La Nation Bénin...
La
Rupture est un changement radical de cap
eu égard à ce qui se faisait. Et à l’inverse de ce qui s' imprime dans nos
esprits, nous en avons connu plus d’une.
La
réflexion que nous menons n’est pas
factuelle ; elle se veut conceptuelle et
vise à suggérer une approche alternative
de certaines composantes de la gestion
de l'Etat. Nous admettons dès lors qu’elle soit sujette à caution. Nous
estimons qu'un système qui ne secoue pas de temps à autre les idées qui
l’animent aux fins de réajustement le
cas échéant,se sclérose. Et en politique,
ce sont les réajustements qui engendrent bien souvent les
ruptures .
Notre
pays a connu plusieurs types de rupture politique. Abstraction faite des coups
d’Etat dont le pays a été le théâtre à la suite de son accession à la souveraineté internationale, je les
classifierais volontiers ainsi qu’il suit : Rupture de gouvernance à caractère
politico-administratif, rupture idéologique, contre rupture idéologique et
rupture de gouvernance dans son ensemble. Au titre de la rupture
politico-administrative, ce fut le Conseil présidentiel avec une mandature qui
s’était voulue rotative entre trois dirigeants politiques. Au titre de la
rupture idéologique, ce fut la Révolution sous-tendue par une philosophie
marxiste leniniste qui a ignoré la notion du pluralisme. Au même
titre que la rupture idéologique, nous comptons la contre révolution avec la Conférence des forces vives de la Nation
qui a notamment rétabli le multipartisme. Au titre de la rupture de gouvernance
dans son ensemble, nous citons le régime en cours.
L’on sait que les ruptures politiques résultent souvent de la dichotomie entre les idées tournant généralement autour des paramètres de gestion et singulièrement autour de la perception que l’on a de la démocratie.
Redéfinition de certains éléments de gestion étatique
-
Nous savons que la gouvernance est la
manière dont un pays est dirigé, géré et contrôlé par les autorités
institutionnelles compétentes
respectives.
- Elle s'exerce sous un régime déterminé qui
se doit d'être en symbiose avec les aspirations du peuple. En effet, le régime
est la philosophie politique qui sous-tend
ladite gouvernance.
-
La philosophie est un terme dense,
souvent ambigu et difficile à cerner par
le peuple. Nous y voyons quant à nous la prise en compte de la conjonction des
éléments, des contours et des environnements sociologiques réels qui placent l’homme en leur centre et visent
à lui assurer le maximum de bien-être, seule motivation noble de faire de la politique.
-
Pour ce qui est de la démocratie, il
nous apparaît que la notion mérite d’être départie de l’acception classique
pour être repensée en termes de réalités africaines. Dans le développement qui
suit, nous considérons la démocratie en tant que source potentielle de
divergence pouvant entraîner la rupture politique. Nous ne cherchons pas à
établir un lien formel ni de dépendance entre rupture et démocratie.
Qu’est donc la démocratie ?
Dans l’esprit occidental et de nos jours, le terme suffit à lui seul à évoquer implicitement un jugement de valeur dans les esprits. Il fait d’un pays en un tour de main une entité fréquentable ou un État voyou à l’échelle internationale, du moins selon les normes des pays occidentaux. Comment laisser juger ainsi et qualifier de bon ou de mauvais tout pays qui entre ou n’entre pas dans leur moule idéologique ? Comment ne pas se poser des questions lorsque entrer dans leur moule devient, quand bien même tacitement, condition de coopération obligeant les États demandeurs ? La question appelle réflexion. Selon la philosophie occidentale, la démocratie est un système de gouvernement où le pouvoir appartient au peuple qui l’exerce directement ou par le biais de représentants élus. Ce système est fondé sur des valeurs de liberté, d’égalité et de justice sociale. Cela implique le respect des droits humains, des élections libres et honnêtes, un système politique pluraliste, la séparation des pouvoirs, la transparence administrative et des médias indépendants. Si l’on s’accorde sur ce que représente la démocratie pour les peuples, l’on peut ne pas convenir de la manière de l’atteindre.
Une autre facon de voir : une démocratie initiale et une démocratie civique
Lorsqu’il est ainsi convenu que le pouvoir appartient au peuple, il est de mon opinion que logiquement la première préoccupation démocratique des autorités à qui ce peuple a donné procuration pour le gérer, devrait être la recherche de son bien-être qui lui confère sa dignité d’humain. Ainsi établie, nous voyons la démocratie sous deux aspects : d'abord l’aspect initial qui implique la dignité de l’ humain devant le mettre à l’abri du minimum pour survivre. De mon point de vue, ce devrait être le substratum d'une démocratie. Puis vient l’aspect civique, le classique, qui assure l'épanouissement de l’être humain à travers les valeurs morales et sociales déclinées plus haut dont fait état la philosophie occidentale. La démocratie commence avec la dignité humaine et non pas avec les libertés. Le peuple qui a faim n’entend pas qu’on lui parle de liberté. Selon toute vraisemblance, ceux qui ont défini la démocratie n’ont pas perçu les choses ainsi et pour cause. Ils avaient déjà dépassé cette étape de la dignité humaine et ils n’avaient plus faim. La déclaration universelle des droits de l’homme qui fait la référence en matière de principes démocratiques a été adoptée par l'Onu en 1948 lorsque celle-ci ne comptait que 58 membres contre 193 de nos jours. Au reste, dix pays essentiellement du bloc socialiste ne l’avaient pas votée. C’est donc 48 États au demeurant à régime capitaliste pour la grande majorité, qui ont imposé leur manière de voir la démocratie. Il est symptomatique que le préambule de la Déclaration traite de dignité humaine mais il convient de relever qu’il s’agit de dignité par rapport aux valeurs morales et non par rapport à la survie. Les occidentaux n’avaient déjà plus faim disais-je; il leur était alors loisible de parler de droits politiques de l’homme au lieu de ses droits fondamentaux. Nos intellectuels ont la fâcheuse tendance à confisquer la démocratie au profit des libertés civiques notamment la liberté d’expression et des droits civiques de l’homme. Leur appréhension de la démocratie vise avant tout l' intellect dont ne peut se nourrir celui qui a faim, et l’esprit humain est tributaire d’un corps sain. Toute démocratie devrait commencer par viser l’environnement des besoins fondamentaux tout en ayant bien entendu pour point de mire les valeurs classiques que prônent les occidentaux.
Ancrage de la démocratie au développement
La démocratie initiale devrait être ancrée au
développement puisque c’est par ce biais que l’humain peut s’assurer le minimum
vital. La démocratie civique est essentiellement liée aux valeurs morales et
sociales; elle favorise néanmoins le développement à
travers ses implications à savoir les droits civiques.
Il me souvient qu’en 1990, monsieur Chirac alors maire de Paris, qui venait d’assurer par deux fois la charge de premier Ministre du gouvernement français déclarait que la démocratie était une sorte de luxe pour les pays en voie de développement, car ils n'ont pas les moyens de se l'offrir. Ils devraient concentrer leurs efforts pour assurer leur expansion économique, avait-il ajouté. Et objectivement parlant, il avait raison. La démocratie initiale devra être en corrélation directe avec le développement pour naître; et une fois née elle devient facteur de développement. Le développement est donc aussi bien en amont qu’en aval de la démocratie.
Impact pédagogique
Je
ne sais comment la démocratie est de nos jours présentée aux étudiants. Il me
paraît indiqué d’impliquer d’une manière ou d’une autre le paramètre développement dans son
enseignement. Il me paraît également indiqué qu’on leur enseigne la démarcation entre la démocratie initiale qui vise la dignité
humaine et qui a un caractère et une portée universels et la démocratie civique
agissante qui est facteur de développementent et d'epanouissement par le biais des libertés civiques dont il
appartient à chaque Etat de déterminer l’application compte tenu de ses
réalités et de ses spécificités. Qu’il me soit permis de saisir l’occasion pour
faire un clin d’oeil aux Honorables de notre Académie nationale des Sciences,
Arts et Lettres. La définition des mots français que nous utilisons relève de
l’Académie française, il est vrai. Mais
lorsque l’usage d’un terme ne cadre pas avec nos réalités ou nos aspirations de
pays francophone en développement, il nous appartient de l’en saisir afin que
compte en soit tenu d’une manière ou d’une autre. J’ai eu à saisir l’ Académie
française par une requête en date du 20 octobre 2020 Intitulée '’ Proposition
alternative à la locution nominale : sexe faible’’ pour lui signifier que cette
expression freinait la détermination des pays qui cherchaient à promouvoir la
situation sociale de la femme africaine et qu’il convenait d’envisager de la
remplacer. Je lui ai fait une proposition concrète en ce sens et sa réaction a
été favorable. J’aurais dû m’assurer l’intermédiation de notre Académie;
au temps pour moi, mais elle venait d’être créée officiellement par décret
présidentiel d’ avril 2016.
Nécessaire capitalisation
Toute
rupture n'a d’intérêt et de légitimité que lorsqu’elle apporte un plus à
l’évolution du pays et qu’elle permet une amélioration de sa gouvernance. Nous
suggérons que ce plus soit dorénavant capitalisé par consignation dans un
rapport écrit de fin de mission
dépassant la traditionnelle et
rien que protocolaire passation
de service entre ministres sortants et ministres entrants. Ledit rapport
devra recevoir l’aval du chef de l’Etat
sortant qui le remettra au chef de l'Etat entrant mais également au président
de l’Assemblée nationale dans son rôle de chef de l’entité chargée du contrôle
des actions du gouvernement. C’est à charge onéreuse et non moins avec fort
sacrifices que le peuple confie la gestion de l’Etat à des autorités
politiques. Il mérite qu’on lui en rende
compte promptement et la loi devrait s’en occuper.
Candide Ahouansou