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Précieux Christian Béhanzin, ingénieur socio-environnementaliste: « Eriger l’économie circulaire en priorité nationale, c’est protéger la biodiversité »

Environnement
Précieux Christian Béhanzin Précieux Christian Béhanzin

Les enjeux liés à l’environnement et la biodiversité sont énormes. Dans un contexte de pollution environnementale, une multitude d’approches sont préconisées afin de réduire la production de déchets. Parmi celles-ci figure l’économie circulaire. Une initiative sur laquelle Précieux Christian Béhanzin, ingénieur, socio-environnementaliste, spécialiste des questions de gestion des déchets et d’économie circulaire, revient dans cet entretien. 

Par   Alexis METON A/R Atacora-Donga, le 09 sept. 2025 à 09h19 Durée 3 min.
#biodiversité

La Nation : Il est dit que l’économie circulaire est une voie incontournable pour l’avenir de nos sociétés. Vous qui en avez fait un champ majeur de votre expertise, comment la définiriez-vous et quel est l’état des lieux aujourd’hui au Bénin ?

Précieux Béhanzin : L’économie circulaire, c’est avant tout une manière différente de penser nos modes de production et de consommation. Contrairement au modèle linéaire classique (produire, consommer, jeter), elle cherche à boucler la boucle. Concrètement, cela signifie réduire au minimum les déchets et considérer toute ressource en fin de vie comme une matière première pour autre chose. De façon simple, dans la nature, rien ne se perd, tout se transforme. Une feuille tombée d’un arbre devient compost, nourrit le sol et contribue à une nouvelle croissance. L’économie circulaire s’inspire de ce principe : prolonger la durée de vie des produits, encourager la réutilisation, le recyclage et la valorisation, et éviter le gaspillage.

C’est aussi un modèle qui va au-delà de la gestion des déchets. Il implique de repenser la conception des produits, l’organisation des filières, les comportements de consommation, et même les politiques publiques. L’économie circulaire n’est donc pas seulement une approche environnementale; c’est aussi une stratégie économique qui crée des emplois, stimule l’innovation et renforce la résilience des sociétés. Au Bénin, même si le modèle dominant reste encore linéaire, on observe une multiplication d’initiatives porteuses : des projets de compostage des déchets organiques, des programmes de recyclage du plastique, des innovations locales autour de la jacinthe d’eau ou encore des petites entreprises qui transforment les déchets en matériaux utiles.

Cela montre que nous sommes dans une phase de transition, avec un potentiel très fort si ces efforts sont mieux structurés et soutenus. Dans mes recherches et mon travail de terrain, j’ai pu constater que l’économie circulaire n’est pas une idée totalement nouvelle pour les communautés béninoises. Historiquement, elles ont toujours eu des pratiques de réutilisation, de transformation et d’ingéniosité dans la valorisation des restes. Ce savoir-faire existe, mais il manque aujourd’hui une organisation, une reconnaissance institutionnelle et un accompagnement pour lui permettre de se déployer à grande échelle. Mon rôle, en tant que chercheur et praticien, est justement de documenter ces expériences locales, de les accompagner et de créer des ponts entre elles et les politiques publiques, afin que l’économie circulaire devienne non pas une exception, mais une norme dans notre pays.

Le Bénin vient de valider, le 15 mai dernier, son premier Plan d’action national pour l’économie circulaire, sur lequel vous avez d’ailleurs travaillé. Quels enjeux stratégiques ce modèle ouvre-t-il pour l’avenir du Bénin ?

J’ai effectivement travaillé sur ce Plan d’action en tant que coordinateur de l’équipe des experts nationaux. Validé le 15 mai dernier, ce document est le fruit d’un processus de réflexion et de planification stratégique mené par Africa circular (ex Acen Foundation) sur sollicitation de la Banque africaine de développement (Bad). Conduit de manière participative avec l’ensemble des acteurs concernés (institutions publiques, collectivités locales, société civile, secteur privé et partenaires techniques et financiers), ce travail me permet d’affirmer que l’économie circulaire représente aujourd’hui un enjeu majeur et structurant pour notre pays.

Les bénéfices sont triples. Sur le plan économique, elle permet de réduire notre dépendance aux importations, de développer de nouvelles filières industrielles et artisanales, et de créer des emplois verts, en particulier pour les jeunes et les femmes qui constituent la majorité de notre population active.

Sur le plan environnemental, elle contribue à réduire les pollutions, à préserver les ressources naturelles et à limiter la pression croissante sur les écosystèmes sensibles comme les zones humides ou les cités lacustres.

Sur le plan social, elle favorise l’inclusion, améliore la santé publique en réduisant les décharges sauvages et stimule l’innovation communautaire. Promouvoir et ériger véritablement l’économie circulaire en pilier du développement durable revient aussi à apporter un appui de qualité aux actions déjà menées, avec efficacité et de manière exceptionnelle, par la Société de Gestion des Déchets et de Salubrité (SGDS), en renforçant leur impact et leur portée.

Mais au-delà de ces dimensions, il est essentiel de rappeler que l’économie circulaire est aussi un instrument clé pour l’action climatique. Sa mise en œuvre contribue directement à l’atteinte des Contributions déterminées au niveau national (Cdn) du Bénin, notamment en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de promotion d’un développement résilient et sobre en carbone. En d’autres termes, elle n’est pas seulement un outil de gestion des déchets ou d’efficacité économique, elle s’inscrit dans une vision plus large de transition écologique et de respect des engagements internationaux du pays. Ainsi, l’économie circulaire apparaît comme une véritable stratégie de développement durable pour le Bénin, capable de transformer nos défis actuels (pollution, chômage, vulnérabilité climatique, etc.) en leviers d’innovation, de compétitivité et de résilience.

Pouvez-vous nous présenter le Plan d’action pour l’économie circulaire du Bénin que vous avez contribué à élaborer : ses grands axes, ses priorités et ses ambitions ?

Le Plan d’action national pour l’économie circulaire du Bénin est le premier cadre stratégique du pays dans ce domaine. Il a été élaboré à partir d’un diagnostic approfondi et de larges consultations avec l’ensemble des parties prenantes, dans le cadre d’une initiative régionale portée par la Banque africaine de développement (Bad). Ce plan vise à dissocier la croissance économique de la surconsommation des ressources et de la production de déchets, en promouvant des modes de production et de consommation durables. Il est aligné sur le Programme d’action du gouvernement (Pag 2021-2026) et sur le Plan d’action continental de l’Union africaine (2024-2034). Son ambition est double : transformer les défis environnementaux en opportunités économiques et sociales  et contribuer à l’atteinte des Odd 12 et 13 ainsi qu’aux Cdn du Bénin.

Cinq secteurs prioritaires ont été identifiés : l’agriculture et la foresterie, les déchets solides, les plastiques, les transports et la mobilité, ainsi que la construction. Certains disposent déjà de dynamiques solides, d’autres offrent un potentiel important d’innovation et de transformation. Le Plan intègre aussi des dimensions transversales essentielles comme l’inclusion des jeunes et des femmes, le renforcement des capacités, le soutien aux entreprises, l’innovation industrielle, la mobilisation des financements verts et la coopération régionale. Sur le plan opérationnel, il repose sur une feuille de route progressive sur dix ans, à partir de 2025 : des mesures immédiates de sensibilisation et de réglementation, des actions à moyen terme pour développer des infrastructures et des financements, et des projets structurants à long terme, notamment dans l’industrie et la technologie. La gouvernance est confiée au ministère du Cadre de Vie et des Transports en charge du Développement durable, avec un comité intersectoriel et un mécanisme de suivi-évaluation basé sur des indicateurs clairs et des bilans annuels jusqu’en 2035.

En résumé, ce plan n’est pas seulement un document technique : c’est une feuille de route nationale ambitieuse, qui combine vision stratégique et réalisme opérationnel. Il offre au Bénin l’opportunité de devenir un pionnier de l’économie circulaire en Afrique de l’Ouest, en transformant ses contraintes environnementales en moteurs de développement durable et inclusif.

Quels peuvent être les impacts de l’économie circulaire sur l’écosystème et la biodiversité?

L’économie circulaire a des effets structurants sur les écosystèmes et la biodiversité. En limitant la quantité de déchets produits et en réduisant les décharges sauvages, elle diminue fortement la pollution des sols, de l’air et des eaux. Cela contribue à restaurer la qualité des milieux naturels et à préserver les habitats essentiels pour de nombreuses espèces, qu’elles soient terrestres ou aquatiques. En d’autres termes, moins de déchets dans la nature, c’est moins de pression sur la biodiversité et une meilleure résilience des écosystèmes.

Elle agit aussi comme un levier de restauration écologique. Le compostage des déchets organiques, par exemple, permet de régénérer les sols agricoles, de maintenir leur fertilité et de réduire l’utilisation d’engrais chimiques, souvent responsables de la dégradation de la biodiversité. Le recyclage du plastique et d’autres matières limite leur dispersion dans les lacs, les rivières ou les forêts, protégeant ainsi la faune et la flore locales. Quant à la valorisation de ressources comme la jacinthe d’eau, elle transforme un fléau écologique en opportunité, tout en rétablissant l’équilibre des écosystèmes aquatiques. A Ganvié par exemple, la jacinthe d’eau, cette plante invasive qui obstrue les voies de navigation et qui étouffe le lac est aujourd’hui utilisée pour fabriquer des objets artisanaux, du compost et même des briquettes de cuisson.

Dans des milieux particulièrement sensibles comme les zones humides, que j’ai étudiés à travers mes recherches doctorales, l’économie circulaire devient un outil indispensable. Elle contribue à maintenir les services écosystémiques qui soutiennent la vie quotidienne des communautés: la pêche, l’agriculture, l’accès à l’eau ou encore le tourisme. En réduisant les pollutions et en favorisant des pratiques durables, elle protège à la fois la biodiversité et les moyens de subsistance des populations locales.

Enfin, il faut souligner, encore une fois, que la mise en œuvre effective de l’économie circulaire s’inscrit dans une dynamique plus large, celle de la lutte contre les changements climatiques. En protégeant la biodiversité et les écosystèmes, elle contribue directement à l’atteinte des Contributions déterminées au niveau national (Cdn) du Bénin, notamment dans les volets liés à l’atténuation des émissions de gaz à effet de serre et à l’adaptation. Préserver les écosystèmes, c’est préserver les puits de carbone, les régulateurs naturels du climat et les sources de résilience pour les générations futures.

En somme, ériger l’économie circulaire en priorité nationale, c’est protéger la biodiversité, restaurer nos écosystèmes et renforcer le lien vital entre l’homme et la nature. C’est aussi donner au Bénin une voie concrète pour conjuguer développement durable, justice sociale et respect de ses engagements internationaux.