La Nation Bénin...
Les défis liés à la disponibilité et l’accès aux eaux souterraines continuent de préoccuper les dirigeants. Au niveau régional, l’Algérie, le Bénin, le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Nigéria partagent le système aquifère d’Iullemeden-Taoudéni/Tanezrouft (Ittas). Cette ressource subit aussi les effets de la pollution et de la minéralisation. La semaine dernière, les acteurs du projet Ittas étaient à Cotonou pour discuter du sujet et partager les meilleures pratiques. A travers cet entretien, Soumaya Mouhli, expert en Eau à l’Observatoire du Sahel et du Sahara (Oss), explique les facteurs à la base de la pollution et de la minéralisation de ces eaux, menaçant l’exploitation de la ressource.
La Nation : Quelles sont les causes de la pollution des eaux souterraines au Sahel et au Sahara ?
Soumaya Mouhli : La pollution des eaux souterraines est provoquée par plusieurs facteurs, dont notamment les activités socio-économiques: l'agriculture, la pêche, l'industrie, les activités minières. Ça c’est lorsqu'elles ne sont pas contrôlées, lorsqu'elles ne sont pas encadrées. Dans ces conditions, elles affectent les ressources naturelles et ça donne un effet négatif, qui est la pollution.
Et moi, je dis un peu que c'est aussi l'ignorance qui fait qu'on est en train de développer des activités sans prendre en compte l'aspect environnemental, parce que pour certaines personnes, l'aspect environnemental, c'est toujours secondaire, ce n'est pas nécessaire. On regarde toujours le côté matériel des activités qu'on est en train de pratiquer. Après un certain nombre d'années, on se rend compte que l'encadrement environnemental était nécessaire.
Qu'en est-il de la minéralisation ?
En fait, la pollution et la minéralisation sont deux phénomènes un peu liés. La minéralisation, c'est l'augmentation de la concentration de certains éléments chimiques dans l'eau, qui est toujours provoquée par les effets néfastes, généralement de la pollution qui vient de l'industrie, c'est-à-dire des eaux industrielles qui sont non traitées, qui sont jetées directement dans la nature. Comme exemple, l'orpaillage utilise des métaux lourds qui sont jetés directement dans la nature.
L'effet de l'orpaillage est direct. Lorsque tu es dans la zone d'orpaillage, sur le fleuve ou sur la rivière, sur le cours d'eau, tu vois clairement des poissons morts qui flottent à la surface de l’eau. Donc, il y a des effets qui sont directement observés et il y a des effets qui viennent avec le temps. Et il faut signaler quelque chose que les gens ne savent pas trop, c'est qu'on a généralement tendance à penser que les eaux souterraines sont des eaux qui sont naturellement protégées, ce qui n'est pas le cas. Les eaux souterraines sont exposées à la pollution de la même façon que les eaux de surface.
Pourquoi, par exemple, lorsqu'on prend le complexe du fleuve du Niger, avec la nappe souterraine du complexe Itas, Illumiden, Taoudni et Tanzouf, on a appris à travers les études qu'on a menées depuis le début du projet que le fleuve et la nappe communiquent ensemble. En saison sèche, c'est la nappe qui alimente le fleuve et en saison de pluie, c'est le fleuve qui alimente la nappe. Donc, lorsque le fleuve est touché, la nappe est directement touchée et vice versa.
Par exemple, lorsqu'on pratique généralement les activités agricoles, qui constituent la première activité pratiquée dans la zone, en utilisant les intrants chimiques, les fertilisants, tout cela est absorbé par le sol, et ils sont directement conduits à la nappe. C'est ça que les gens doivent comprendre. Le point fort de cette étude, c'est que les gens sont conscients et sont engagés. Ils sont preneurs de solutions, c'est-à-dire qu'il ne faut pas aller vers un agriculteur ou un pêcheur pour lui dire qu'il faut arrêter cette activité. Non, il faut lui dire : je te donne la solution, je te dis comment encadrer et comment tu dois faire, il est avec toi. Et c'est ça vraiment la logique du projet Ittas et c'est ça ce qu'on a fait avec tous les pays.
Vous disiez que l’initiative exécute des projets pilotes qui ont un impact direct sur les habitants…
Par exemple, on fait des périmètres agricoles avec des techniques d'irrigation et avec des cultures subaériennes pour montrer à l'agriculteur qu'il peut générer plus s'il suit les techniques. Nous avons exécuté une autre expérience avec la plantation d'arbres pour la protection contre les inondations, pour la prévention contre les changements climatiques. Nous avons conduit des projets pilotes pour le renforcement du suivi de la nappe, parce que si on veut bien planifier, on doit avoir les données exactes pour pouvoir le faire. Dans la zone Ittas, il y a 30 millions de personnes et le nombre va évoluer. Donc, si cette nappe est touchée, c'est toutes ces personnes qui seront touchées.
Quelle est la part des changements climatiques dans les problèmes liés à la ressource en eaux souterraines ?
C’est l’un des défis majeurs au plan mondial et dans la zone spécifiquement, parce que cette zone souffre du dérèglement climatique. C'est-à-dire que la saison sèche est parfois plus longue et plus dure, et la saison des pluies est marquée par des pluies averses et torrentielles dans un laps de temps, dans lequel on ne peut pas agir réellement. Même pour les agriculteurs, le calendrier cultural change. Vous savez qu’en la matière, les agriculteurs ont un certain savoir-faire qu'ils ont acquis à travers les années. Mais maintenant, avec le changement climatique, ils n'arrivent plus à se retrouver. La saison sèche est parfois plus longue et elle commence parfois plus tôt ou parfois plus tard.
Donc, nous essayons de trouver des solutions à cela. C'est pourquoi nous essayons de bien connaître le potentiel de notre nappe. Combien on peut exploiter et comment on peut l'exploiter ? Parce qu'une nappe est régénérée et rechargée. Mais tu ne dois pas la surexploiter, c'est-à-dire l’exploiter et tirer plus qu'elle est rechargée, car avec le temps, le niveau pluviométrique va s’abaisser. Et lorsqu'on descend, c'est de l'énergie, c'est de l’argent, tout est en relation avec les moyens financiers.
Soumaya Mouhli