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Din Yifan au sujet de la modernisation des relations sino-béninoises: « L’expérience chinoise montre qu’il est utile de s’inspirer de modèles étrangers… »

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Din Yifan Din Yifan

A l'heure où la Chine redéfinit sa place sur la scène mondiale à travers son modèle de "modernisation à la chinoise" et son initiative des Nouvelles Routes de la Soie, les relations sino-africaines suscitent un intérêt croissant. Dans cet entretien exclusif, Din Yifan, chercheur au Centre de recherche sur le développement du Conseil des affaires d’Etat chinois, revient sur les fondements et les spécificités du modèle chinois de développement. Il analyse son éventuelle adaptabilité au contexte béninois, dresse un bilan des relations sino-béninoises et propose des pistes concrètes pour renforcer un partenariat mutuellement bénéfique et durable.

Par   Isidore Gozo, le 07 oct. 2025 à 09h41 Durée 3 min.
#Coopération sino-béninoise

La Nation : Comment définiriez-vous la "modernisation à la chinoise"?

Din Yifan : Les objectifs de la modernisation de la Chine ont été fixés depuis les années 1950, puis révisés avec quelques modifications mineures. Ces objectifs ont été annoncés par le Premier ministre de l’époque, Zhou Enlai, et réaffirmés par Deng Xiaoping dans les années 1980. Ils incluent la modernisation de la production industrielle, de l’agriculture, de la science et des technologies, ainsi que de la défense nationale. Étant à l’époque un pays en retard de développement, la Chine visait à rattraper les pays avancés dans ces domaines. Ces dernières années, le Pib chinois a successivement dépassé celui de la plupart des pays développés, notamment en termes de parité de pouvoir d’achat, un critère que le Fmi et la Cia considèrent comme plus juste pour comparer les économies nationales. Selon ce critère, la Chine a dépassé les États-Unis pour devenir la première puissance économique mondiale. En matière de développement scientifique et technologique, la Chine est également en tête à l’échelle mondiale. Lors du défilé militaire du 3 septembre dernier, elle a démontré au monde les avancées dans la modernisation de ses équipements militaires. De ce point de vue, la "modernisation à la chinoise" est la synthèse d'une voie propre et pragmatique pour atteindre ses objectifs de développement.

Quels sont, selon vous, les piliers les plus importants de ce modèle ?

Le premier pilier fondamental est la direction stable du Parti communiste chinois. Cette stabilité permet l'application cohérente des politiques publiques, avec des résultats visibles et mesurables. Le deuxième facteur est le soutien populaire. La modernisation du pays est un objectif largement partagé par la population. Chaque étape franchie renforce l’adhésion du peuple, qui associe son bien-être personnel à celui du pays. Le troisième pilier est un corps de fonctionnaires professionnels de carrière, capables de planifier le développement à court et à long termes. Ces professionnels assurent une coordination efficace entre les différents secteurs à savoir :  économique, social, scientifique, technologique selon une logique de progrès systémique.

En quoi ce modèle se distingue-t-il du modèle de développement occidental ou d’autres modèles alternatifs ?

Le modèle chinois n’est pas né de nulle part. À ses débuts, la République populaire s’est inspirée du modèle soviétique, dans un contexte mondial bipolaire. La Chine a adopté une économie planifiée, l’industrialisation rapide, et la mécanisation de l’agriculture. Ce modèle a permis des avancées rapides, mais a aussi montré ses limites : faible place laissée à l’initiative privée, inadéquation entre l’offre planifiée et les besoins du marché. Avec la réforme et l’ouverture, la Chine s’est ensuite inspirée de certains éléments du modèle occidental, notamment européen. Elle a libéralisé son marché tout en conservant une régulation macroéconomique forte. La Chine n’a jamais copié un modèle dans son intégralité. Elle s’est montrée pragmatique, en adaptant les principes à sa propre réalité nationale. Elle a conservé une certaine concurrence dans le marché tout en maintenant une régulation étatique. Contrairement à la dichotomie marché vs État présente dans certains pays occidentaux, la Chine a su combiner les deux, permettant une industrialisation rapide, en quelques décennies seulement, là où d’autres ont mis un siècle ou plus.

 

Le modèle chinois de modernisation est-il adaptable au contexte de développement du Bénin ?

L’expérience chinoise montre qu’il est utile de s’inspirer de modèles étrangers, mais qu’il est impératif de les adapter à la réalité locale. Le Bénin ne peut pas copier le modèle chinois à l’identique. Sa taille, son marché intérieur, ses ressources diffèrent considérablement. Toutefois, le Bénin peut identifier ses avantages comparatifs qui peuvent évoluer dans le temps et concentrer ses efforts sur ces secteurs stratégiques. Une autre leçon importante est la nécessité de former un corps de fonctionnaires professionnels capables de planifier le développement national. La Chine peut jouer un rôle clé dans la formation de ces cadres.

Quelles sont les opportunités que le partenariat avec la Chine offre au Bénin dans le cadre de ses objectifs de développement?

Il serait utile d’établir un mécanisme de consultation régulier entre la Chine et le Bénin pour définir, suivre et ajuster les objectifs de développement du Bénin. Le marché chinois, immense, représente une opportunité commerciale majeure pour les exportateurs béninois. Par ailleurs, le transfert de compétences et l’appui technique chinois peuvent renforcer les capacités de gestion publique du Bénin. Pour cela, une coopération efficace est nécessaire, axée sur des résultats concrets pour les populations.

Ces dernières années, quels sont les projets de coopération les plus emblématiques entre la Chine et le Bénin ?

Ces dernières années, la Chine a renforcé sa présence sur le continent africain, y compris au Bénin. La Chine dispose de capacités de construction d’infrastructures incroyables dans le monde, et a aidé le Bénin à réaliser des constructions qui marquent I’histoire récente du pays, tels le Stade de l'Amitié de Kouhounou, les infrastructures routières, le siège de l'Assemblée nationale, etc. La Chine a aidé le Bénin à améliorer les infrastructures de télécommunication, si bien qu'aujourd’hui, les Béninois peuvent se connecter avec le monde entier sans difficulté. Une infrastructure solide de télécommunication change aussi le mode de vie de la population et le mode de fonctionnement de l’économie locale. Il suffit de penser à votre mode de vie il y a vingt ans pour s’en convaincre.

Quel impact la coopération culturelle et la formation des étudiants et professionnels béninois en Chine peuvent-elles avoir sur le développement du Bénin?

 

La coopération culturelle et la formation des étudiants et professionnels béninois en Chine sont essentielles pour le succès du développement du Bénin, car ces échanges permettent aux bénéficiaires de mieux connaître les raisons du succès de la Chine, de mieux s'inspirer du modèle chinois, au lieu de le copier simplement. Ce genre de formation est utile pour construire un corps de fonctionnaires professionnels de carrière, qui serait crucial pour la définition et l'application des plans de développement du pays. La Chine veut bien aider les pays africains à trouver leur voie d’industrialisation, mais un élément déterminant du succès de l’industrialisation africaine réside dans la formation d’un corps d'ingénieurs compétents. La formation de fonctionnaires et d’ingénieurs compétents, en particulier dans les domaines des Stem (sciences, technologies, ingénierie, mathématiques), est cruciale pour le développement futur du Bénin. La Chine peut contribuer activement à cette dynamique.

Quelles recommandations feriez-vous aux décideurs béninois et chinois pour que le partenariat entre les deux pays soit mutuellement plus bénéfique et durable ?

 

Aux décideurs béninois, je propose de renforcer la planification stratégique du développement national, de former des fonctionnaires de haut niveau, de dialoguer de façon franche et régulière avec les partenaires chinois et de mettre l’accent sur les résultats concrets pour les populations. Aux décideurs chinois, je leur recommande de prendre en compte les spécificités locales, de soutenir la formation des ressources humaines béninoises, de favoriser des projets à fort impact social et économique et d’encourager une coopération gagnant-gagnant, fondée sur le respect mutuel et la durabilité.