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Politique extérieure de l’Allemagne envers ses partenaires africains: Les nouvelles lignes directrices

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Le 8 janvier 2025, l’Allemagne a dévoilé les lignes directrices de sa politique à l’égard des pays africains dans un document intitulé « Gemeinsam Partnerschaften gestalten  in einer Welt im Wandel Afrikapolitische Leitlinien der Bundesregierung » ou « Construire des partenariats ensemble dans un monde en mutation. Lignes directrices du gouvernement fédéral en matière de politique africaine » pour les lecteurs non-germanophones. Quel est le contexte particulier dans lequel paraît ce texte majeur de la politique extérieure de la République Fédérale d’Allemagne? Que peut-on en retenir ? Et surtout quels commentaires méritent la réflexion à ce sujet ? C’est à ces trois questions que j’essaie d’apporter des éléments de réponse. 

Par   Dr. Hanza Diman Historien et Géopolitologue béninois, le 24 févr. 2025 à 12h47 Durée 3 min.
#actualité politique

L’éclatement de la coalition

Le chancelier Olaf Scholz du parti social-démocrate (Spd) limoge publiquement Christian Lindner, le ministre des Finances du parti libéral (Fdp) le 06 novembre 2024. Cette éviction de Lindner du gouvernement sonne la fin de l’Ampelkoalition (coalition feu-tricolore) formée par les sociaux-démocrates, les libéraux et les Verts au pouvoir en Allemagne depuis trois ans. Les désaccords en matière de politique économique et fiscale ont eu raison de la coalition. Le 16 décembre 2024, Olaf Scholz a perdu, comme attendu, le vote de confiance (Vertrauensfrage) au parlement allemand (le Bundestag), ce qui ouvre la voie à des élections anticipées annoncées pour le 23 février 2025.

C’est donc la minorité au pouvoir (Minderheitsregierung) portée par les partis Spd et les Verts qui gouverne en attendant le verdict des élections d’hier. Ce sont donc visiblement les Verts et le Spd qui sont les auteurs du nouveau texte présenté au tout début de cette année et qui définit les grands axes de la politique allemande à l’endroit de ses partenaires africains. Mais pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour enfin sortir un document d’une telle importance au lendemain d’une coalition échouée et en pleine campagne électorale pour des élections que ni l’un ni l’autre des deux partis n’est sûr de remporter avec une forte majorité ? Autrement dit, pourquoi dévoiler aussi tard un document que l’on aurait pu officialiser plus tôt ?

Aux partenaires africains évoqués comme parties prenantes dans le contenu du texte en question d’interroger leurs homologues allemands sur le sérieux et la sincérité de la publication de ce document dans un contexte aussi particulier.

Toutefois, on peut soupçonner que c’est par peur d’être taxés à tort ou à raison de n’avoir pas fait assez sur le plan des relations avec les pays africains que les auteurs du texte ont finalement agi pour se rattraper.

Compte-rendu de lecture

Les 34 pages du texte par lequel l’Allemagne espère requalifier ses relations politiques avec les pays africains se structurent autour de quatre axes hautement prioritaires. Le premier exprime la ferme volonté de l’Allemagne de surmonter ensemble avec ses partenaires africains les défis mondiaux notamment ceux relatifs au changement climatique et aux progrès de la technologie numérique. Sur ce volet, l’Allemagne marque sa disposition à contribuer à l’amélioration de la gouvernance mondiale, à la sécurité alimentaire et sanitaire. Le pays entend également promouvoir l’utilisation responsable des technologies et la gestion efficace des questions migratoires.

Au plan économique, deuxième axe, l’Allemagne veut renforcer la croissance économique durable, promouvoir une augmentation des échanges économiques et de la coopération commerciale, la création de valeur locale et la diversification des chaînes d’approvisionnement. À cette fin, l’Allemagne favorise la prospérité en Afrique par la création de valeur locale et les relations commerciales. Elle soutient la zone de libre-échange continentale africaine, appuie les petites et moyennes entreprises allemandes en Afrique, participe à des initiatives multilatérales telles que le “Compact with Africa” du G20. Le gouvernement allemand veut aussi s’investir davantage dans le renforcement des investissements et le développement des infrastructures sur le continent.

En troisième point viennent les questions politiques, démocratiques et des droits humains. L’Allemagne entend renforcer la résilience démocratique et la protection les droits humains à travers une coopération plus soutenue avec la société civile africaine, la lutte contre la désinformation, la promotion des échanges culturels avec les pays africains. Le soutien aux initiatives en matière d’éducation et de recherche, l’octroi de bourses d’études, le renforcement de la collaboration avec les pays africains dans le domaine scientifique sont aussi prioritaires pour l’Allemagne.

Enfin sur le plan sécuritaire, le  texte  réitère l’engagement de  l’Allemagne  à  promouvoir la sécurité, la paix et la stabilité durable en Afrique. L’Allemagne collaborera avec ses partenaires africains pour prévenir et résoudre les conflits. L’objectif poursuivi ici consiste à donner aux organisations et aux nations africaines les moyens de gérer les conflits de manière indépendante. 

Commentaires

Pour un document d’une telle portée, le gouvernement allemand a, bien qu’il ne le précise pas à suffisance, certainement impliqué activement des experts africains des milieux politique, scientifique, du monde des affaires, des organisations de jeunesse et de la société civile africaine sur le continent et en Allemagne dans son élaboration. Cependant, et si tel en a été le cas, il aurait été souhaitable que le texte dévoilé explicite le degré de représentativité, d’implication, les recommandations et autres conseils des experts africains ayant contribué à la définition desdites nouvelles lignes directrices de la politique de l’Allemagne à l’endroit de certains pays du continent africain. De même, il serait utile que le gouvernement allemand donne plus de précisions sur le « Ressortkreis Afrikas » (Département ou section Afrique) présenté à la page 9 comme l’entité en charge de la coordination de la ‘politique africaine’ du gouvernement. Qui sont ceux et celles qui composent la ‘section Afrique’ en question ? Quel est leur rôle réel et de quelle expertise dans quel domaine précisément disposent-ils ? Les réponses à ces questions, ne serait-ce qu’en notes de bas de page, donneraient plus de crédibilité au nouveau texte. 

On sait selon l’étude Afrozensus 2021 qu’au moins 1 million de personnes d’origine africaine vivent ici en Allemagne. Cette diaspora, très mobile et fortement hétérogène, entretient au quotidien des réseaux transnationaux et actifs dans l’entre-deux-continents et leur impact sur la politique, l’économie et les sociétés africaines et occidentales (y compris l’Allemagne) n’est plus à démontrer. Concernant la diaspora, le gouvernement allemand mentionne que ses « … lignes directrices s’adressent… également à la société civile allemande et africaine diversifiée ainsi qu’à la diaspora africaine vivant en Allemagne». Toutefois, si je me référe à l’importance des diasporas africaines que l’Union africaine (Ua) a, à raison, déclaré comme sixième région du continent, alors je trouve incompréhensible que ces diasporas ne soient pas suffisamment mises en lumière dans un document aussi essentiel de la politique extérieure allemande. Le mot diaspora n’y apparaît que deux fois notamment aux pages 9 et 16. Or les diasporas africaines peuvent apporter et apportent déjà assez aux sociétés allemande et africaines sur les plans social, économique, intellectuel, politique et même stratégique. Cela m’amène à partager le constat de Alhaji Allie Bangura du Afro Deutsches Akademiker Netzwerk (ADAN e.V.) qui titre « Die afrikanische Diaspora – eine ungenutzte Ressource der Entwicklungspolitik » (La diaspora africaine - une ressource inexploitée de la politique de développement et de la coopération allemande).

Le texte revient plusieurs fois sur l’intensification des relations de coopération au plan multilatéral avec l’Ua et les organisations sous-régionales comme la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) bien que cette dernière n’ait pas été nommément citée. Dans un document similaire, le ministère fédéral de la Coopération économique et du Développement a même évoqué l’Ua comme „Stimme Afrikas“ (la voix de l’Afrique).

On ne peut pas occulter l’importance de l’Ua comme organisation supranationale de défense des intérêts des pays africains. Mais ce qu’il faut aussi prendre en considération est de se demander si l’UA est véritablement la voix de la même Afrique dont nous parlons tous ? Car il y a autant de secteurs cruciaux (gouvernance politique, économique, gestion efficace des conflits, lutte préventive contre la faim et autres maux socio-écologiques, etc.) sur lesquels le bilan de l’Ua n’est pas convaincant. Combien d’Africains, même alphabétisés, se sentent représentés et défendus par l’Ua sur des enjeux politiques, économiques et stratégiques qui touchent le continent africain ? Je laisse la responsabilité aux données empiriques de me persuader qu’ils sont nombreux ! Combien sont les Africains, alphabétisés, veulent de tous vœux une réforme structurelle et profonde d’une Ua autonome politiquement, stratégiquement et surtout financièrement ? Nombreux sont-ils j’ose écrire ! Je ne veux même pas parler des couches des sociétés africaines, non alphabétisées, qui ne savent même pas qu’il y a une organisation qui s’appelle Ua. Une étude d’Afrobaromètre a même démontré que «… Seuls trois répondants sur dix ont indiqué qu’ils en savaient suffisamment sur l’Ua pour être en mesure de faire des commentaires sur sa pertinence pour leur pays (Olapade et al 2016, p. 14). Le budget de l’UA est financé à plus de 50 % par l’extérieur, c’est connu de tous. Je n’attends pas que le gouvernement allemand résolve les problèmes de l’Ua. Il revient à nous les Africains de le faire ! Cependant, il me semble important de considérer les réalités de l’Ua relatives à son existence, ses actions et son bilan des décennies après sa création pour les Africains. Partant de là, je trouve que le gouvernement allemand devrait revoir sa focalisation sur l’Ua et les organisations sous-régionales dont la Cedeao qui ne représentent pas pour autant les aspirations des populations africaines. Le gouvernement allemand devrait, pour coopérer avec des entités supranationales comme l’Ua, se demander si véritablement ces dernières, en dehors des chefs d’État qui y siègent, sont les représentants légitimes des Africains dans leur immense diversité.

Enfin, des formulations telles que « Afrikapolitische Leitlinien der Bundesregierung » ou «  Lignes directrices du gouvernement fédéral en matière de politique africaine », comme l’a écrit l’économiste togolais Kako Nubukpo pour la France semblent porter les germes « d’une gênante asymétrie … dans la mesure où les parties africaines peuvent y lire le « déséquilibre symbolique entre la dénomination » d’un pays (occidental) et un continent (les Afriques). En référence toujours à Nubukpo, à travers donc des expressions comme « politique africaine », les réalités hétérogènes africaines se trouvent simplifiées à une entité monolithique face à l’unicité d’un simple État (ici l’Allemagne). Je pense qu’il serait utile de trouver des dénominations ou formulations plus adaptées afin d’éviter des incompréhensions de sens. Ceci me semble nécessaire dans la mesure où parler de « politique africaine » d’un pays comme l’Allemagne témoigne d’une asymétrie condescendante déjà au niveau du langage à l’égard de tout un continent. L’Allemagne n‘est quand même pas comme les autres nations qui parlent de sommets de Pays X ou Y avec tout un continent comme c’est le cas avec la France, la Corée du Sud récemment, la Chine, la Russie etc. Toutefois, lorsqu’on traite avec 44 pays dans lesquels on dispose de représentations (cas de l’Allemagne), la cohérence langagière et la modestie diplomatique suggéreraient de trouver des termes ou expressions appropriés pour mieux rendre compte du contexte dont on parle.

Il faudra attendre l’issue des élections fédérales du 23 février 2025 et le gouvernement qui en sera constitué pour savoir si les lignes directrices de la politique de l’Allemagne à l’égard de ses partenaires en Afrique seront suivies ou non. En attendant le verdict final des urnes, les premiers résultats placent le parti conservateur Union Chrétienne-Démocrate d’Allemagne (Cdu/Csu) actuellement dans l’opposition à la tête des suffrages exprimés. Si ces résultats se confirment, il est très probable que cette nouvelle donne dans le landerneau politique allemand ne manquera pas d’impacter les nouvelles relations de ce pays telles que discutées ici avec les États africains. Attendons de voir !.   

Dr. Hanza Diman
Historien et Géopolitologue béninois.
Enseignant à l’Université des Forces armées allemandes à Munich.
Fondateur du think tank www.africapoliticum.org