à innover, à se développer. Certes, certains échoueront au début, mais le
gouvernement par l’intermédiaire de l’Adpme sera là pour les soutenir, les
conseiller et les aider à repartir.
Que faites-vous concrètement à ce niveau pour aider les jeunes entreprises à maintenir le cap et à ne pas disparaitre après quelques mois d’activités ?
Un problème majeur que rencontrent nos Pme dans plusieurs secteurs notamment dans l’agro-industrie concerne l’autorisation de mise sur le marché. Je vais vous donner un exemple. Nous avons des partenaires techniques et financiers qui ont fait un gros travail pour amener les femmes à créer leurs structures et à devenir autonomes. Les produits sont de qualité, les femmes ont été formées techniquement et bénéficient d’accompagnement en termes de matériels et d’équipements. L’accompagnement s’est arrêté à ce niveau. L’Adpme a rencontré ces femmes à leur demande et s’est rendu compte que beaucoup produisaient mais avaient un accès limité au marché et ce, en raison des difficultés rencontrées dans l’obtention de l’autorisation de mise sur le marché. L'autorisation de mise sur le marché (Amm) est indispensable pour toute entreprise qui souhaite vendre ses produits et durer sur le marché, surtout dans le secteur agroalimentaire. Si non, leurs produits ne peuvent être commercialisés dans les grandes surfaces. Ce qui est synonyme de disparition précoce. Auparavant, certains supermarchés le faisaient, mais l'Agence béninoise de sécurité sanitaire des aliments (Abssa) retirait les produits non conformes des rayons. Il est donc indispensable d'obtenir cette autorisation avant de prétendre à une distribution large. L’Adpme dans son rôle d’accompagnement des entreprises à l’accès au marché a initié une démarche avec l’aide du ministre de l’Agriculture, de l’Élevage et de la Pêche et l’Abssa pour faciliter l’obtention de l’autorisation de mise sur le marché pour ces femmes entrepreneures. La Ccib fait également un très gros travail pour permettre le plus large accès possible des entrepreneurs de l’agro-alimentaire à l’obtention de ce certificat. Pour répondre à ce défi, nous travaillons avec le ministère de l’Agriculture et l'Agence béninoise de sécurité sanitaire des aliments (Abssa) pour fluidifier le processus d'obtention de l'Amm. L'objectif est de raccourcir les délais et de rendre les procédures plus accessibles pour que ces entrepreneurs puissent accéder rapidement au marché. Nous avons également sécurisé l'engagement des distributeurs à prendre les produits une fois l'Amm obtenue. Ce qui permet à toutes ces femmes, à tous ces jeunes qui ont des idées et qui sont dans un processus de création de leur business de pouvoir le faire en se disant, j'ai déjà un marché parce que les distributeurs se sont déjà engagés vis-à-vis de l'Adpme. Ce qu’il est important de souligner est que le gouvernement, à travers ses agences et ses ministères, est complètement mobilisé pour rendre l’ensemble du dispositif cohérent, complémentaire et efficace pour les entrepreneurs. Notre accompagnement est très important et ne se limite pas à un soutien financier. Le problème des entreprises ne se résume pas seulement à l’argent. Il y a aussi la question des normes. Pour vendre sur certains marchés, il est indispensable d’avoir des certifications spécifiques. Mais la majorité de nos petites entreprises n’ont pas les moyens d’obtenir ces prestations. C’est là que nous intervenons. Si une entreprise identifie un marché porteur qui exige une norme spécifique, nous avons les moyens de l'aider à atteindre ces standards. Nous facilitons ainsi l’accès aux marchés en finançant ces audits et prestations qui sont souvent hors de portée pour une Pme.
Plusieurs jeunes entrepreneurs restent dans la prestation de services. Quelles actions concrètes l'Adpme met-elle en œuvre pour aider ces entreprises à opérer une transition vers la production locale ?
Notre stratégie est simple : nous voulons encourager les entrepreneurs à aller au-delà de l’achat et de la vente pour se tourner vers la fabrication locale. Nous sommes à leur disposition pour leur apporter des conseils et les aider à trouver des partenaires techniques. Il est parfois difficile pour un entrepreneur qui a principalement une expérience de commerçant, de se lancer dans la production. L’un des meilleurs moyens de réussir est d’associer un expert technique ou un partenaire technique qui a l’expérience et qui a déjà réalisé un tel projet, même si cela implique de lui céder une part du capital de l’entreprise. Le but est d'acquérir l'expertise nécessaire et sur le long terme, de devenir indépendant. C'est aussi pour cela que l'Adpme est un point central. Nous fournissons des informations sur les opportunités de marché, connectons les entrepreneurs et les aidons à trouver des partenariats pour que le savoir-faire et la richesse restent au Bénin. Nous avons sélectionné récemment 150 entreprises avec un fort potentiel et travaillons avec elles pour en faire les futurs champions de l'industrie béninoise, capables de concurrencer sur les marchés de la sous-région. Notre objectif est de construire un tissu économique local fort, en valorisant l'intelligence et les compétences béninoises.
Aujourd'hui au Bénin, quels secteurs d’activité se dégagent prometteur pour les jeunes entrepreneurs et que l’Adpme peut accompagner valablement ?
L’Adpme accompagne tout type d’entreprise et concernant les secteurs prometteurs, il y en a plusieurs actuellement au Bénin, le tourisme, l’agriculture, l’industrie... Je puis vous dire que le secteur de l'emballage connaît une évolution notable. Voyez, il y a deux ans, le Bénin ne comptait aucune entreprise dans le secteur de l’emballage. Les entreprises béninoises qui avaient besoin de cartons ou d'emballages devaient importer ces produits de la Chine ou du Ghana. Aujourd’hui, grâce aux initiatives prises, trois entreprises d'emballage se sont installées ici même au Bénin. C’est un exemple concret qui montre l’évolution et l'impact de la politique d’industrialisation du pays. En parallèle, il est vrai que nous n’avons toujours pas d’industrie spécialisée dans la production de verre pour l'emballage. Pourtant, il existe un marché réel pour ce type de produits, avec des entreprises comme la Sobebra, qui importent actuellement des bouteilles en verre depuis le Cameroun. Si une entreprise de ce secteur s’installait localement, elle pourrait facilement répondre à cette demande. Pour soutenir ces nouvelles entreprises, l’Adpme se donne pour mission de les accompagner dans leur développement et dans l’exploration des débouchés existants. Nous avons également le secteur des nouvelles technologies avec des jeunes entreprises qui sont dans la fabrication des ordinateurs et des téléphones portables. Ce sont des initiatives qu’on doit encourager et soutenir.
Quels sont les défis principaux à relever pour le développement des entreprises au Bénin ?
Peu importe la taille de l’entreprise, il est essentiel de comprendre que derrière chaque entreprise qui réussit, il y a des hommes et des femmes qui bénéficient de son essor. Ce sont nos frères, nos sœurs, nos amis. C’est pourquoi notre objectif est de favoriser la multiplication d’entreprises saines et prospères. Plus il y a d’entreprises qui recrutent, plus les gens peuvent acquérir des compétences, car le chef d’entreprise cherche avant tout la performance pour être rentable. C’est un équilibre fragile, car il nous faut des règles de travail suffisamment souples pour ne pas dissuader les entrepreneurs, tout en assurant la protection nécessaire aux salariés. Ce dynamisme entrepreneurial doit aussi s'accompagner d'un environnement favorable. Les routes, les infrastructures, l’électricité, la fibre internet, tous ces éléments permettent aux entreprises de se développer et, dans cinq ans, je suis convaincu que nous ne reconnaîtrons plus le Bénin. Mais pour cela, il est indispensable que nous, Adpme, et d’autres institutions, continuons de soutenir les entreprises, notamment celles qui évoluent dans des secteurs clés comme le tourisme, l’agriculture, l’industrie, la santé, les nouvelles technologies, etc, afin qu’elles arrivent à surmonter les défis. Nous avons, par exemple, des jeunes béninois qui se lancent dans des projets de fabrication d’ordinateurs et de téléphones portables. Avec l’accompagnement adéquat, ces Pme deviendront des piliers de notre économie.