La Nation Bénin...
À
l’heure où les convictions religieuses sont parfois instrumentalisées à des
fins politiques, cette tribune interroge ce que signifie gouverner en cohérence
avec sa foi, dans un État laïc et démocratique.
Dans
un monde saturé d’images de chefs charismatiques en quête de grandeur, où les
récits messianiques et les figures d’hommes providentiels abondent, la scène de
Jésus entrant à Jérusalem sur un ânon reste d’une actualité saisissante. Elle
dérange, elle interpelle, elle ouvre une brèche. Une autre manière d’exercer le
pouvoir.
L’Évangile
rapporte : « Voici ton roi qui vient à toi, plein de douceur et monté sur un
ânon » (Mt 21,5).
Là
où l’on attendait un roi conquérant, c’est un homme humble qui s’avance, sans
armée, sans faste. Il ne séduit ni par la force ni par la peur. Il incarne une
souveraineté fondée sur le service, la vérité et la paix. Moins d’une semaine
plus tard, il est crucifié. Cinq jours seulement séparent l’ovation des foules
de la solitude du Golgotha. Ce bref intervalle dit tout de la fragilité du
pouvoir fondé sur l’enthousiasme populaire. Mais il révèle surtout la fidélité
inébranlable du Christ à sa mission : il n’a cédé ni à l’euphorie ni à la
menace. Il est resté fidèle à sa mission jusqu’au bout.
Dans
nombre de pays africains, des dirigeants se réclament de la foi chrétienne.
Certains sont portés par des courants religieux influencés par des doctrines
importées, où le pouvoir est présenté comme une onction divine, incontestable.
Mais sans discernement ni fidélité à l’Évangile, une telle lecture peut mener à
des dérives graves: instrumentalisation de la foi, autoritarisme, impunité,
etc.
Dans un État laïc qui n’est pas un État sans Dieu, la liberté de conscience est un principe fondamental. La foi n’y est pas un levier de pouvoir, mais un ressort éthique intérieur. À cette lumière, la figure du roi sans armée nous inspire six leçons pour repenser la gouvernance aujourd’hui en Afrique.
1.
L’humilité comme socle d’un leadership civique
Le
Christ ne divise pas pour régner. Il ne s’impose pas par la force ni par
l’image. Il assume que son message puisse déranger, mais refuse toute logique
de domination. Il place les plus vulnérables au centre de son action, et se
tient toujours du côté de la vérité, non du pouvoir.
Dans
de nombreux contextes africains, encore marqués par le poids des figures
tutélaires ou messianiques, cette posture bouscule. Elle invite à repenser le
leadership non comme incarnation d’un destin individuel, mais comme engagement
au service du bien commun.
Un
responsable public ne se mesure pas à la ferveur qu’il suscite, mais à la
justice qu’il rend. C’est dans l’humilité que se forge la crédibilité ; dans
l’écoute que se construit la légitimité.
Gouverner,
ce n’est pas briller. C’est servir, avec discrétion, constance et intégrité.
C’est refuser d’être adulé, pour mieux être utile.
2.
La foi ou la conviction personnelle ne doit jamais devenir stratégie de pouvoir
Dans
certains discours, l’élection politique est présentée comme la confirmation
d’un mandat spirituel, et la victoire électorale comme le signe d’une
bénédiction divine.
Sous
l’influence de courants idéologiques extérieurs, cette rhétorique associe
réussite politique et statut spirituel, comme si accéder au pouvoir relevait
d’une élection céleste. Ce glissement est préoccupant. Il déconnecte le
leadership des réalités concrètes et des exigences de responsabilité publique.
Il introduit un imaginaire messianique étranger aux trajectoires historiques et
aux aspirations démocratiques des peuples africains.
Or,
dans une République laïque, la foi appartient à la sphère privée. Elle peut
nourrir des engagements éthiques:
rigueur, sens du service, respect de la dignité de tous, mais ne saurait être brandie comme une source
de légitimité politique. Un croyant au service de la République ne gouverne pas
au nom de sa foi, mais selon l’exigence de justice qu’elle lui inspire.
La véritable autorité repose sur la cohérence personnelle, la probité et la capacité à respecter ceux qui ne partagent ni ses convictions ni sa foi; voilà le véritable témoignage!
3.
Foi, authenticité et dépassement de l’histoire
L’Afrique
a besoin de leaders enracinés. Enracinés dans la foi, certes, mais aussi dans
leur histoire, leur culture et leur mémoire collective. C’est en assumant
lucidement notre passé, blessures
comprises, que nous pourrons le dépasser et bâtir des modèles de gouvernance
qui nous ressemblent. Cela n’est pas en contradiction avec la foi chrétienne.
Le Christ lui-même s’est incarné dans une culture, une langue, un peuple. La
foi ne nous déracine pas : elle élève, purifie, féconde l’identité. Un
leadership africain éclairé par l’Évangile ne copie pas, n’imite pas : il
innove, à partir de ce que nous sommes.
Face
à cette exigence, le leadership dont l’Afrique a besoin est celui qui s’ancre
dans le réel : dans nos cultures, nos mémoires, nos défis. Il est capable de
conjuguer héritage et innovation, conviction et exigence citoyenne.
L’enracinement ne signifie pas repli sur soi ou sur le passé. Il est le point
de départ d’une transformation authentique, fidèle aux peuples et lucide sur
les défis.
4.
La paix ne se décrète pas : elle se construit par la justice
Dans
trop de contextes, la politique devient un terrain de division entre
communautés, classes sociales, religions ou mémoires concurrentes. La peur,
qu’elle soit alimentée ou instrumentalisée, devient alors un outil de contrôle.
Mais gouverner ainsi, c’est fragiliser durablement la cohésion nationale.
Un leadership responsable ne cherche pas à diviser pour régner, mais à rassembler pour bâtir. La paix ne saurait être réduite à une absence de conflit. Elle se fonde sur la justice, le dialogue, la reconnaissance mutuelle. Elle exige des actes concrets, une écoute sincère et un engagement pour la vérité.
5.
Servir l’État sans s’approprier Dieu
Dans
une République laïque, la foi relève de la liberté personnelle, mais ne saurait
être brandie comme étendard pour justifier une autorité politique. Confisquer
le nom de Dieu pour asseoir un pouvoir ou disqualifier ses adversaires est une
dérive grave. Cette dérive brouille les repères citoyens, alimente la défiance
et porte atteinte à la neutralité de l’État.
La
foi peut inspirer une exigence morale, un sens du service ou une éthique de
responsabilité. Mais elle ne peut devenir un programme de gouvernement.
Gouverner
au nom de tous suppose distinguer clairement convictions privées et mandat
public. Cela exige de la cohérence, de l’humilité et un sens profond de l’intérêt
général.
6.
Une gouvernance qui élève les consciences
Il
ne suffit pas de brandir une Bible ou un Coran, de multiplier les références
spirituelles ou de s’entourer de figures religieuses pour gouverner selon la
foi. La foi ne se décrète pas, elle se vit. Et dans l’espace public, elle ne
peut se substituer ni à l’éthique politique ni à la responsabilité
démocratique.
Le
modèle de leadership du roi sans armée nous montre un autre chemin : celui du
courage moral, de la sobriété, de la fidélité au bien commun. L’Afrique
d’aujourd’hui n’a pas besoin de champions de Dieu, mais de serviteurs du bien
commun, capables de traduire leurs convictions dans des politiques justes,
inclusives et respectueuses des diversités. Les irrédentismes religieux,
lorsqu’ils s’infiltrent dans les logiques de pouvoir, nourrissent trop souvent
des conflits fratricides qui endeuillent le continent et freinent sa marche
vers le progrès.
La
foi, dans la République, ne doit jamais diviser ni dominer. Elle doit inspirer,
élever, rassembler.
C’est
sans doute là l’un des plus grands défis de notre temps : faire en sorte que la
foi, loin d’être instrumentalisée, devienne une source de hauteur dans
l’exercice du pouvoir. Elle peut nourrir une éthique de responsabilité, une
fidélité au bien commun, une capacité à écouter et à servir à condition de ne
jamais prétendre gouverner au nom de Dieu.
Et
l’on en vient alors à l’essentiel :
Dans
une république laïque, gouverner avec foi ne signifie pas gouverner au nom de
Dieu. Cela signifie gouverner avec conscience, avec intégrité, avec une vision
du pouvoir comme service et non comme privilège. Cette figure du roi sans armée
reste une figure fondatrice : non d’un modèle religieux à imposer, mais d’un
leadership qui refuse la mise en scène de soi, qui assume la fragilité de
l’humain, et qui choisit, en toutes circonstances, la justice plutôt que la
puissance.
Ce dont l’Afrique a besoin, ce sont des femmes et des hommes de foi au service de la République non pour imposer leur croyance, mais pour incarner les valeurs qu’elle inspire : humilité, équité, vérité, espérance.