La Nation Bénin...
Lorsque, à la suite d’un accident de la vie, on devient dépendant, l’aide reçue est souvent vitale. Un ami vous prête des béquilles, vous aide à tenir debout, à avancer, à ne pas tomber. Puis, un jour, pour des raisons qui lui appartiennent, il reprend ses béquilles, estimant qu’il en a assez fait. Le choc est rude. Mais parfois, dans cet instant précis, on découvre que l’on peut tenir seul, voire marcher sans appui. Dans ce cas, ne faudrait-il pas dire merci ? Car l’aide qui ne prépare pas à l’autonomie finit par devenir une dépendance. Et le récipiendaire qui ne se donne pas les moyens de s’en affranchir demeure, à sa manière, sous tutelle.
La publication de la National Security Strategy (Nss 2025) par l’administration Trump confirme un tournant profond dans la manière dont les États-Unis envisagent leur place dans le monde. Le document assume une rupture nette: fin de l’idéalisme libéral, recentrage radical sur les intérêts américains, affirmation d’ « America First » à la fois économique, énergétique, géopolitique et civilisationnel.
Si l’Afrique n’y occupe qu’une place réduite, elle n’en demeure pas moins significative. Car ce New Deal américain n’est pas un programme pour l’Afrique; c’est un programme pour les États-Unis, conçu pour consolider leur puissance dans un monde devenu plus compétitif. C’est précisément pour cette raison que les dirigeants africains doivent s’y intéresser.
La question essentielle n’est pas : « Que veut Washington ? »
Elle est de savoir ce que l’Afrique choisira d’en faire.
L’Afrique entre dans une époque où l’aide, les récits moralisateurs et les partenariats asymétriques cèdent la place à une diplomatie transactionnelle fondée sur la géoéconomie et les rapports de force. Dans ce contexte, le New Deal de Trump pourrait offrir au continent une fenêtre de lucidité stratégique, à condition de la saisir pleinement.
Cette doctrine m’inspire sept pistes stratégiques pour nourrir la réflexion active des dirigeants africains.
1. Sortir définitivement de la logique d’aide : place à la géoéconomie
La Nss 2025 enterre clairement la diplomatie du don. Washington veut désormais investir, commercer et sécuriser ses intérêts économiques, énergétiques et industriels. Pour l’Afrique, c’est l’occasion de réaliser le basculement tant attendu : passer de la dépendance à la négociation, du statut de « bénéficiaire» à celui de co-producteur de valeur, en imposant transformation locale, effets d’entraînement et obligations industrielles.
Autrement dit, l’époque où l’Afrique était abordée comme un espace à assister s’efface au profit d’une relation fondée sur les intérêts économiques et les rapports de force. Dans ce nouveau cadre, la capacité à négocier, transformer et créer de la valeur devient déterminante.
2. Comprendre le nouveau critère américain : la fiabilité
Le mot clé n’est plus «bonne gouvernance » ni «démocratie», mais fiabilité. Un pays est « fiable » s’il est stable, prévisible et capable de tenir ses engagements. L’enjeu n’est donc plus moral; il est stratégique. Cela impose aux États africains de renforcer leurs institutions, leur capacité d’anticipation et leur crédibilité diplomatique.
3. Saisir la reconfiguration énergétique mondiale comme accélérateur africain
Trump rejette l’agenda Net Zero, qui vise la neutralité carbone par la réduction progressive des énergies fossiles au profit de sources bas carbone, et privilégie un triptyque assumé: gaz, pétrole et nucléaire. L’Afrique risque dès lors d’être réduite à un simple réservoir énergétique pour les transitions industrielles occidentales ou à un terrain d’implantation technologique sans réel transfert de compétences. Les dirigeants africains doivent donc imposer leur propre mix énergétique, négocier des partenariats équilibrés et exiger des transferts de technologies sur l’ensemble de la chaîne de valeur.
4. Domestiquer la rivalité Chine – États-Unis plutôt que de la subir
Le XXIe siècle se joue dans les pays émergents, donc en Afrique. Face à la rivalité sino-américaine, l’Afrique doit cesser de basculer d’un partenaire à l’autre. L’enjeu n’est pas de choisir Washington ou Pékin.
L’enjeu est de choisir l’Afrique, lucidement et stratégiquement.
5. Construire une autonomie sécuritaire africaine
Les États-Unis annoncent qu’ils ne s’engageront plus dans des opérations prolongées sur le continent: plus de nation-building, plus de stabilisation durable, seulement des interventions ciblées. Les priorités africaines deviennent donc les suivantes : financer la sécurité comme bien public régional, renforcer les capacités nationales, accélérer l’intégration sécuritaire au sein de la Cedeao, de l’Eac, de la Sadc et de l’Union africaine.
6. Faire de la transformation des ressources une obligation stratégique
Les investissements américains viseront les minéraux critiques, le gaz, le nucléaire et les infrastructures énergétiques. Sans vigilance, cela reconduirait les schémas extractifs anciens. Les pays africains doivent imposer la transformation locale, l’emploi et les compétences, la transparence contractuelle et l’alignement avec leurs propres stratégies d’industrialisation. Il est temps d’instaurer un véritable contrat minier africain.
7. Définir enfin un agenda africain autonome
La Nss 2025 rappelle que l’Afrique n’est pas une priorité américaine, mais un espace d’opportunités. C’est donc à l’Afrique d’élaborer sa propre doctrine de souveraineté, sa vision de l’urbanisation et de l’innovation, ses propres récits et ambitions. Le New Deal trumpien n’offre ni destin ni horizon ; il ouvre une fenêtre. À l’Afrique de décider ce qu’elle veut y inscrire.
Ces évolutions appellent désormais une réponse africaine collective.
À l’Union africaine comme aux organisations économiques régionales, notamment la Cedeao, revient la responsabilité de transformer les restrictions extérieures en accélérateur interne. Accélérer la libre circulation intra-africaine, investir dans la rétention des talents, territorialiser les opportunités économiques et faire de la mobilité un levier de valeur plutôt qu’un exutoire migratoire: tel est désormais l’enjeu stratégique.
Le New Deal « America First» de Trump, pensé pour les États-Unis, peut ainsi devenir une opportunité pour l’Afrique de se réveiller.
Tandis qu’il ébranle l’Europe dans ses certitudes, l’Afrique saura-t-elle transformer ce moment en opportunité historique ? Je le souhaite pour le Continent des origines.
Pour l’Afrique, c’est l’occasion de réaliser le basculement tant attendu : passer du statut de «bénéficiaire» à celui de co-producteur de valeur