La Nation Bénin...
Madame, Monsieur le futur Président de la Banque africaine de développement, Dans quelques semaines, vous prendrez la tête d’une institution essentielle pour l’avenir du continent. Vous hériterez d’un mandat marqué par des avancées notables en matière d’énergie, d’industrialisation et d’intégration économique.
Mais
à l’aube de votre présidence, un défi de taille demeure largement sous-estimé :
l’urbanisation africaine.
L’Afrique
ne réussira pas son développement sans une urbanisation performante, planifiée
et maîtrisée. Pourtant, alors que nos villes connaissent une croissance
fulgurante et accueilleront près de 950 millions d’habitants supplémentaires
d’ici 2050, elles restent mal financées, sous-planifiées et trop souvent
ignorées comme moteurs stratégiques du développement.
Si
votre mandat veut marquer un tournant historique, il faudra intégrer pleinement
l’urbanisation et les dynamiques territoriales dans les priorités stratégiques
de la Bad.
Les
High 5 de la Bad : Une vision incomplète sans un agenda urbain structurant
Depuis
plusieurs années, les cinq priorités stratégiques de la Bad – Éclairer
l’Afrique, Nourrir l’Afrique, Industrialiser l’Afrique, Intégrer l’Afrique,
Améliorer la qualité de vie– ont guidé des milliards de dollars
d’investissements.
Mais
cette approche sectorielle peine à saisir une réalité fondamentale: les villes
africaines sont le point d’articulation de ces cinq axes.
L’électrification,
par exemple, est un défi majeur. Mais comment fournir de l’énergie aux
populations et aux industries si l’urbanisation est anarchique et que les
infrastructures de distribution sont sous-dimensionnées ? Lagos, mégalopole de
plus de 20 millions d’habitants, en est une illustration frappante : l’absence
de planification a entraîné un déficit énergétique chronique, aggravé par une
urbanisation non maîtrisée.
L’agriculture
et la sécurité alimentaire sont elles aussi indissociables des dynamiques
urbaines. En Côte d’Ivoire, jusqu’à 40 % des productions agricoles périssent
après la récolte, en grande partie avant d’atteindre les marchés urbains comme
celui d’Abidjan, en raison du manque d’infrastructures de stockage et de transport.
Les villes, pourtant, sont les premiers débouchés des productions agricoles et
structurent les filières de transformation. Ignorer ce lien, c’est affaiblir
les chaînes de valeur agroalimentaires du continent.
Quant
à l’industrialisation, elle repose sur des pôles urbains compétitifs et bien
connectés aux marchés régionaux. Kigali l’a bien compris, en développant des
parcs industriels bien intégrés à la ville, attirant ainsi investisseurs et
emplois. À l’inverse, la zone industrielle de Kaduna, au Nigeria, peine à se
développer, faute d’accès aux services urbains et aux infrastructures
adéquates.
L’intégration
économique africaine, qui repose sur des corridors urbains transfrontaliers,
est elle aussi freinée par le manque de vision territoriale. L’axe
Lagos-Cotonou-Accra est l’un des plus dynamiques du continent, mais son
potentiel est entravé par des goulets d’étranglement logistiques et des
infrastructures incohérentes entre les pays.
À
Nairobi, le projet de modernisation de Kibera – l’un des plus grands
bidonvilles d’Afrique – illustre comment des démarches de planification urbaine
inclusives et participatives peuvent amorcer des transformations durables. En
associant les habitants à la conception de solutions locales d’accès à l’eau, à
l’assainissement, à l’électricité ou aux transports, plusieurs initiatives ont
permis d’expérimenter de nouveaux modèles de service public adaptés aux
réalités de la pauvreté urbaine.
Ignorer les villes dans les stratégies d’investissement, c’est condamner ces investissements sectoriels à des résultats limités et inefficaces.
Les
grappes urbaines : une alternative à l’urbanisation anarchique
L’Afrique
ne peut pas continuer à suivre un modèle où quelques métropoles concentrent
l’essentiel de la croissance et des investissements. Cette dynamique accentue
congestion, étalement incontrôlé et inégalités territoriales.
Une
alternative existe : les grappes urbaines interconnectées, où grandes villes,
pôles intermédiaires et zones rurales fonctionnent en complémentarité. Ce
modèle permet une meilleure répartition des investissements, favorise
l’émergence de pôles économiques secondaires et assure une urbanisation plus
maîtrisée.
Le
Bénin offre un exemple particulièrement pertinent. Autour de Cotonou, capitale
économique, se dessine une grappe urbaine émergente – le “Grand Nokoué” – qui
intègre des villes comme Abomey-Calavi, Ouidah, Sèmè-Kpodji et Allada, et
intègre la zone industrielle spéciale « Glo-Djigbé Industrial Zone (Gdiz) »,
située à 45 km. Dédiée à la transformation locale de produits agricoles, cette
zone industrielle illustre le potentiel d’un développement économique articulé
à une urbanisation mieux structurée et plus équitable.
Si
la Bad veut structurer un développement territorial efficace et durable, elle
doit impérativement intégrer ces logiques de complémentarité urbaine et
régionale dans ses stratégies d’investissement.
Sortir
enfin du faux dilemme “Développement urbain vs développement rural”
L’opposition
entre urbanisation et développement rural est une impasse stratégique. Il n’y a
pas de villes performantes sans campagnes dynamiques, et inversement.
Le
Maroc l’a bien compris, en créant des plateformes logistiques reliant campagnes
et villes, renforçant ainsi la compétitivité du secteur agroalimentaire. A
contrario, l’absence de connexions fonctionnelles entre villes et campagnes en
Afrique de l’Ouest accélère l’exode rural et l’urbanisation informelle.
La Bad doit cesser de considérer ces deux sphères comme distinctes, et promouvoir un modèle intégré de développement territorial.
Trois
engagements concrets pour faire la différence avec votre mandat
1.
Créer un Pôle Urbanisation et Développement Territorial à la Bad, pour faire de
l’urbanisation un axe structurant des investissements et intégrer les besoins
en infrastructures, mobilité et logement.
2.
Lancer un Plan d’Investissement pour les Grappes Urbaines et les Corridors
Économiques, afin de financer les infrastructures stratégiques des villes
intermédiaires et des pôles transfrontaliers.
3. Réinventer les outils d’intervention de la Bad pour agir efficacement au niveau décentralisé, en facilitant l’accès direct des collectivités territoriales aux financements, et en promouvant des modèles de co-investissement public-privé adaptés aux réalités locales.
Une
Bad à la hauteur du XXIe siècle ?
L’avenir
de l’Afrique se joue dans ses villes et territoires interconnectés. Si la Bad
continue à négliger l’urbanisation, elle se privera d’un levier stratégique
essentiel pour la transformation du continent.
Mais
si votre présidence fait de l’urbanisation et du développement territorial une
priorité centrale, alors vous pourrez laisser une empreinte décisive dans
l’histoire du développement africain.
Le choix est entre vos mains.
Cette
lettre ouverte s’adresse aux cinq candidats déclarés à la présidence de la BAD
:
1.
Amadou Hott (Sénégal) – Ancien ministre de l’Économie, du Plan et de la
Coopération, reconnu pour son expertise en développement économique.
2.
Samuel Munzele Maimbo (Zambie) Vice-président à la Banque mondiale, engagé en
faveur de l’innovation et de la modernisation du secteur financier.
3.
Sidi Ould Tah (Mauritanie) – Directeur général de la Banque arabe pour le
développement économique en Afrique, fort d’une longue expérience en finance et
en développement.
4.
Mahamat Abbas Tolli (Tchad)– Gouverneur de la Banque des États de l’Afrique
centrale, avec une carrière ancrée dans le système bancaire africain.
5. Bajabulile Swazi Tshabalala (Afrique du Sud) – Ancienne vice-présidente principale de la Bad, disposant d’une solide expérience en finance internationale.