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Santé mentale et économie nationale: Le Bénin perd des milliards dans le silence des esprits meurtris

Santé
Kouassi Comlan, psychologue clinicien Kouassi Comlan, psychologue clinicien

Psychologue clinicien et spécialiste en psychothérapies humanistes et en psychologie positive, Kouassi Comlan alerte sur un fléau invisible : les troubles mentaux. Selon lui, le manque d’attention à la santé psychologique des citoyens coûte chaque année des milliards à l’économie béninoise. Il plaide pour une vision nouvelle à travers laquelle le bien-être mental devient un levier central du développement.

Par   Lhys DEGLA, le 22 oct. 2025 à 04h06 Durée 2 min.
#Santé mentale

Vous affirmez que les troubles mentaux représentent un fardeau économique sous-estimé. Pourquoi ?

Parce que la société ne mesure pas encore combien un esprit souffrant peut affaiblir la productivité nationale. Prenons l’exemple d’un employé anxieux ou dépressif. Il se rend au travail, mais son attention est dispersée, sa concentration altérée. Ce phénomène, qu’on appelle le « présentéisme », touche des milliers de travailleurs béninois. Ils sont physiquement présents, mais mentalement absents. Et cela se traduit par une baisse d’efficacité, des erreurs répétées, des délais rallongés. Quand on multiplie ces pertes à l’échelle du pays, l’impact économique devient vertigineux.

Les familles aussi subissent ce coût caché…

Absolument. Les dépenses liées aux soins psychologiques — médicaments, hospitalisations, consultations — grèvent les budgets familiaux. Mais c’est surtout la perte de revenus qui pèse le plus. Imaginez une couturière dépressive après un deuil : ses commandes s’accumulent, sa clientèle s’éloigne, et son chiffre d’affaires s’effondre. Ce scénario, malheureusement, se répète dans tout le pays. Derrière chaque trouble non pris en charge, il y a une perte économique réelle.

 

Vous parlez souvent de « potentiel humain laissé en jachère ». Que voulez-vous dire ?

Lorsqu’un individu souffre mentalement, il n’exprime plus pleinement ses talents. C’est comme un champ fertile qu’on abandonne. L’esprit humain est le moteur de toute innovation. Quand il est paralysé par la peur, la fatigue ou le stress, il ne crée plus. Un jeune entrepreneur brillant qui sombre dans le burn-out, ce n’est pas seulement une vie brisée, c’est aussi une entreprise fermée, des emplois perdus, une dynamique de croissance éteinte.

Selon vous, la psychologie positive offre des clés concrètes. Comment ?

Elle nous apprend que le bien-être mental repose sur trois piliers: l’engagement, la créativité et le sens. Quand une personne retrouve du sens dans son travail, elle redevient productive. Quand elle est encouragée à créer, elle innove. Et quand elle s’engage pleinement, elle entraîne les autres dans un cercle vertueux. Investir dans la santé mentale, c’est donc investir dans ces dimensions de la performance humaine.

Mais investir dans la santé mentale n’est-il pas coûteux pour un pays en développement ?

C’est tout le contraire. Chaque franc investi rapporte beaucoup plus. Les études internationales le prouvent : un dollar consacré au traitement de la dépression et de l’anxiété génère quatre dollars en productivité et en santé retrouvée. Prenons un exemple local : une entreprise de 50 employés qui investit 2 millions de F Cfa dans un programme de prévention — gestion du stress, ateliers de pleine conscience, accompagnement psychologique — peut réduire de 30 % l’absentéisme et augmenter de 25 % la productivité. C’est un investissement à haut rendement.

Et au niveau individuel ?

Les résultats sont spectaculaires. Une personne suivie par un psychologue retrouve rapidement sa concentration, son énergie, sa motivation. Cela évite les erreurs, les licenciements, les faillites personnelles. Un accompagnement psychologique peut sauver non seulement une vie, mais aussi des revenus, des emplois et des familles entières.

Que faudrait-il faire pour changer la donne au Bénin ?

Nous devons d’abord briser le tabou autour de la santé mentale. Nos hôpitaux manquent de spécialistes, nos entreprises n’ont pas de services de soutien psychologique, et nos écoles n’enseignent pas les compétences émotionnelles de base. Il faut intégrer la santé mentale dans toutes les politiques publiques : santé, éducation, travail.

En somme, investir dans la santé mentale serait une stratégie économique !

Exactement. Un citoyen mentalement épanoui est un travailleur productif, un créateur d’entreprise, un innovateur. La prospérité du Bénin passera par la tête avant de passer par les routes. Il est temps de considérer la santé psychologique comme un capital national. Investir dans les esprits, c’est bâtir une économie solide et humaine.