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Prix du ciment: L’impact négatif de la spéculation

Economie

Alors que l’État fixe un prix uniforme pour le ciment, certains commerçants multiplient les stratégies pour créer artificiellement la pénurie et revendre le produit à un prix élevé. Entre pertes financières, projets bloqués et exaspération grandissante, des citoyens dénoncent une situation devenue insoutenable.

 

Par   Babylas ATINKPAHOUN, le 03 déc. 2025 à 07h20 Durée 3 min.
#ciment

Le ciment, matériau essentiel à toute construction, devient à des moments donnés un véritable casse-tête pour bon nombre de ménages. Dans certains points de vente, le paquet de ciment est proposé à des prix dépassant largement les tarifs réglementés. Une situation d’autant plus incompréhensible que l’État maintient un prix officiel uniforme, et que les producteurs affirment n’avoir pas modifié leurs tarifs. Pour les consommateurs, l’impact est direct. Les maçons, les ménages engagés dans la construction progressive de leurs logements ou encore les entrepreneurs du secteur Btp voient leurs budgets exploser. Les projets sont ralentis, parfois même abandonnés, en raison de cette flambée aussi brutale qu’illégale. Des ruptures de stock créées s’observent dans plusieurs villes du Bénin, notamment à Cotonou, Abomey-Calavi, Sèmè-Kpodji, Lokossa, Bohicon ou encore Parakou. Des magasins qui, il y a quelques heures encore, étaient pleinement approvisionnés, ferment soudainement leurs portes ou prétendent être en attente d’un nouvel arrivage. Dans la foulée, d’autres points de vente dans le même quartier proposent subitement la tonne à 82 000 F Cfa, voire 85 000 F Cfa alors que le prix officiel est à environ 72 000f selon les localités.

Pour Juste Hountondji, chef maçon à Fidjrossè, la situation devient parfois intenable. «On nous dit que le ciment est fini, mais le soir, on voit des camions décharger dans les boutiques. Le lendemain matin, le prix a déjà augmenté. Nous, les petits maçons, on perd des chantiers à cause de ça », dénonce-t-il. À Godomey, une jeune promotrice de chantier, Léa Atakè, raconte comment son projet s’est retrouvé bloqué à cause des spéculations sur le prix du ciment. « On était prêt à couler la dalle. Le vendeur m’a dit qu‘il n’y en a plus à 78 000 F, mais si vous êtes pressés, j’ai un stock spécial à 85 000 F Cfa. Je me suis sentie prise au piège », raconte-t-elle. Sur les chantiers, la situation impacte directement finances, délais et relations contractuelles. Dans un quartier en pleine expansion d’Abomey-Calavi, un propriétaire a dû suspendre la construction de son appartement locatif. « Le maçon m’a dit qu’il ne pouvait plus suivre le budget parce que le ciment changeait chaque jour. Comment planifier un chantier avec un produit dont le prix varie comme s'il l'on est sur le marché noir ? », se demande-t-il. Les entreprises de Btp dénoncent, elles aussi, des coûts imprévisibles, des marchés remis en cause et une perte de compétitivité.

L’Etat fixe le prix, les spéculateurs l’ignorent

Pourtant, le cadre réglementaire est clair. Le gouvernement fixe les prix. Les producteurs s’y conforment. La seule différence réside dans le coût du transport. Le reste n’est que manipulation. Valentin Togbé, directeur général de Scb-Lafarge, le rappelle. « Le prix du ciment dans la société de fabrication X n’est pas différent du prix dans la société Y. C’est le gouvernement qui fixe le prix du ciment et il est uniforme. La différence se fait uniquement au niveau du transport », fait-il savoir. Selon lui, les variations récentes sur le marché n’ont rien à voir avec les coûts de production. « Si le prix augmentait à l’usine, nous communiquerions officiellement. Tout vendeur qui dit que c’est l’usine qui l’a augmenté manipule les populations», dénonce Valentin Togbé.

De nombreux commerçants, sous anonymat, reconnaissent des pratiques illicites. L’un d’eux, rencontré à Gbodjè dans la commune d’Abomey-Calavi, assume à demi-mot. « Quand le stock commence à baisser, on garde une partie pour la revendre plus cher. Si les gens sont pressés, ils paient. Si nous vendons au prix normal quand il y a rareté, nous perdons des opportunités », confie-t-il. Il affirme que lorsque les fournisseurs viennent livrer, ils font des réserves pour ne pas tout vendre à prix réglementé. « Parfois, on préfère attendre deux ou trois jours. Les clients reviennent eux-mêmes proposer le prix d’or parce qu’ils en ont impérativement besoin », raconte-t-il. Ces aveux illustrent des pratiques bien ancrées dont la rétention de stock, la création délibérée de rareté, la vente en coulisse à des prix exhorbitants, la spéculation organisée par des réseaux entiers de distributeurs. Les spéculateurs justifient souvent leurs prix illégaux par une prétendue hausse du coût de fabrication. Une version que dément catégoriquement le directeur général de la Scb-Lafarge. « Le ciment est produit à partir du calcaire, de l’argile, avec des combustibles importés. Tout a un coût, certes, mais aucun changement brutal n’est intervenu. Les charges sont maîtrisées », explique Valentin Togbé. Face à ces dérives, la suggestion des industriels est de dénoncer et sanctionner, avec un rôle majeur que les citoyens doivent jouer. « Un client qui constate des prix supérieurs au tarif officiel a le droit et même le devoir de se plaindre aux autorités compétentes. Ces commerçants doivent être sanctionnés selon la loi », insiste Valentin Togbé. Plusieurs consommateurs ignorent encore cette possibilité, laissant les spéculateurs agir en toute impunité.