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Vers une démocratie plurielle: De l’éthique universelle aux apports africains du vivre-ensemble

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Théodore C. Loko Théodore C. Loko

Repensée comme valeur universelle et dignité collective, la démocratie se libère de ses oripeaux technocratiques pour retrouver sa vocation fondatrice : permettre aux peuples de se gouverner librement, dans le respect de leur humanité partagée. À l’heure où les fondements de la démocratie vacillent sous le poids de la défiance citoyenne, de l'instrumentalisation institutionnelle et de la globalisation marchande, il devient nécessaire de revisiter en profondeur le sens même de la démocratie.

Par   Théodore C. Loko, le 28 juil. 2025 à 08h52 Durée 3 min.
#éthique #vivre-ensemble

À l’heure où les fondements de la démocratie vacillent sous le poids de la défiance citoyenne, de l'instrumentalisation institutionnelle et de la globalisation marchande, il devient nécessaire de revisiter en profondeur le sens même de la démocratie. Non plus comme un simple mécanisme électoral ou une norme institutionnelle imposée, mais comme une éthique du vivre-ensemble enracinée dans l’expérience humaine de la liberté, de la dignité et de la justice.

C’est dans cette optique que s’ouvre une double exigence intellectuelle et politique : réhabiliter la démocratie comme valeur universelle d’une part, et reconnaître les apports africains à cette valeur d’autre part.

Ce double mouvement suppose de sortir d’un universalisme abstrait et d’un particularisme résigné, pour faire droit à la pluralité des trajectoires démocratiques dans l’histoire humaine.

D’abord, il devient urgent de repenser la démocratie non seulement comme régime politique, mais comme valeur éthique universelle et chemin de dignité collective.

Urgence de repenser la démocratie

L’expérience contemporaine montre que la démocratie ne peut se réduire à une architecture institutionnelle ; elle est indissociable d’une anthropologie de la reconnaissance mutuelle. Emmanuel Levinas, dans Totalité et Infini, affirmait déjà que la justice commence par la reconnaissance du visage de l’autre. De même, Paul Ricoeur insistait sur le fait que la démocratie n’est pas simplement une procédure mais une pratique narrative de la réciprocité, nourrie par la mémoire, la responsabilité et la promesse. Dans cette perspective, la démocratie n’est pas un produit d’exportation de l’Occident moderne, mais une exigence universelle inscrite dans la quête humaine de sens et de communauté. Elle prend racine dans une volonté de surmonter la violence par la parole, d’organiser le pouvoir non comme domination, mais comme service.

Cette redéfinition éthique implique de voir la démocratie comme un "chemin de dignité collective" : elle est d’abord un processus de co-humanisation, un espace où les individus apprennent à être sujets ensemble. Le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne rappelle dans En quête d’Afrique(s) que la démocratie est un apprentissage de la pluralité, et non une simple addition d’opinions. Il s’agit d’une pédagogie civique, fondée sur la construction lente et exigeante de cultures politiques fondées sur la confiance, la délibération et le respect. Dès lors, le véritable enjeu démocratique est moins dans les urnes que dans les consciences, moins dans le droit que dans l’éthique de la parole partagée. Cette conscience politique, nourrie de mémoire et d’espérance, permet aux peuples de refuser l’humiliation, l’exclusion ou l’indifférence, pour se penser comme coauteurs de leur histoire.

Valoriser les apports africains

Dans cette lumière, une deuxième nécessité s’impose : celle de valoriser les apports africains à la démocratie, non comme simples répliques d’un modèle occidental, mais comme formes historiques et symboliques de co-création du politique.

L’histoire africaine précoloniale témoigne en effet de riches traditions politiques, où le dialogue, la participation communautaire et la justice sociale occupaient une place centrale. Le sociologue Georges Balandier a souligné que les chefferies africaines traditionnelles, loin d’être des formes de pouvoir absolu, étaient encadrées par des contre-pouvoirs symboliques, religieux ou populaires. La palabre, dans de nombreuses sociétés, était une institution délibérative où l’on ne décidait qu’après avoir épuisé toutes les paroles, révélant une profonde confiance dans la force du langage comme outil de pacification.

L’historien Joseph Ki-Zerbo, dans À quand l’Afrique ? insistait pour sa part sur le fait que l’Afrique ne part pas de zéro en matière de démocratie : elle dispose de ressources endogènes, de philosophies du consensus, de sagesse politique à redécouvrir et réinterpréter à l’aune des défis contemporains. Il ne s’agit pas d’idéaliser un passé souvent marqué aussi par des hiérarchies, mais de reconnaître dans ces expériences des matrices possibles d’une démocratie enracinée, dialogique et communautaire. Le politologue Achille Mbembe appelle à dépasser la vision coloniale qui a "dépolitisé" l’Afrique, pour affirmer une modernité africaine capable de penser la liberté, non pas en rupture avec les traditions, mais en continuité critique avec elles.

Par conséquent, reconnaître ces apports, c’est non seulement restaurer la mémoire des peuples africains, mais aussi élargir notre compréhension globale de la démocratie comme patrimoine commun de l’humanité. Une démocratie mondiale, réellement inclusive, ne pourra s’inventer que dans la reconnaissance de ces pluralités constitutives, dans l’ouverture à des conceptions diverses de la liberté, de l’autorité et du bien commun.

Conclusion

Repensée comme valeur universelle et dignité collective, la démocratie se libère de ses oripeaux technocratiques pour retrouver sa vocation fondatrice: permettre aux peuples de se gouverner librement, dans le respect de leur humanité partagée.

Cette vocation appelle aujourd’hui un geste intellectuel et politique fort: reconnaître les traditions africaines comme des sources authentiques de démocratie, capables d’enrichir le débat mondial sur les formes du pouvoir juste et du vivre-ensemble. Il ne s’agit pas d’intégrer l’Afrique dans un modèle prédéfini, mais de faire de l’expérience africaine une partie intégrante du dialogue démocratique mondial.

En ce sens, le véritable avenir de la démocratie sera pluriel ou ne sera pas.

Enseignant-chercheur