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République démocratique du Congo: Plaidoyer à Genève pour les victimes de guerre et exigence de justice internationale

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Les ministres congolais présents en Suisse ont dénoncé les crimes massifs commis à l’Est du pays Les ministres congolais présents en Suisse ont dénoncé les crimes massifs commis à l’Est du pays

Le Palais des Nations à Genève a servi, au cours des deux premiers jours de la 60e Session du Conseil des droits de l’homme, de caisse de résonance aux revendications de la République démocratique du Congo (Rdc). Tandis que ses représentants mettaient en avant un dispositif inédit de réparation pour des millions de victimes de guerre, les ministres congolais présents en Suisse ont dénoncé les crimes massifs commis à l’Est du pays et exigé une réponse internationale à la hauteur de la tragédie qui dure depuis plus de trois décennies, dans l’indifférence la plus totale.

 

Par   Catherine Fiankan-Bokonga, Correspondante accréditée auprès de l’Office des Nations Unies à Genève (Suisse), le 11 sept. 2025 à 08h45 Durée 3 min.
#République Démocratique du Congo

Créé en 2022, le Fonds national de Réparation pour les Victimes de violences sexuelles liées aux conflits (Fonarev) reste la principale vitrine de la réponse congolaise à l’impératif de justice transitionnelle. Contrairement aux mécanismes d’aide dépendants des bailleurs extérieurs, ce dispositif inédit de réparation s’appuie sur des ressources nationales pérennes-redevances minières, taxe carbone, contributions d’assurance. «C’est un modèle inédit où l’État congolais finance directement réparation et accompagnement des victimes », explique son directeur, Patrick Fata. Plus de 400 000 victimes pré-identifiées, des cliniques mobiles déployées en Ituri et dans la Tshopo, et les premières indemnisations en cours témoignent de l’ancrage institutionnel de l’initiative.

À ses côtés, François Kakese Simasa, de la Commission internationale d’aide aux victimes (Cia-Var), a plaidé pour une reconnaissance internationale du génocide congolais, rappelant « l’extermination de peuples entiers pour des motifs liés à l’exploitation économique des richesses du pays », avec un bilan humain évalué entre 10 et 12 millions de morts.

Le réquisitoire du ministre de la Justice

Mais c’est la voix de Guillaume Ngefa, ministre d’État, ministre de la justice et garde des Sceaux congolais, qui a donné le ton lors d’une conférence de presse organisée par l’Acanu (Association des correspondants auprès des Nations Unies à Genève). « Des crimes massifs et systématiques sont commis en Rdc par les supplétifs de l’Afc/M23 : massacres de civils, déplacements forcés, violences sexuelles, enrôlement d’enfants, attaques contre des hôpitaux et des écoles », a-t-il déclaré. Il a dénoncé le massacre de juillet dernier à Rutshuru, où près de 300 civils ont été exécutés, évoquant aussi les conclusions de Human Rights Watch documentant l’assassinat ciblé de 140 Hutus, « un germe de génocide ». « Le Conseil des droits de l’homme a déjà condamné ces crimes et exigé le retrait du M23 et des forces rwandaises. Pourtant, cette exigence reste lettre morte », a-t-il regretté. Le ministre appelle désormais à l’opérationnalisation rapide d’une Commission d’enquête indépendante, dotée d’enquêteurs capables d’identifier et de traduire les responsables en justice.

Un appel pressant du ministre des Droits humains 

Le ministre des Droits humains, Samuel Mbemba, a pour sa part, insisté sur la nécessité d’une prise de conscience internationale. «En Rdc, depuis plus de 30 ans, des faits similaires se produisent. Nous disons : ça suffit. Il faut que ceux qui ignorent la situation en prennent conscience, à travers les chiffres et les faits précis survenus en Rdc. C’est le sens de la campagne que nous venons de lancer ici à Genève, et que nous poursuivrons dans tous les hauts lieux où se rencontrent les dirigeants du monde, afin de sensibiliser sur le génocide en Rdc », a-t-il déclaré face à la presse internationale réunie à l’Onu..

Kinshasa défend son armée

Le gouvernement congolais a également tenu à répondre aux critiques visant ses propres forces armées. « Les Fardc sont une armée républicaine, soumise au droit international», a insisté Patrick Muyaya, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement congolais, réfutant tout lien de commandement avec les Fdlr. «Les tentatives de fausse symétrie entre une armée nationale et un groupe armé supplétif d’un État voisin sont inacceptables », a-t-il tranché. Concernant les milices dites wazalendo, constituées spontanément en réaction aux massacres, le ministre admet des dérives, mais affirme que des mesures de discipline et un processus rigoureux sont désormais en place avant toute intégration dans la réserve militaire. « Nous condamnons fermement toute exaction et engageons des sanctions contre les auteurs », a-t-il précisé.

Le constat alarmant de l’Onu

Le Haut-Commissaire aux droits de l’homme, Volker Türk, a confirmé la gravité des crimes. Dans son rapport oral, il décrit «une mission d’établissement des faits essentielle dans un contexte de désinformation et de violence généralisée ». Selon lui, toutes les parties au conflit M23 soutenu par le Rwanda, Fardc, milices locales se rendent coupables de crimes graves : exécutions sommaires, enlèvements massifs, enrôlements forcés d’enfants, violences sexuelles à grande échelle. Les témoignages recueillis par son équipe font état de massacres d’ampleur inédite, notamment en Rutshuru et lors du tristement célèbre carnage de Kishishe en novembre 2022. Le Haut-Commissaire exige que le Rwanda retire ses troupes et cesse d’appuyer le M23, et appelle la Rdc à renforcer la discipline de ses forces.

“Briser le cycle de l’impunité”

Face à une tragédie humaine que le ministre de la communication, Patrick Muyaya, qualifie de « gouvernance par crimes », Kinshasa réclame des actes concrets : la mise en place immédiate d’une Commission d’enquête indépendante et des moyens pour que la justice internationale fasse son œuvre. « Ce n’est que par des actions tangibles, non par de simples paroles, que nous soulagerons les souffrances de millions d’innocents », a martelé le garde des Sceaux, Guillaume Ngefa. Le message, porté devant les diplomates de Genève, vise à rappeler que le conflit congolais n’est plus seulement une affaire régionale mais une urgence mondiale.

Au moment où le Fonarev offre de nouvelles perspectives de réparation à des victimes que l’histoire avait effacées, Kinshasa entend, plus que jamais, imposer la vérité des faits et exiger justice. Dans cette quête, Genève s’inscrit comme une étape cruciale dans ce processus de reconnaissance.

Catherine Fiankan-Boknga