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Approche constructiviste dans les relations internationales: Réprobation quasi universelle contre le contrôle de Gaza

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Ambassadeur Dr. Théodore C. Loko Ambassadeur Dr. Théodore C. Loko

L’actualité internationale autour du contrôle de Gaza met en lumière une dynamique de plus en plus marquée dans les relations internationales : la centralité des idées, des normes et des valeurs dans la formation des positions politiques et diplomatiques. 

Par   Théodore C. Loko, le 13 août 2025 à 08h28 Durée 3 min.
#relations internationales

Contrairement à l’analyse strictement réaliste, qui mettrait l’accent sur les rapports de force militaires et les intérêts stratégiques, ou à la lecture libérale privilégiant les institutions et les régulations, l’approche constructiviste attire l’attention sur la manière dont les perceptions, les représentations collectives et les normes partagées façonnent les comportements des acteurs internationaux.

Dans le cas de Gaza, la réprobation quasi universelle s’explique moins par un calcul géopolitique pur que par la diffusion d’un référentiel normatif global fondé sur la dignité humaine, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et le rejet de la domination territoriale arbitraire.

Plutôt que de s’enfermer dans les logiques classiques du réalisme, centrées sur les rapports de force, ou du libéralisme institutionnel, axé sur la régulation étatique, l’approche constructiviste privilégie les normes partagées, les représentations collectives et les constructions identitaires comme leviers de changement politique. Dans le cas de Gaza, l’indignation qui traverse les opinions publiques, les institutions internationales et les médias ne repose pas sur des moyens matériels, mais sur des valeurs de dignité, droit à l’autodétermination, protection des civils  désormais consolidées dans une raison publique internationale.

L’histoire récente fournit plusieurs précédents :

- l’apartheid en Afrique du Sud, qui s’est effondré non simplement sous la pression géopolitique, mais en raison d’une légitimité éthique en ruine construite par des mobilisations transnationales normatives.

- De même, la chute du mur de Berlin n’est pas uniquement attribuable à l’effritement économique du bloc soviétique, mais également à l’émergence d’une aspiration partagée à la liberté et à l’unité européenne, attisée par une transformation des perceptions collectives.

- Aujourd’hui à Gaza, les politiques de contrôle coercitif se heurtent à une délégitimation croissante, car elles sont incompatibles avec les normes désormais intégrées à l’opinionship internationale. L’afflux de condamnations publiques, les appels au respect du droit international et la dénonciation des atteintes humanitaires traduisent un consensus émergent fondé sur une éthique des peuples   qui fait des populations les sujets moraux des relations internationales, et non de simples variables d’ajustement diplomatique.

Les perspectives de la raison publique internationale à partir de la situation à Gaza

La situation à Gaza constitue un terrain d’analyse privilégié pour comprendre les mutations de la raison publique internationale à l’ère contemporaine. Cette notion, héritée du philosophe John Rawls et adaptée aux relations internationales par plusieurs penseurs contemporains, désigne l’espace où se croisent les justifications politiques accessibles à la raison de tous, en transcendant les particularismes nationaux ou religieux. En d’autres termes, la raison publique internationale invite à formuler des arguments qui puissent faire consensus au-delà des divergences culturelles ou idéologiques, fondés sur des valeurs universellement recevables telles que la dignité humaine, la justice et la paix.

La crise à Gaza, qui mobilise une large partie de la communauté internationale, expose à la fois les défis et les potentialités d’un tel espace de délibération globale

Premièrement, la raison publique internationale appelle à un dépassement des logiques binaires et souverainistes, centrées sur la seule défense des intérêts nationaux ou étatiques. Depuis des décennies, les acteurs impliqués dans le conflit israélo-palestinien revendiquent des positions souvent irréconciliables, où la souveraineté et la sécurité sont mises en avant comme des priorités exclusives. Pourtant, la multiplication des appels internationaux en faveur d’un respect accru des droits humains, d’un cessez-le-feu durable et d’une résolution fondée sur la justice témoigne d’une progression vers une logique qui dépasse le simple intérêt stratégique pour s’ancrer dans des normes plus universelles.

Cette dynamique renvoie directement à l’idée de raison publique telle que théorisée par Rawls dans The Law of Peoples1, où il souligne la nécessité pour les peuples et États de justifier leurs actions dans un langage commun et compréhensible par tous, notamment en matière de droits humains fondamentaux. La réprobation contre les conditions de vie à Gaza, contre le blocus et les attaques, s’inscrit dans cette logique : elle met en avant une éthique minimale qui transcende les différends politiques pour affirmer une norme commune sur le respect de la vie et de la dignité humaine.

Cependant, la situation à Gaza révèle également les limites actuelles de la raison publique internationale, notamment en raison de la persistance de fortes asymétries de pouvoir et d’intérêts divergents qui rendent difficile la construction d’un consensus véritablement effectif. La raison publique ne garantit pas l’accord automatique ; elle suppose un espace de dialogue où s’affrontent des raisons à la fois fondées et respectueuses de la pluralité des visions. Or, les affrontements armés, la rhétorique belliqueuse et les fractures politiques régionales complexifient ce processus, illustrant que la raison publique est un idéal à atteindre, et non une réalité déjà réalisée.

Dans ce contexte, la médiation des organisations internationales et des acteurs tiers s’avère cruciale. L’Onu, avec ses multiples agences, joue un rôle pivot en formulant des normes, en surveillant les violations et en facilitant la concertation entre parties. Par ailleurs, les Ong internationales, les groupes religieux œcuméniques et la société civile mondiale contribuent à élargir la base argumentative de la raison publique en rendant visibles les souffrances humaines et en incarnant une conscience morale transnationale. Ces acteurs participent à la diffusion d’un discours global qui cherche à ancrer la résolution du conflit dans une logique de droits et de justice, non plus uniquement dans la balance des forces.

Par ailleurs, la situation à Gaza invite à repérer la dimension dynamique et évolutive de la raison publique internationale, laquelle se construit et se transforme au gré des événements, des discours et des mobilisations collectives. La normativité internationale n’est pas figée ; elle s’enrichit continuellement grâce à des exemples historiques où les idées et les principes ont modifié profondément les relations entre États et peuples. Ainsi, le parallèle avec la fin de l’apartheid en Afrique du Sud ou la chute du mur de Berlin souligne que la raison publique internationale peut progressivement faire reculer les politiques d’exclusion et d’oppression en imposant de nouveaux standards moraux.

Dans ce processus, la dignité humaine apparaît comme un pivot fondamental. La reconnaissance mutuelle des peuples, en particulier des populations palestiniennes, dans leur droit à la sécurité, à la liberté et à une vie digne, constitue une condition sine qua non de toute résolution durable. Cette reconnaissance doit passer par un dialogue interculturel qui dépasse les stéréotypes et les discours polarisés, à la fois au niveau des acteurs locaux et de la communauté internationale. C’est là que la raison publique joue un rôle crucial en proposant un langage commun permettant d’articuler ces exigences légitimes dans un cadre respectueux des diversités.

Enfin, la situation à Gaza souligne la nécessité d’une responsabilité partagée dans la communauté internationale. La raison publique internationale ne s’arrête pas à la confrontation entre parties directement impliquées, mais engage l’ensemble des acteurs internationaux, États, organisations régionales, sociétés civiles à prendre part à la résolution du conflit. Cette responsabilité collective s’inscrit dans une perspective de justice globale, où la paix durable est envisagée non seulement comme l’absence de conflit armé, mais comme un projet politique fondé sur l’équité, la réconciliation et le respect des droits fondamentaux.

En conclusion, la situation à Gaza offre une illustration poignante des enjeux de la raison publique internationale. Si elle révèle les difficultés de la construction d’un consensus global face à des conflits asymétriques et prolongés, elle montre également la force des normes et idées universelles qui guident les mobilisations contemporaines. La raison publique, en formulant un espace délibératif fondé sur des valeurs partagées, offre une perspective renouvelée pour la paix et la justice internationales. Son développement est essentiel pour dépasser les logiques binaires des relations internationales classiques et pour construire un ordre international plus humain et inclusif.

Ce tournant est au cœur de l’approche constructiviste, telle que formulée par Alexander Wendt : les structures internationales y compris l’anarchie ne sont pas données, elles sont construites socialement ; les identités et intérêts des États sont produits par des normes et des interactions, pas déterminés par des réalités matérielles immuables. Ainsi, la force du droit ou de la morale n’est pas exceptionnelle, mais le produit d’un changement de pratiques qui transforme la légitimité du système.

En définitive, la réprobation universelle à l’encontre du contrôle de Gaza illustre que la diplomatie contemporaine est de plus en plus conditionnée par la normativité construite collectivement. L’approche constructiviste ne nie ni la puissance ni les institutions, mais elle montre qu’elles sont replâtrées chaque jour par les normes qui les sous-tendent et que la conscience collective des peuples peut, dans certains contextes, devenir une puissance transformatrice des relations internationales.