La Nation Bénin...
Comment
les barrières culturelles, géographiques et économiques condamnent une partie
de la population à la vulnérabilité sanitaire et freinent le développement du
pays ? Tychique Nougbodé, acteur de la santé communautaire, porte son regard
sur les inégalités d’accès aux soins de certaines communautés.
Quelles sont aujourd’hui les principales causes des inégalités d’accès aux soins dans notre pays ?
Elles s’enracinent dans l’histoire, la géographie et le vécu quotidien des populations. D’abord, les représentations culturelles influencent fortement les comportements face à la maladie. Dans certaines communautés, la santé relève davantage du spirituel que du médical, ce qui conduit les malades à privilégier les rituels ou les guérisseurs traditionnels. À cela s’ajoutent les contraintes géographiques : des villages entiers demeurent éloignés de tout centre de soins, parfois séparés par des pistes impraticables, des rivières ou des forêts. Même lorsqu’un hôpital existe, la simple difficulté à s’y rendre suffit à dissuader les plus vulnérables. Enfin, la barrière économique demeure la plus implacable. Beaucoup renoncent à se soigner, non par ignorance, mais par incapacité à payer une consultation ou un médicament. Tant que la maladie reste perçue comme une dépense insurmontable, le droit à la santé reste théorique.
En quoi ces inégalités freinent-elles le développement et affectent-elles les familles au quotidien ?
Un pays ne peut bâtir son développement sur des citoyens affaiblis. Lorsqu’un enfant n’est pas soigné à temps, cela compromet sa scolarité ; lorsqu’un parent tombe malade sans prise en charge, c’est toute la famille qui plonge dans la précarité. La maladie appauvrit, désorganise et crée des fractures au sein de la communauté. Les inégalités de santé deviennent des inégalités de destin. Là où certains accèdent à la prévention et aux soins, d’autres continuent de vivre dans la marginalité médicale. Cette rupture brise le sentiment d’équité et ralentit la productivité économique. La santé n’est pas seulement une affaire de compassion, c’est un levier stratégique : un peuple malade ne produit pas, n’innove pas et ne contribue pas à la richesse nationale.
Quelles politiques publiques seraient les plus efficaces pour corriger ces disparités ?
La priorité est d’établir une stratégie qui parle aux réalités des populations. Il faut d’abord restaurer la confiance entre les communautés et les structures de santé à travers un travail patient de sensibilisation, mené avec les leaders religieux et traditionnels. Ensuite, l’offre de soins doit être rapprochée des citoyens, non seulement en construisant des centres, mais en s’assurant qu’ils soient fonctionnels, équipés et dotés de personnel qualifié. Et enfin, aucune égalité sanitaire n’est possible sans protection financière. La couverture sanitaire universelle doit devenir une réalité, notamment par la formalisation des emplois, la déclaration à la sécurité sociale et l’adhésion massive aux mutuelles de santé.
Quel rôle l’assurance maladie universelle peut-elle concrètement y jouer ?
Elle représente un pilier essentiel vers une véritable justice sociale. En garantissant à chacun un socle de soins accessibles, elle empêche les familles de choisir entre se soigner et se nourrir. Une assurance maladie universelle n’est pas un luxe administratif, c’est un rempart contre le renoncement aux soins. Lorsqu’un pays protège la santé de ses citoyens, il affirme que chaque existence a de la valeur, indépendamment du revenu.
Comment l’État, les Ong, le secteur privé et la technologie peuvent-ils agir ensemble ?
En travaillant dans une logique de convergence plutôt que de juxtaposition. La formalisation progressive du secteur privé et l’enregistrement des acteurs non déclarés permettront d’élargir la base de ceux qui peuvent contribuer et bénéficier de la protection sociale. Les Ong et l’État doivent coordonner leurs efforts pour porter un message commun. Quant à la technologie, elle ouvre des perspectives nouvelles avec la télémédecine, mais elle ne portera ses fruits que si l’infrastructure suit. Notre rôle est d’encourager les initiatives de digitalisation, tout en reconnaissant que leur déploiement doit rester progressif et adapté aux réalités locales.
Quel rôle peut jouer le citoyen et quelles sont les priorités immédiates ?
Chaque
individu a une responsabilité. Il ne suffit pas de réclamer des droits, il faut
aussi adopter une culture favorable aux soins de santé primaires, se rapprocher
d’une structure de santé, s’enregistrer et souscrire à une mutuelle ou
assurance. Mais la responsabilité principale incombe à l’État : définir une
politique de santé centrée sur les besoins prioritaires, expliquer les
bienfaits de la protection sociale et associer les communautés à chaque étape.
La santé n’est pas seulement une prestation, c’est un pacte national.
Tychique Nougbodé, expert en santé publique et kinésithérapeute