La Nation Bénin...
La disponibilité et l’utilisation libre des semences
locales et paysannes au Bénin doivent se perpétuer comme c’est le cas depuis
des millénaires. Pas donc de semence unique. C’est l’un des combats que mènent
les agro-écologistes béninois pour la protection, la sauvegarde, la
disponibilité des semences locales et paysannes et la souveraineté alimentaire.
Patrice Sagbo, ingénieur en santé et protection animales, membre du Réseau
national pour la protection des ressources génétiques au Bénin (Jinukun) et
grand activiste de la nature, évoque ici les enjeux de la lutte pour la
conservation des semences locales.
La Nation : Qu’entend-on par semence locale ?
Patrice Sagbo : Partons d’abord de la semence elle-même
qui est une entité biologique, vivante qui assure la pérennisation de la vie
pour le bonheur de toute l'humanité. Elle est d'origine végétale, animale et
piscicole. Elle est même dans les micro-organismes que nous ne voyons pas.
La semence locale existe depuis des millénaires. Lorsque
les premiers peuples sont nés, ils ont eu besoin de se soigner, de manger, de
rester en harmonie avec l'environnement. Et dans la Bible, Genèse 1, Dieu a
créé le ciel et la terre, l'eau, les rivières, le soleil et la nuit, etc. Et au
sixième jour, il a dit à l'homme, je te confie tout ça pour que tu t'en
nourrisses. C'est ça l'origine. Donc, c'est grâce aux efforts de conservation
des hommes, des peuples, des communautés que nous avons aujourd’hui le maïs, le
manioc, etc. C'est pour cela que nous devons soutenir ces efforts faits depuis
des millénaires par nos paysans, nos communautés locales pour que nous-mêmes
nous puissions en jouir aujourd’hui et conserver de sorte que cela puisse
bénéficier également aux générations futures.
Les écotypes sont les semences importées, qui sont venues
et qui ont pris des couleurs. Ce sont les couleurs qu’on appelle écotypes. Ces
semences sont venues d'ailleurs, se sont ajoutées, se sont adaptées à nos
terres, à nos conditions climatiques et on les appelle écotypes quand bien même
elles ne sont pas originaires de chez nous. Tout cela associé à celles que nous
avons déjà s'appelle semences locales.
Les semences paysannes sont celles qui proviennent
directement de nos paysans, qui connaissent comment on les utilise, comment on
les manipule, comment on les conserve, comment on les transforme pour vraiment
se nourrir.
Vous faites partie des acteurs qui luttent pour la conservation de ces semences. Pourquoi un tel combat ?
C'est au vu des menaces auxquelles nous sommes exposés.
Les semences uniques ne donnent aucun accès libre à nos paysans et à nos
consommateurs. Les gens mettent des brevets sur les semences uniques et disent
que ce sont eux qui en ont le monopole. Ce sont eux qui décident de
l’augmentation des prix, qui décident de ci et de ça.
Qu’il vous souvienne, depuis les années 90, il y a
l'avènement des organismes génétiquement modifiés. En effet, il y a une poignée
de commerçants de semences dans le monde qui ont pris en otage le secteur
semencier dans le monde entier et surtout l'Afrique, qui savent que l'Afrique
est un gros marché. Pour eux, les Africains ne peuvent pas vendre des semences.
Les Africains doivent seulement consommer les semences qu’eux-autres
produisent. Pour eux, les Africains ne peuvent pas avoir la mainmise sur leurs
propres semences. Ça veut dire que si nous devons semer à chaque saison, nous
devons être suspendus à leurs lèvres. Ce sont eux qui décident si on doit semer
ou pas. Ce sont eux qui décident du prix de nos semences. Ce sont eux qui
décident si on doit diversifier. Il se fait qu'ils nous proposent des semences
uniques. Ils ne respectent pas le principe de la biodiversité, le principe de
la diversité des semences parce qu'on nous dit quand même que dans le droit des
consommateurs, le consommateur est libre de décider de ce qu’il veut manger.
C'est lui qui choisit. Il choisit là où il doit planter, quand il va planter.
Et tout ça, c'est la souveraineté alimentaire qui est un principe très cher
pour nous.
C'est pour cette raison que nous nous battons pour que
nos semences ne disparaissent pas, ou bien qu’elles ne soient pas remplacées
par des semences que nos paysans ne maîtrisent pas, des semences qu’ils n'ont
pas la capacité de reproduire eux-mêmes. Nous ne voulons pas être dépendants.
C'est pour cela que nous sommes vigilants et nous faisons la veille permanente.
Au fond, les semences uniques ne sont-elles pas une opportunité, vu la poussée démographique du continent?
Vous êtes sans doute au courant que nous nous battons
contre l’Union pour la protection des obtentions végétales (Upov). L’Upov dit:
puisque les semences nous appartiennent, nous mettons des règles de restriction
pour que plus personne n'accède à ces semences sans que nous ayons décidé de
ceci ou de cela. Si tu utilises ces semences sans avoir leur autorisation
préalable, on peut te mettre en prison. Et même les sous-produits issus de ces
semences que tu as achetées peuvent te conduire en prison. C’est inacceptable !
L’Upov ne reconnaît pas les lois nationales qui
contrôlent, sauvegardent et conservent les semences de chez nous. Elle interdit
aux paysans de conserver, de produire, de vendre, de distribuer ses semences.
L’Upov dit qu’avant que tes semences soient reconnues, elles doivent remplir
plusieurs conditions dont celle de l’uniformité. Le danger lorsque vous avez
une semence comme cela, qui n'est pas diversifiée, c’est que lorsqu’une
catastrophe arrive, tout disparaît. Si une maladie frappe cette semence dont on
parle, il n’y a rien qui subsiste, alors qu’ici, avec nos semences locales,
lorsqu’une maladie frappera une variété, vous avez plusieurs autres variétés
qui vous aideront à continuer par produire pour la sécurité alimentaire. Le
paysan du Bénin n’a pas besoin d’aller solliciter l’autorisation avant de
produire. Il produit quand il veut, il connait les saisons, il produit où il
veut pour d’abord satisfaire ses besoins et le surplus est vendu sur le marché.
Donc, notre lutte n'est pas une lutte orientée. Non, c'est une lutte holistique. Elle n'est pas dressée contre quelqu'un. C'est pour le bien-être de tout le monde.
En toute franchise, est-ce que l’agroécologie peut nourrir nos pays ?
Depuis une trentaine d'années, Jinukun avait parlé des
Organismes génétiquement modifiés, mais les gens n’y avaient pas cru. Au
Burkina Faso, sous le régime Compaoré, toute l’Afrique de l’Ouest s’est
mobilisée pour marcher contre l’introduction des Ogm dans le pays. Les
autorités n’ont pas voulu écouter. On les a laissées faire, et vous avez vu ce
qui s’est passé.
Toutes les promesses que Monsanto leur a faites par
rapport au coton sont allées à l'eau. Les gens leur avaient dit qu’ils auront
plus de production, que la fibre va augmenter de longueur. Malheureusement, la
fibre est devenue plus ramollie qu’ils
n’en ont jamais vu. Le coton du Burkina Faso est déclassé complètement. Je ne
sais plus s’ils ont vraiment renoncé à Monsanto et quel rang le pays occupe.
Le Bénin leur a ravi la vedette tout en restant dans le
traditionnel. Ça veut dire que la solution n’est pas dans les Ogm. Le Bénin n'a
pas fait de coton Ogm, mais il dépasse aujourd'hui le Burkina Faso. Il produit
plus de coton que le Burkina Faso qui était le premier dans la sous-région.
Donc, ceux qui demandent si l’agroécologie peut nourrir le monde ont la réponse
à leur question.
De plus, est-ce que le Bénin est en guerre ? C'est lorsqu’il y a la guerre qu'on dit qu'il n'y a pas à manger, qu'on peut donner n'importe quoi aux populations. Ici, nous sommes un pays en paix. Nos populations sont disponibles. En 2008, lorsqu'il y a eu le dernier épisode de faim dans la sous-région, après avoir subventionné le pain, les pâtes, etc., le gouvernement a créé ce qu'il a appelé Programme d'urgence d'appui à la sécurité alimentaire (Puasa). Il a amélioré les vallées, donné les semences et les intrants et a fait le suivi et consorts. Les paysans ont produit au-delà des attentes et le gouvernement n'a même pas été capable d'offrir les infrastructures pour mieux conserver. Dans la même période, avec ses réserves, le Bénin est allé en aide au Niger et au Togo. Je m'en souviens encore comme si c'était hier. Ça veut dire que les paysans ont démontré leur capacité à travailler pour la sécurité et la souveraineté alimentaires du Bénin.
Avez-vous l'impression d’être entendu dans ce combat contre les semences uniques ?
Nous, nous n’allons jamais baisser les bras. Nous continuerons parce que ce que nous faisons, c'est pour accompagner les différents gouvernants dans l'atteinte de l’objectif qui est l'accès à la nourriture, l'accès à l'alimentation saine. Ceux qui avaient refusé l'agroécologie hier sont revenus aujourd'hui pour dire : on fait un programme national pour l'agroécologie au Bénin. Nous avons aujourd'hui une stratégie nationale pour le développement de l'agriculture biologique et agroécologique. Les résultats ne nous satisfont pas encore, mais nous n’en sommes pas déçus non plus. Nous savons que tout ce que nous disons a des impacts, résonnent dans les oreilles de qui de droit. Et nous allons continuer la sensibilisation et la mobilisation à travers diverses activités que nous mettons en œuvre depuis des années.
Patrice Sagbo