La Nation Bénin...
Les acteurs culturels béninois, du moins certains, ne connaissent pas leurs droits. Mieux, ils travaillent dans la désunion, la plupart du temps et manquent de connaissances pour faire le plaidoyer en vue de la mise en place d’une législation appropriée au profit de leur secteur. Autant de facteurs qui ont pour finalité, un manque de visibilité de la culture béninoise qu’on dit pourtant riche et variée. Espera Donouvossi est administrateur culturel bilingue et assistant de recherche en politiques culturelles et économie créative.
«L’homme du plaidoyer » comme certains s’amusent à l’appeler multiplie ces derniers temps, des initiatives et tentatives pour aider les acteurs culturels de son pays. Quoique jeune, l’expérience acquis par le jeune expert via son tour du monde et son immersion dans plusieurs traditions et hauts milieux culturels constituent des atouts qu’ils comptent faire bénéficier à ses compatriotes. Autant de préoccupations qu’il aborde sommairement à travers ce bref échange.
La Nation : Qu’est-ce qui justifie votre engouement à former les acteurs culturels béninois au plaidoyer ?
Espera Donouvossi : En dépit du fait qu’il existe un besoin pressant pour les artistes et acteurs culturels de travailler ensemble, on note malheureusement une certaine division contre laquelle nous voulons travailler. Les organisations, associations et entreprises d’artistes et d’acteurs culturels font aussi partie de la société civile. C’est pourquoi nous organisons à leur profit, des programmes de formation en stratégies de plaidoyer et de mise en réseau pour renforcer les capacités des acteurs culturels à connaitre et défendre leurs droits.
Nous voudrions apporter notre contribution à la consolidation d’un noyau dur d’acteurs culturels qui maitrisent la législation en cours dans le secteur d’activité pour aider les acteurs à comprendre leurs droits et leur apprendre à savoir se mettre ensemble et élaborer des stratégies pour la promotion et la défense de leurs droits. Il est vrai que le thème actuel de nos rencontres c’est la reconnaissance de la dimension culturelle du développement et la promotion et la défense de la liberté d’expression artistique. Cependant les outils de formation servent à comprendre les stratégies de plaidoyer, ses principes et les dispositions à prendre pour réussir un plaidoyer.
Et vous pensez que le Bénin a réellement besoin d’une telle initiative à l’heure actuelle ?
Derrière cette initiative, c’est toute la problématique de la reconnaissance de la dimension culturelle du développement qui s’oppose. La culture est la solution et c’est seulement en mettant les acteurs dans les bonnes conditions de travail que les talents peuvent exploser pour créer des emplois, vendre la belle image du Bénin, promouvoir le tourisme et créer un environnement agréable pour tous.
A vous suivre, on dirait que les acteurs béninois ne sont pas libres dans leurs créations ?
Il est difficile de juste dire qu’il n’existe pas une liberté d’expression artistique au Bénin mais à travers des recherches et des rencontres de travail avec les acteurs, on comprend vite les menaces, la frustration, la peur et la résignation qui règnent en eux. En effet, en 2012 un projet de recherche sur la liberté d’expression artistique en Afrique a été initié par Arterial Network, et il en résulte qu’il existe bel et bien des limitations, des pressions dans la liberté d’expression créative et artistique.
Quelles peuvent en être les motivations ?
Au Bénin, ces motivations sont premièrement d'ordre religieux (mention de textes sacrés ou de symboles religieux, reproduction de mélodies ou de paroles de chansons interprétées dans des lieux de culte, références sexuelles, etc) ; ensuite d'ordre coutumier à travers des prohibitions claniques diverses ; puis politiques (parce que le pouvoir n’est pas critiquable) et en fin économiques parce que les subventions de l’Etat pour la culture peuvent être coupées… Ces résultats de la recherche du projet Artwatch Africa ont été confirmés à travers une rencontre professionnelle tenue avec les acteurs culturels au Hall des Arts de Cotonou en début de l’année 2015. Donc effectivement il existe quelques soucis de liberté d’expression artistique.
Pour finir notre démonstration, il faut remarquer que les professionnels des médias malgré leur structuration, leur niveau d’organisation, la législation et leur niveau d’entendement de leurs droits et devoirs sont brimés, réprimandés et menacés. La liberté de presse au Bénin régresse depuis 2006. Notre pays a quitté la 23è place en 2006 pour la 84è en 2015. Et c’est parce que les professionnels des médias sont organisés et font beaucoup de bruits autour de leurs droits que l’opinion prend conscience du drame. En culture, l’abcès est dans les couilles et ronge silencieusement.
Que gagnent concrètement les artistes à travers votre initiative surtout les notions en plaidoyer que vous leur prodiguez ?
Comme je l’ai dit plus haut, c’est d’abord le renforcement des capacités que nous visons. C’est aussi de ces programmes de formation et des échanges entre acteurs que naîtra la solidarité et le germe de travailler ensemble parce que quelque soit les disciplines artistiques et métiers dans le secteur des arts, le mal est général. Pour rallier cette solidarité avec d’autres acteurs, nous avons lancé la campagne «1000 signatures pour la culture et la liberté d’expression artistique au Bénin». Quand nous arriverons à atteindre les 1000 signatures, on entend agir et interagir directement avec au moins la moitié. Nous étendrons les rencontres et échanges artistiques à toutes les autres villes du pays et constituer un groupe de pression. Nous travaillons aussi avec des spécialistes de Droit et des acteurs de la société civile comme Nouvelle Ethique, Social Watch Bénin, Wanep afin de faire des propositions de législations qui permettront aux artistes et acteurs culturels de s’exprimer librement. Nous comptons également approcher le pouvoir Exécutif et le Parlement pour plaider la cause.