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Lettre au futur Président de la Banque Africaine de Développement (Bad): « Ne ratez pas le tournant urbain de l’Afrique ! »

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L’Afrique ne réussira pas son développement sans une urbanisation performante, planifiée et maîtrisée L’Afrique ne réussira pas son développement sans une urbanisation performante, planifiée et maîtrisée

Madame, Monsieur le futur Président de la Banque africaine de développement, Dans quelques semaines, vous prendrez la tête d’une institution essentielle pour l’avenir du continent. Vous hériterez d’un mandat marqué par des avancées notables en matière d’énergie, d’industrialisation et d’intégration économique.

Mais à l’aube de votre présidence, un défi de taille demeure largement sous-estimé : l’urbanisation africaine.

L’Afrique ne réussira pas son développement sans une urbanisation performante, planifiée et maîtrisée. Pourtant, alors que nos villes connaissent une croissance fulgurante et accueilleront près de 950 millions d’habitants supplémentaires d’ici 2050, elles restent mal financées, sous-planifiées et trop souvent ignorées comme moteurs stratégiques du développement.

Si votre mandat veut marquer un tournant historique, il faudra intégrer pleinement l’urbanisation et les dynamiques territoriales dans les priorités stratégiques de la Bad.

 

Par   Luc GNACADJA, le 31 mars 2025 à 07h22 Durée 3 min.
#Banque africaine de développement (Bad)

Les High 5 de la Bad : Une vision incomplète sans un agenda urbain structurant

Depuis plusieurs années, les cinq priorités stratégiques de la Bad – Éclairer l’Afrique, Nourrir l’Afrique, Industrialiser l’Afrique, Intégrer l’Afrique, Améliorer la qualité de vie– ont guidé des milliards de dollars d’investissements.

Mais cette approche sectorielle peine à saisir une réalité fondamentale: les villes africaines sont le point d’articulation de ces cinq axes.

L’électrification, par exemple, est un défi majeur. Mais comment fournir de l’énergie aux populations et aux industries si l’urbanisation est anarchique et que les infrastructures de distribution sont sous-dimensionnées ? Lagos, mégalopole de plus de 20 millions d’habitants, en est une illustration frappante : l’absence de planification a entraîné un déficit énergétique chronique, aggravé par une urbanisation non maîtrisée.

L’agriculture et la sécurité alimentaire sont elles aussi indissociables des dynamiques urbaines. En Côte d’Ivoire, jusqu’à 40 % des productions agricoles périssent après la récolte, en grande partie avant d’atteindre les marchés urbains comme celui d’Abidjan, en raison du manque d’infrastructures de stockage et de transport. Les villes, pourtant, sont les premiers débouchés des productions agricoles et structurent les filières de transformation. Ignorer ce lien, c’est affaiblir les chaînes de valeur agroalimentaires du continent.

Quant à l’industrialisation, elle repose sur des pôles urbains compétitifs et bien connectés aux marchés régionaux. Kigali l’a bien compris, en développant des parcs industriels bien intégrés à la ville, attirant ainsi investisseurs et emplois. À l’inverse, la zone industrielle de Kaduna, au Nigeria, peine à se développer, faute d’accès aux services urbains et aux infrastructures adéquates.

L’intégration économique africaine, qui repose sur des corridors urbains transfrontaliers, est elle aussi freinée par le manque de vision territoriale. L’axe Lagos-Cotonou-Accra est l’un des plus dynamiques du continent, mais son potentiel est entravé par des goulets d’étranglement logistiques et des infrastructures incohérentes entre les pays.

À Nairobi, le projet de modernisation de Kibera – l’un des plus grands bidonvilles d’Afrique – illustre comment des démarches de planification urbaine inclusives et participatives peuvent amorcer des transformations durables. En associant les habitants à la conception de solutions locales d’accès à l’eau, à l’assainissement, à l’électricité ou aux transports, plusieurs initiatives ont permis d’expérimenter de nouveaux modèles de service public adaptés aux réalités de la pauvreté urbaine.

Ignorer les villes dans les stratégies d’investissement, c’est condamner ces investissements sectoriels à des résultats limités et inefficaces.

Les grappes urbaines : une alternative à l’urbanisation anarchique

L’Afrique ne peut pas continuer à suivre un modèle où quelques métropoles concentrent l’essentiel de la croissance et des investissements. Cette dynamique accentue congestion, étalement incontrôlé et inégalités territoriales.

Une alternative existe : les grappes urbaines interconnectées, où grandes villes, pôles intermédiaires et zones rurales fonctionnent en complémentarité. Ce modèle permet une meilleure répartition des investissements, favorise l’émergence de pôles économiques secondaires et assure une urbanisation plus maîtrisée.

Le Bénin offre un exemple particulièrement pertinent. Autour de Cotonou, capitale économique, se dessine une grappe urbaine émergente – le “Grand Nokoué” – qui intègre des villes comme Abomey-Calavi, Ouidah, Sèmè-Kpodji et Allada, et intègre la zone industrielle spéciale « Glo-Djigbé Industrial Zone (Gdiz) », située à 45 km. Dédiée à la transformation locale de produits agricoles, cette zone industrielle illustre le potentiel d’un développement économique articulé à une urbanisation mieux structurée et plus équitable.

Si la Bad veut structurer un développement territorial efficace et durable, elle doit impérativement intégrer ces logiques de complémentarité urbaine et régionale dans ses stratégies d’investissement.

Sortir enfin du faux dilemme “Développement urbain vs développement rural”

L’opposition entre urbanisation et développement rural est une impasse stratégique. Il n’y a pas de villes performantes sans campagnes dynamiques, et inversement.

Le Maroc l’a bien compris, en créant des plateformes logistiques reliant campagnes et villes, renforçant ainsi la compétitivité du secteur agroalimentaire. A contrario, l’absence de connexions fonctionnelles entre villes et campagnes en Afrique de l’Ouest accélère l’exode rural et l’urbanisation informelle.

La Bad doit cesser de considérer ces deux sphères comme distinctes, et promouvoir un modèle intégré de développement territorial.

Trois engagements concrets pour faire la différence avec votre mandat

1. Créer un Pôle Urbanisation et Développement Territorial à la Bad, pour faire de l’urbanisation un axe structurant des investissements et intégrer les besoins en infrastructures, mobilité et logement.

2. Lancer un Plan d’Investissement pour les Grappes Urbaines et les Corridors Économiques, afin de financer les infrastructures stratégiques des villes intermédiaires et des pôles transfrontaliers.

3. Réinventer les outils d’intervention de la Bad pour agir efficacement au niveau décentralisé, en facilitant l’accès direct des collectivités territoriales aux financements, et en promouvant des modèles de co-investissement public-privé adaptés aux réalités locales.

Une Bad à la hauteur du XXIe siècle ?

L’avenir de l’Afrique se joue dans ses villes et territoires interconnectés. Si la Bad continue à négliger l’urbanisation, elle se privera d’un levier stratégique essentiel pour la transformation du continent.

Mais si votre présidence fait de l’urbanisation et du développement territorial une priorité centrale, alors vous pourrez laisser une empreinte décisive dans l’histoire du développement africain.

Le choix est entre vos mains.

Luc GNACADJA
Président de GPS-Development
Ancien Ministre
Ancien Sous-secrétaire général des Nations Unies
luc.gnacadja@gps-development.org

Cette lettre ouverte s’adresse aux cinq candidats déclarés à la présidence de la BAD :

1. Amadou Hott (Sénégal) – Ancien ministre de l’Économie, du Plan et de la Coopération, reconnu pour son expertise en développement économique.

2. Samuel Munzele Maimbo (Zambie) Vice-président à la Banque mondiale, engagé en faveur de l’innovation et de la modernisation du secteur financier.

3. Sidi Ould Tah (Mauritanie) – Directeur général de la Banque arabe pour le développement économique en Afrique, fort d’une longue expérience en finance et en développement.

4. Mahamat Abbas Tolli (Tchad)– Gouverneur de la Banque des États de l’Afrique centrale, avec une carrière ancrée dans le système bancaire africain.

5. Bajabulile Swazi Tshabalala (Afrique du Sud) – Ancienne vice-présidente principale de la Bad, disposant d’une solide expérience en finance internationale.