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Dr Valère Salako au sujet des écosystèmes de mangroves : « Ce sont de véritables puits de carbone »

Environnement
Par   Fulbert Adjimehossou, le 06 avr. 2022 à 15h54
Les mangroves sont des ressources qui, conservées, peuvent rapporter gros sur le marché du carbone. Dr Valère Salako, coordonnateur scientifique du Laboratoire de biomathématiques et d’estimations forestières (Labef) de l’Uac, en donne les raisons sur la base de travaux réalisés ces dernières années sur la côte.

La Nation : A quoi ça sert d’estimer les stocks de carbone au niveau des écosystèmes ?

Dr Valère Salako : Avec le contexte de changement climatique, c’est connu de tous que le principal gaz à effet de serre à l’origine du réchauffement climatique, c’est le CO2. C’est aussi connu qu’il y a certains écosystèmes qui, à travers leurs composantes (e.g. des arbres et du sol sans les forêts), piègent le CO2 sous forme de carbone. Alors, estimer la quantité de carbone qu’un écosystème peut stocker devient important pour savoir les écosystèmes sur lesquels il faut investir le peu de ressources disponibles pour la conservation et la gestion durable. C’est là toute l’importance des travaux sur l’estimation de stocks de carbone. Ça permet d’évaluer la quantité de carbone que l’écosystème est capable de stocker, mais aussi d’aller sur le marché du carbone, où vous pouvez vendre le carbone stocké dans un écosystème que vous protégez et gérez durablement. Les prix actuels varient entre 30 et 90 euros la tonne (environ 20 000 à 60 000 F Cfa) selon les marchés. Ces fonds recouvrés peuvent aider à gérer durablement la ressource et à motiver davantage les acteurs qui y travaillent et concourent à la gestion durable de cet écosystème. Ces fonds peuvent aussi en partie servir à l’amélioration des conditions de vie des populations riveraines à ces écosystèmes.

Vous avez beaucoup travaillé ces dernières années sur les écosystèmes de mangroves. Est-ce que vous confirmez à travers vos estimations que ce sont des puits de carbone à protéger ?

Bien sûr. C’est aujourd’hui un secret de Polichinelle que les écosystèmes de mangroves font partie des grands puits de carbone. On estime que ces écosystèmes stockent jusqu’à 5 fois, voire plus, le carbone que d’autres écosystèmes terrestres tropicaux peuvent stocker. Cela explique toute l’importance de la conservation de ces écosystèmes. Dans le cadre des travaux que nous avons réalisés, nous nous sommes principalement intéressés aux impacts des activités anthropiques sur le stock de carbone. Donc, nous avons évalué le stock de carbone dans des mangroves bien protégées et dans des mangroves dégradées (par l’exploitation du bois pour le feu). Nous avons évalué deux composantes essentielles de ce stock de carbone : la composante aérienne qui concerne tout ce qui est au-dessus du sol et la composante en dessous, c’est-à-dire au niveau des racines et dans le sol. Le sol en lui-même piège et stocke le carbone.

Quelles sont les estimations obtenues ?

Les estimations suggèrent que dans un écosystème de mangrove protégé qui est plus ou moins bien conservé, on a jusqu’à 220 tonnes de carbone à l’hectare. Par contre, lorsque l’écosystème est dégradé, perturbé par des activités anthropiques, telles que la récolte du bois, il stocke en moyenne au maximum 130 tonnes à l’hectare, soit 90 tonnes de moins. Il y a donc un intérêt à protéger les mangroves. Cette quantité de carbone que nous avons trouvée dans les écosystèmes de mangroves font trois fois la quantité que d’autres études ont rapportée dans les forêts claires, et quatre à six fois la quantité de carbone que des études ont rapportée pour des savanes arborées et arbustives. Donc, il est impérieux de conserver ces écosystèmes, bien qu’ils ne couvrent qu’une infime partie de notre territoire. Les populations doivent savoir que c’est un joyau et une ressource importante qu’elles ont et qu’elles côtoient. Le rôle de ces écosystèmes n’est plus à démontrer. Il faut faire en sorte à les conserver, mais aussi à s’organiser pour aller vers les marchés du carbone qui, en quelque sorte, permettront de compenser les efforts substantiels de conservation tant des populations locales, des organisations de la société civile que de l’Etat central.