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Revisiter les composantes de la gestion étatique: Ruptures de régime, démocratie et développement

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Candide Ahouansou Candide Ahouansou

La Rupture  est un changement radical de cap eu égard à ce qui se faisait. Et à l’inverse de ce qui s' imprime dans nos esprits, nous en  avons connu plus d’une.

Par   Candide Ahouansou, le 09 oct. 2025 à 10h03 Durée 2 min.
#gestion étatique #Démocratie

La réflexion  que nous menons n’est pas factuelle ; elle se veut  conceptuelle et vise à suggérer une approche  alternative de certaines composantes de la  gestion de  l'Etat. Nous admettons  dès lors qu’elle soit sujette à caution. Nous estimons qu'un  système qui ne  secoue pas de temps à autre les idées qui l’animent  aux fins de réajustement le cas échéant,se sclérose. Et en politique,  ce sont les  réajustements  qui engendrent bien souvent  les  ruptures .

Notre pays a connu plusieurs types de rupture politique. Abstraction faite des coups d’Etat dont le pays a été le théâtre à la suite de  son accession à  la souveraineté internationale, je les classifierais volontiers ainsi qu’il suit : Rupture de gouvernance à caractère politico-administratif, rupture idéologique, contre rupture idéologique et rupture de gouvernance dans son ensemble. Au titre de la rupture politico-administrative, ce fut le Conseil présidentiel avec une mandature qui s’était voulue rotative entre trois dirigeants politiques. Au titre de la rupture idéologique, ce fut la Révolution sous-tendue par une philosophie marxiste leniniste  qui  a ignoré la notion du pluralisme. Au même titre que la rupture idéologique, nous comptons la contre révolution avec  la Conférence des forces vives de la Nation qui a notamment rétabli le multipartisme. Au titre de la rupture de gouvernance dans son ensemble, nous citons le régime en cours.

L’on sait que les ruptures  politiques résultent souvent de la dichotomie  entre les idées  tournant généralement autour des paramètres de gestion et singulièrement autour de  la perception que l’on a  de la démocratie.  

Redéfinition de certains éléments de gestion étatique

- Nous savons que la gouvernance  est la manière dont un pays est dirigé, géré et contrôlé par les autorités institutionnelles  compétentes respectives.                               

 - Elle s'exerce sous un régime déterminé qui se doit d'être en symbiose avec les aspirations du peuple. En effet, le régime est la philosophie politique qui sous-tend  ladite gouvernance. 

- La  philosophie est un terme dense, souvent ambigu et difficile à cerner  par le peuple.  Nous y voyons quant à nous  la prise en compte de la conjonction des éléments, des contours et des environnements sociologiques  réels qui placent l’homme  en leur centre  et visent  à lui assurer le maximum de bien-être, seule motivation  noble de faire de la politique. 

- Pour ce qui est de  la démocratie, il nous apparaît que la notion mérite d’être départie de l’acception classique pour être repensée en termes de réalités africaines. Dans le développement qui suit, nous considérons la démocratie en tant que source potentielle de divergence pouvant entraîner la rupture politique. Nous ne cherchons pas à établir un lien formel ni de dépendance entre rupture et démocratie.

 Qu’est donc la démocratie ?

Dans l’esprit occidental et de nos jours, le terme suffit à lui seul  à évoquer implicitement  un jugement de valeur dans les esprits. Il fait d’un pays en un tour de main une entité fréquentable ou un État voyou à l’échelle  internationale, du moins selon les normes  des pays occidentaux.  Comment laisser juger ainsi et qualifier  de bon ou de mauvais tout pays qui entre ou n’entre pas dans leur moule idéologique ?  Comment ne pas se poser des questions lorsque entrer dans leur moule devient, quand bien même tacitement, condition de coopération obligeant les États demandeurs ? La question appelle  réflexion. Selon la philosophie occidentale, la  démocratie est un système de gouvernement où le pouvoir appartient au peuple  qui l’exerce directement ou par le biais de représentants élus. Ce système est fondé sur des valeurs de liberté, d’égalité et de justice sociale. Cela implique le respect des droits humains, des élections libres et honnêtes, un système politique pluraliste, la séparation des pouvoirs, la transparence administrative et des médias indépendants. Si l’on s’accorde sur ce que représente la démocratie pour les peuples, l’on peut ne pas convenir de la manière de l’atteindre.

Une autre facon de voir : une démocratie initiale et une démocratie civique

 Lorsqu’il est ainsi convenu que le pouvoir appartient au peuple, il est de mon opinion que logiquement la première préoccupation démocratique des autorités à qui ce peuple a donné procuration pour le gérer, devrait être  la recherche de son  bien-être  qui lui confère sa dignité d’humain. Ainsi établie, nous voyons la démocratie sous deux aspects : d'abord l’aspect initial qui implique la dignité de l’ humain  devant  le mettre à l’abri du  minimum pour survivre. De mon point de vue, ce devrait être le substratum d'une démocratie. Puis  vient l’aspect civique, le classique, qui assure l'épanouissement de l’être humain à travers  les valeurs morales et sociales déclinées plus haut dont fait état la philosophie occidentale. La démocratie commence avec la dignité humaine et non pas avec les libertés. Le peuple qui a faim n’entend pas qu’on lui parle de liberté. Selon toute vraisemblance, ceux qui ont défini la démocratie n’ont pas  perçu les choses ainsi et pour cause. Ils  avaient déjà dépassé cette étape  de la dignité humaine et ils n’avaient plus faim. La déclaration universelle des droits de l’homme qui fait la référence en matière de   principes démocratiques a été  adoptée par l'Onu en 1948  lorsque celle-ci ne comptait que 58 membres contre 193 de nos jours. Au reste, dix pays essentiellement du bloc socialiste  ne l’avaient pas votée. C’est donc 48 États au demeurant à régime capitaliste pour la grande majorité, qui ont imposé leur manière de voir la démocratie. Il est symptomatique que le préambule de la Déclaration traite de dignité humaine mais il convient de relever qu’il s’agit de dignité par rapport aux valeurs morales et non par rapport à la survie. Les  occidentaux n’avaient déjà plus faim disais-je; il leur était alors loisible de parler de droits politiques de l’homme au lieu de ses droits fondamentaux. Nos intellectuels ont la fâcheuse tendance à confisquer la démocratie au profit des libertés civiques notamment  la liberté d’expression et  des droits civiques de l’homme. Leur appréhension de la démocratie vise avant tout l' intellect dont ne peut se nourrir celui qui a faim, et l’esprit humain est tributaire d’un corps sain. Toute démocratie  devrait commencer par viser l’environnement des besoins fondamentaux tout en ayant bien entendu pour  point de mire les valeurs classiques que prônent les occidentaux.

Ancrage de la démocratie au développement

 La démocratie initiale devrait être ancrée au développement puisque c’est par ce biais que l’humain peut s’assurer le minimum vital. La démocratie civique est essentiellement liée aux valeurs morales et sociales; elle favorise néanmoins le développement  à  travers ses implications à savoir les droits civiques.

Il me souvient qu’en 1990, monsieur Chirac alors maire de Paris, qui venait d’assurer par deux fois la charge de premier Ministre du gouvernement français déclarait que la démocratie était une sorte de luxe pour les pays en voie de développement, car ils n'ont pas les moyens de se l'offrir. Ils devraient concentrer leurs efforts pour assurer leur expansion économique, avait-il ajouté. Et objectivement parlant, il avait raison. La  démocratie initiale devra être en corrélation directe avec le développement pour naître; et une fois née elle devient facteur de développement. Le développement est donc aussi bien en amont qu’en aval de la démocratie.

Impact pédagogique

Je ne sais comment la démocratie est de nos jours présentée aux étudiants. Il me paraît indiqué d’impliquer d’une manière ou d’une autre le  paramètre développement dans son enseignement. Il me paraît également indiqué qu’on  leur enseigne la démarcation entre  la démocratie initiale qui vise la dignité humaine et qui a un caractère et une portée universels et la démocratie civique agissante qui est facteur de développementent et d'epanouissement  par le biais des libertés civiques dont il appartient à chaque Etat de déterminer l’application compte tenu de ses réalités et de ses spécificités. Qu’il me soit permis de saisir l’occasion pour faire un clin d’oeil aux Honorables de notre Académie nationale des Sciences, Arts et Lettres. La définition des mots français que nous utilisons relève de l’Académie française, il  est vrai. Mais lorsque l’usage d’un terme ne cadre pas avec nos réalités ou nos aspirations de pays francophone en développement, il nous appartient de l’en saisir afin que compte en soit tenu d’une manière ou d’une autre. J’ai eu à saisir l’ Académie française par une requête en date du 20 octobre 2020 Intitulée '’ Proposition alternative à la locution nominale : sexe faible’’ pour lui signifier que cette expression freinait la détermination des pays qui cherchaient à promouvoir la situation sociale de la femme africaine et qu’il convenait d’envisager de la remplacer. Je lui ai fait une proposition concrète en ce sens et sa réaction a été  favorable. J’aurais  dû m’assurer l’intermédiation de notre Académie; au temps pour moi, mais elle venait d’être créée officiellement par décret présidentiel d’ avril 2016.

Nécessaire capitalisation

Toute rupture n'a d’intérêt et de légitimité que lorsqu’elle apporte un plus à l’évolution du pays et qu’elle permet une amélioration de sa gouvernance. Nous suggérons que ce plus soit dorénavant capitalisé par consignation dans un rapport écrit de fin de mission  dépassant la traditionnelle et  rien  que protocolaire passation de service entre  ministres  sortants et ministres entrants. Ledit rapport devra recevoir l’aval  du chef de l’Etat sortant qui le remettra au chef de l'Etat entrant mais également au président de l’Assemblée nationale dans son rôle de chef de l’entité chargée du contrôle des actions du gouvernement. C’est à charge onéreuse et non moins avec fort sacrifices que le peuple confie la gestion de l’Etat à des autorités politiques. Il mérite  qu’on lui en rende compte promptement et la loi devrait s’en occuper.