La Nation Bénin...
En
vue d’une meilleure coopération transfrontalière, le Bénin et le Nigeria ont
entrepris, cette semaine à Parakou, à la suite de plusieurs autres actions, de
transformer les espaces de dialogue des aires linguistiques Baatonou, Boo et
Yoruba-Nago en des cadres de concertation dotés, chacun, d’un plan d’action,
d’un mémorandum d’entente. En marge de cet événement, Simon Adébayo Dinan,
maire de Pobè et président de l’Association béninoise des communes frontalières
(Abcf) revient, dans cette interview exclusive, sur les enjeux et défis de la
coopération transfrontalière entre les deux pays.
La Nation : Monsieur Simon Adébayo Dinan, quelle est, aujourd’hui, la situation dans les communes frontalières avec le Nigeria, qui oblige les deux pays et les aires linguistiques Baatonou, Boo et Yourba-Nago à se retrouver autour d’une même table pour élaborer un plan transfrontalier de développement local pour chaque aire linguistique ?
Simon
Adébayo Dinan : Les populations des communes frontalières ont le sentiment
d’être oubliées, délaissées. Elles sont frustrées. De la frustration naît la
révolte et de la révolte peut naître l'extrémisme violent et tout ce que nous
ne souhaitons pas. Donc, pour les dirigeants que nous sommes, nous devons quand
même œuvrer pour l'épanouissement des populations de ces espaces frontaliers.
Mais il faut reconnaître qu'au niveau du Bénin, à travers l’Agence béninoise de gestion intégrée des frontières (Abegief), il y a beaucoup d'actions qui ont été menées et d’autres qui sont en cours à l'endroit des populations des espaces frontaliers.
Quelles sont les sources de problèmes ou de conflits entre les populations transfrontalières ?
Il
y a, entre autres, la question de la transhumance et les conflits entre
éleveurs et agriculteurs. Même s'il y a aujourd'hui des textes au Bénin, qui
réglementent cela, ce secteur continue d'être une source de problèmes. Ensuite,
il y a la gestion des ressources naturelles. Nous rencontrons aussi d'autres
petites situations, notamment par rapport au commerce transfrontalier sur
lequel nous devons travailler afin de réguler cela. Nous sommes dans l'espace
Cedeao qui promeut la libre circulation des personnes et des biens. Donc,
chaque Etat devrait s'organiser pour l'effectivité de cette disposition de la
Cedeao.
Quels sont les défis à relever dans les communes frontalières avec le Nigeria ?
En
termes de défis dans les espaces frontaliers, il faut s'appuyer sur trois
piliers. Le premier, c’est la sécurisation des frontières à travers la mise en
place et la construction des commissariats de police qui seront dotés de
matériel adéquat et de personnel.
Le
deuxième pilier sur lequel nous devons travailler, c'est le développement des
espaces frontaliers. Et cela, c'est à travers la réalisation des
infrastructures socio- communautaires de base, notamment les centres de santé,
les écoles, l'accès à l'électricité, à l'eau, au réseau téléphonique et
l'accessibilité des voies et pistes rurales. C'est un problème crucial
aujourd'hui dans les espaces frontaliers.
Le
troisième pilier, c'est la coopération transfrontalière. Il faut créer des
cadres de concertation de part et d'autre pour que les populations puissent
collaborer et communiquer, parce qu'en réalité, il n'y a pas de frontière. Nous
sommes les mêmes. Si nous partons de Sèmè-Podji jusqu'à Malanville, vous verrez
qu'il n'y a pas de frontière. Lorsque vous prenez les communes de Sèmè-Podji,
Adjarra et Avrankou, les populations parlent la langue Tori avec leurs
homologues de Badagry au Nigeria. Lorsque vous allez dans le département du
Plateau, les cinq communes à savoir Ifangni, Sakété, Adja-Ouèrè, Pobè et Kétou,
et vous remontez vers les départements du Borgou et des Collines avec des
communes telles que Savè, Ouèssè et Tchaourou, nous parlons les mêmes langues
que nos frères d’Ogun State de l'autre côté du Nigeria, notamment le Yoruba. Et
lorsque vous montez un peu vers les communes de Pèrèrè, Nikki, Kalalé, sans
oublier une partie de Tchaourou, c'est la langue Baatonou. Lorsque nous
évoluons vers Ségbana, entre autres, c'est le Boo et du côté de Malanville,
c'est le Dendi.
Tout cela pour dire qu'en réalité, il n'y a pas de frontière. Ce sont les colons qui nous ont divisés. Et donc la frontière, il faut la connaître, l'accepter, mais il faut surtout l'effacer. Pour effacer les frontières, il faut travailler pour la promotion de la coopération transfrontalière. Voilà un peu les défis que nous devons relever et je pense que nous travaillons véritablement pour y arriver.
Ce n'est pas la première fois qu'on évoque ce genre de sujet. C’est à croire que cela n’évolue pas sur le terrain malgré les efforts déployés par les gouvernements du Bénin et du Nigeria. Finalement, ne serait-on pas fondé de penser que ces cadres de concertation seront des regroupements de plus ?
Ces
cadres ne seront pas des regroupements de plus. D'abord, au niveau du Bénin,
comme je l'ai précisé, il y a beaucoup d'actions que le gouvernement mène au
niveau des communes frontalières à travers l’Abegief. Et depuis 2021 que nous
avons pris les rênes de l'association, nous avons décidé d'en faire une
association proche des populations. Donc, chaque année, nous organisons des
tournées dans les communes frontalières du Bénin. Au terme de notre première
série de tournées en 2021, nous avons rédigé notre rapport que nous avons
déposé au chef de l'État. Ce qui l'a amené à créer depuis 2022, le Programme
d’urgence de développement des espaces frontaliers (Pudef). C’est un Programme
dans lequel il a été fait obligation à tous les ministères sectoriels de mettre
un accent sur les espaces frontaliers, dans leur planification annuelle. Ce qui
fait qu'aujourd'hui, il y a beaucoup d'actions qui sont menées en faveur de nos
communes frontalières.
Par
rapport aux cadres de concertation, nous avons eu la grâce de participer à la
mise en place du Schéma d'aménagement transfrontalier intégré (Sati) à Korhogo,
en Côte d'Ivoire et à Bakel, au Sénégal. De cette expérience, nous avons vu que
ces cadres de concertation intéressent nos partenaires. Ils sont prêts à
financer des projets intégrateurs. Un projet où les bénéficiaires sont à la
fois les populations de deux ou plusieurs pays intéresse. Donc, la mise en
place de ces cadres permettra de mobiliser les ressources pour régler des
problèmes. Les problèmes que la partie béninoise seule ou la partie nigériane
seule ne peut pas régler. Or, quand elles se mettent ensemble, il est facile de
trouver des financements pour les régler. Quand je prends, par exemple, la
question de la réalisation du pont de Savè, je suis certain que lorsque nous
allons finaliser la mise en place du cadre de concertation, ce problème fera
partie des premiers défis que nous allons relever, pour ne citer que cette
action.
En gros, la mise en place des cadres de concertation est une action très importante qui va déboucher sur plusieurs projets à réaliser pour la quiétude et l’épanouissement des populations des espaces frontaliers.
Un mot pour conclure cet entretien.
Je voudrais, à travers l’Abegief et la Nbc, féliciter et encourager les gouvernements du Bénin et du Nigeria pour les efforts qui sont déployés. Je remercie aussi nos partenaires et j’invite tous les acteurs impliqués dans la gestion des espaces frontaliers à se mettre véritablement ensemble pour que nous puissions relever les défis qui sont les nôtres. Nous avons besoin de sécuriser nos frontières. Quant aux maires, je nous invite à nous engager davantage et à donner priorité à nos frontières pour la paix dans nos pays et pour la promotion de la coopération frontalière.
Simon Adébayo Dinan, maire de Pobè et président de l’Abcf