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Prolongation de l’Agoa d’un an: Un répit fragile pour le commerce entre les États-Unis et l’Afrique

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Donald Trump Donald Trump

La fin annoncée de l’African Growth and Opportunity Act (Agoa), qui devait expirer le 30 septembre, a été évitée in extremis. L’administration du président américain Donald Trump a finalement décidé d’en prolonger la validité d’un an, offrant un répit bienvenu aux 35 pays africains qui bénéficient depuis 2000 de cet accord commercial leur permettant d’exporter des milliers de produits vers les États-Unis sans droits de douane. Cette décision, saluée à travers le continent africain, ne dissipe toutefois pas les inquiétudes croissantes quant à l’avenir des relations commerciales entre Washington et l’Afrique. Elle souligne le caractère précaire d’un partenariat fondé sur le libre-échange, mais de plus en plus mis à mal par le protectionnisme américain.

 

Par   Catherine Fiankan-Bokonga, Correspondante accréditée auprès de l’Office des Nations Unies à Genève (Suisse), le 02 oct. 2025 à 08h27 Durée 3 min.
#loi Agoa #Etats-Unis

Adopté sous l’administration Clinton, l’Agoa a constitué un tournant majeur en remplaçant partiellement l’aide par le commerce. En vingt-cinq ans, le programme a permis la création de centaines de milliers d’emplois en Afrique subsaharienne, notamment pour les femmes et les jeunes, dans des secteurs à forte intensité de main-d’œuvre tels que le textile, l’agriculture et l’agro-industrie.

En 2023, les importations américaines au titre de l’Agoa ont représenté près de 10 milliards de dollars. Aujourd’hui, l’accord pèse encore pour 65 % des exportations africaines vers les États-Unis, illustrant la dépendance de certaines économies africaines à ce régime préférentiel.

Des pays comme le Kenya, le Lesotho ou l’Eswatini ont bâti des filières industrielles entières grâce à l’Agoa, notamment dans le vêtement et la transformation agroalimentaire. Dans le cas du Lesotho, le secteur de l’habillement emploie 30 000 à 40 000 travailleurs, en grande majorité des femmes.

Répit entaché par le protectionnisme

La prolongation de l’Agoa ne règle toutefois pas les difficultés immédiates auxquelles font face les exportateurs africains. Depuis le printemps 2025, l’administration Trump a imposé des tarifs réciproques allant de 10 % à 30 % sur de nombreux produits, dont certains comme le thon en conserve ou l’habillement  étaient auparavant entièrement exonérés de droits de douane grâce à l’Agoa.

Ces mesures protectionnistes sapent l’avantage compétitif que le régime préférentiel avait garanti pendant deux décennies. Pour les entreprises africaines, notamment dans le textile et l’agroalimentaire, l’augmentation soudaine des droits de douane s’est traduite par une baisse des commandes et des pertes d’emplois.

« La prolongation d’un an est un soulagement, mais elle ne suffit pas à rétablir la confiance », commente un économiste de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced), basée à Genève (Suisse). « Les investissements dans les secteurs à forte valeur ajoutée nécessitent une visibilité sur plusieurs années, pas des décisions prises au dernier moment. »

Impact inégal sur le continent

Les conséquences de cette incertitude sont très variables d’un pays à l’autre. Les exportateurs de matières premières, comme le Nigeria, l’Angola ou la République démocratique du Congo, sont relativement épargnés, car leurs principales exportations  combustibles, minerais  bénéficient déjà de droits faibles ou d’exemptions. En revanche, les économies diversifiées et les petits pays spécialisés dans le manufacturier léger, tels que le Lesotho, le Kenya, le Cap-Vert, Madagascar ou la Tanzanie, sont les plus vulnérables. Pour certains, la fin de l’Agoa aurait pu entraîner des hausses de droits moyens jusqu’à 20 %, doublant le coût d’accès au marché américain et menaçant des dizaines de milliers d’emplois. Ces écarts soulignent la fragilité d’un modèle de développement reposant sur un accès préférentiel à un seul marché.

Enjeu pour l’industrialisation et la lutte contre la pauvreté

L’Agoa a longtemps été considéré comme un levier de diversification des exportations et d’industrialisation, réduisant la dépendance du continent à l’égard des matières premières. Sa disparition, même temporairement écartée, aurait risqué de compromettre les efforts pour développer des chaînes de valeur locales, freiner l’emploi féminin et creuser les inégalités.

L’exemple de Madagascar, qui avait perdu son éligibilité entre 2009 et 2015 après un coup d’État, reste un avertissement: des dizaines d’usines de confection avaient fermé et des milliers d’emplois avaient été détruits avant d’être partiellement recréés à la réadmission du pays dans le dispositif.

Pressions diplomatiques et incertitudes stratégiques

La décision de la Maison-Blanche est intervenue sous le lobbying intensif de dirigeants africains, notamment en marge de la récente Assemblée générale des Nations unies à New York. Elle montre que Washington souhaite maintenir un dialogue économique avec le continent, mais l’absence de perspectives à long terme fragilise la relation.

Les économistes soulignent aussi que le contexte géopolitique complique la donne. La concurrence accrue de la Chine et de l’Union européenne pour accéder aux marchés africains pousse les pays du continent à diversifier leurs partenaires commerciaux. L’incertitude sur l’Agoa pourrait accélérer ce basculement. « Le message envoyé par les États-Unis est ambigu : ils prolongent l’accord, mais leurs politiques tarifaires vont à l’encontre de l’esprit du partenariat », analyse un expert africain du commerce international. « Cela oblige l’Afrique à repenser sa stratégie, notamment en misant davantage sur la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) pour réduire sa dépendance. »

Sursis à transformer en opportunité

La prolongation d’un an de l’Agoa offre aux deux parties une fenêtre de négociation cruciale. Les responsables africains espèrent qu’elle permettra d’engager un dialogue de fond sur un partenariat plus durable et plus équilibré, prenant en compte les besoins d’industrialisation et de montée en gamme du continent.

Faute d’accord structurel à plus long terme, la menace d’un retour en arrière commercial persistera, pesant sur l’emploi et le développement dans des secteurs clés et érodant la crédibilité des États-Unis comme partenaire de croissance pour l’Afrique.

Catherine Fiankan-Bokonga