La Nation Bénin...
Le
texte qui suit est issu du keynote de clôture prononcé par Luc Gnacadja en tant
que Grand Témoin lors de la plénière de clôture de la Biennale Euro-Africa de
Montpellier, le 7 octobre 2025. Cette Biennale, créée pour refonder le dialogue
entre l’Europe et l’Afrique autour de défis communs, s’impose comme un espace
unique de rencontre entre décideurs politiques, collectivités locales, acteurs
économiques, intellectuels et société civile des deux continents. Dans ce
cadre, l’auteur propose sept clés pour construire un partenariat euro-africain
fondé sur la mutualité, la réciprocité et la valeur partagée.
On
dit chez nous en Afrique :
«
quand les toiles d’araignée s’unissent, elles peuvent ligoter un lion ».
Rassurez-vous,
je n’ai pas l’intention de ligoter qui que ce soit ce soir… mais peut-être
pouvons-nous, ensemble, tisser de belles toiles utiles pour notre avenir
commun.
Cette
semaine, Montpellier est devenue un carrefour unique : un lieu où l’Europe et
l’Afrique se rencontrent non pas seulement pour échanger, mais pour imaginer
ensemble un futur partagé. Cette deuxième édition de la Biennale, placée sous
le signe du mouvement, celui des corps, des cultures, des idées et des territoires,
a montré combien ce dialogue est vital.
Dans
mon rôle de Grand Témoin, je ne prétends pas résumer la richesse de nos débats.
Je voudrais simplement proposer sept repères, sept cheminements, pour converger
vers un avenir souhaitable de notre relation.
Ma
trame part d’une question simple : et si nous choisissions de regarder l’avenir
autrement, à travers le prisme de l’économie du lien et de la mutualité ?
C’est
là un changement de paradigme : dépasser la logique de l’assistanat, refuser
l’asymétrie et construire de la valeur partagée.
Car l’Europe et l’Afrique n’ont pas seulement un passé commun à assumer. Elles ont surtout un futur à inventer, ensemble.
1. Les territoires, premiers laboratoires de la mutualité
C’est
le point de départ du cheminement que je vous propose. Le futur du partenariat
euro-africain ne se joue pas seulement dans les capitales ou dans les enceintes
diplomatiques. Il se construit dans les territoires : dans les villes qui
grandissent, dans les régions qui innovent, dans les zones transfrontalières
qui, chaque jour, expérimentent la coopération concrète.
Cette
Biennale l’a montré : les territoires savent inventer là où les États peinent à
dialoguer. Regardons l’expérience des plateformes régionales de l’Aimf
(Association Internationale des Maires Francophones) : elles offrent des
espaces de coopération transfrontalière même quand les dialogues interétatiques
s’enlisent.
La
leçon est claire : la mutualité ne se décrète pas d’en haut. Elle se tisse au
quotidien, par des collectivités qui partagent leurs ressources, des
communautés qui mettent en commun leurs savoirs, des acteurs locaux qui osent
expérimenter, et tout cela en créant des convergences concrètes.
Nos territoires savent coopérer là où les États se taisent. C’est là que se trouve le socle le plus solide de notre partenariat.
2. De la main tendue aux mains qui s’unissent à partir des territoires
Pour
bâtir un vrai socle de partenariat, il nous faut d’abord changer de langage.
Le
mot « coopération » porte encore trop souvent l’idée que l’un donne et que
l’autre reçoit : que l’un apporte les moyens et que l’autre apporte la
gratitude, une gratitude parfois jugée insuffisante. Cette logique est
dépassée. L’avenir exige autre chose : un partenariat de réciprocité. Un
partenariat où chacun met sur la table ses forces et ses fragilités, non pas
pour combler des manques, mais pour conjuguer des potentialités.
Et
c’est dans les territoires que cela prend vie. Parce que c’est là que les
acteurs se rencontrent, s’écoutent, et inventent ensemble. Cela suppose, du côté européen, de l’humilité
et une écoute véritable non pas condescendante, comme dans une psychanalyse,
mais une écoute réciproque. Et, du côté africain, la confiance en soi
nécessaire pour mettre en chantier ses propres potentialités. Et, des deux
côtés, la conviction que nous avons besoin les uns des autres.
Car
l’Afrique n’est pas une addition de besoins, pas plus que l’Europe n’est une
addition de solutions. Ensemble, nous représentons un potentiel commun, et
c’est ce potentiel qu’il nous faut libérer.
3. Partager les savoirs et dépasser les biais
Un
vrai partenariat exige aussi de changer nos regards. Trop souvent, l’Afrique
reste prisonnière de clichés persistants, et l’Europe d’une posture condescendante.
Le
vrai partage des savoirs ne se limite pas à transférer des technologies ou des
modèles. Il suppose de reconnaître la valeur des connaissances africaines, des
innovations territoriales, et aussi des diasporas qui relient nos continents.
Il suppose de faire de la culture un espace de débat critique, pas seulement
une vitrine folklorique. La culture doit être un lieu où l’on questionne, où
l’on bouscule, où l’on s’ouvre à d’autres rationalités.
Car la mutualité n’est pas le miroir de nos clichés : elle est la rencontre de nos vérités.
4.
La jeunesse, une force vive partagée
Impossible
de parler d’avenir sans parler de la jeunesse africaine. Trop souvent, on la
réduit à un défi démographique, parfois même à une menace. Mais en réalité,
elle est une puissance créatrice.
Elle
incarne l’énergie, l’imagination, la capacité de réinvention dont nos sociétés
ont besoin. Pour une Europe confrontée au vieillissement, cette vitalité est
une opportunité. Pour l’Afrique, elle est le cœur battant de la transformation
en cours.
Mais
la jeunesse n’attend pas seulement des emplois. Elle attend un horizon qui
fonde ses espérances, et surtout la conviction que sa voix compte dans la
construction d’un futur commun.
La jeunesse africaine n’est pas un fardeau. Elle est une chance, pour l’Afrique comme pour l’Europe.
5.Mobilité des populations: de la stigmatisation à la valorisation
Un
autre mot a traversé nos débats : « migration ». Mais ce mot est aujourd’hui
trop chargé, trop stigmatisé. Il évoque la peur, la fermeture, la crispation.
Parlons plutôt de mobilités. Les mobilités sont constitutives de l’histoire
humaine. Elles sont au fondement de nos identités, de nos économies, de nos
cultures. Elles sont une respiration vitale pour nos sociétés.
Notre
défi n’est pas de les subir, mais de les accompagner. De les transformer en
opportunités pour nos territoires. Pensons aux apports souvent invisibilisés
des diasporas, ainsi qu’à leurs investissements dans leurs villages d’origine.
Pensons aux villes transfrontalières où ces circulations nourrissent l’économie
locale.
Les mobilités ne sont pas des menaces. Elles sont la respiration de notre monde.
6. Démocratie et paix comme biens publics mutuels
Mais
aucun partenariat n’est crédible s’il oublie les biens publics essentiels : la
démocratie et la paix.
Aujourd’hui,
la démocratie est questionnée, en Afrique comme en Europe. De nouvelles voix,
parfois radicales, remettent en cause nos valeurs. Nous devons les écouter, les
confronter, sans tabou ni complaisance.
Et
la paix ? Elle ne peut plus être pensée seulement comme une absence de
conflits. Elle doit être envisagée comme un investissement de long terme, qui
implique de s’attaquer aux causes profondes des crises : inégalités,
exclusions, injustices.
Oui, la paix est l’investissement le plus rentable de notre partenariat. Et la démocratie en est le meilleur dividende.
7. Clarifier les intérêts et bâtir les convergences
Soyons
lucides. Un partenariat sincère ne signifie pas gommer nos intérêts. Il signifie
au contraire les nommer, les assumer, et chercher à les rendre compatibles.
Car
ce qui donnera de la crédibilité à notre relation, ce n’est pas un discours
idéaliste, mais notre capacité à transformer nos intérêts en un avenir partagé.
Le partenariat n’est pas l’oubli de nos intérêts. Il est l’art de les faire converger.
Alors, que retenir de cette Biennale : un possible pacte euro-africain de mutualité ?
Oui,
nous pouvons retenir que les conditions sont réunies pour oser un Pacte
euro-africain de mutualité :
1.
un pacte construit à partir des territoires,
2.
fondé sur la réciprocité et l’humilité,
3.
nourri par les savoirs partagés,
4.
porté par la jeunesse et les mobilités,
5.
ancré dans la démocratie et la paix,
6.
et crédible parce qu’il assume les intérêts tout en bâtissant des convergences.
Je
veux conclure avec les mots d’Achille Mbembe, parrain de cette Biennale, qui
nous a rappelé qu’il n’y a d’histoire que dans la circulation des mondes, dans
la relation avec Autrui.
Alors osons circuler, osons dialoguer, osons partager. Et surtout, osons inventer ensemble une histoire qui ne soit pas seulement héritée, mais choisie
Merci.
Montpellier
le 7 octobre 2025
Luc GNACADJA