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Rosemonde Raymonde Tchiakpè: Une amazone de l’image sur le toit de l'audiovisuel africain

Société
Rosemonde Raymonde Tchiakpè Rosemonde Raymonde Tchiakpè

Elle n’apparaît presque jamais à l’écran, mais façonne les images depuis plus de vingt ans et préfère le silence de l’objectif. Femme de l’ombre, Rosemonde Raymonde Tchiakpè passe sous les projecteurs, depuis quelques jours, pour avoir signé pour Bénin TV un grand reportage salué à l’échelle africaine. Une reconnaissance méritée pour une voix silencieuse du journalisme, de la production audiovisuelle publique.

Par   Josué F. MEHOUENOU, le 15 juil. 2025 à 11h21 Durée 3 min.
#secteur audiovisuel #Afrique #Bénin

A l’écran, on ne voit pas cette camerawoman de 1,64 m. Pourtant, ce sont ses réalisations audiovisuelles qui défilent. Ses plans racontent le Bénin, la vie, le quotidien, les silences qui parlent et même font découvrir la face cachée de la vie des individus et des communautés. Elle ne court pas après la lumière mais elle la capte. Désormais, c’est tout un continent qui applaudit et salue une femme d’exception, une ouvrière silencieuse dont le mérite réside dans l’envie de la perfection. Et comme ce sont les histoires singulières qui révèlent les grandes âmes, c’est Innocent, ce jeune homme perdu parmi les plus de treize millions de Béninois qui la sort de l’ombre. 

Rosemonde Raymonde Tchiakpè vient de voir sa production « Innocent, un exemple de courage » diffusée sur Bénin Tv, décrocher le prix du Meilleur grand reportage Télévision décerné par l’Union africaine de radiodiffusion (Uar). Une réalisation de 26 minutes qui s’apparente plutôt à une leçon de vie. La camerawoman braque son objectif sur le quotidien d’un jeune homme de vingt ans, Innocent, né sans bras ni pieds, mais débordant de volonté, d’humour, de force et surtout de courage. Elle l’a croisé lors d’une descente sur le terrain avec l’Agence nationale en charge de l’emploi (Anpe) sur le dispositif "Azoli". Ce reportage naît d’une rencontre bouleversante, raconte la reporter. « J’avais mon œil gauche dans l’œilleton. Mon journaliste était à côté de moi. On a posé la première question, et là, Innocent s’est mis à raconter sa vie, sans plaintes, sans bras, sans pieds, mais avec une dignité désarmante. Je n’ai pas pu lever la tête, je coulais des larmes». Le choc né de cette rencontre va donc motiver son défi et son désir de mettre en lumière la volonté manifeste de ce jeune garçon d’incarner, malgré les obstacles imposés par son handicap, le vivre-pleinement.

Tandis qu’Innocent défie les limites et transforme ses contraintes physiques en une source d’innovation et d'autonomie, Rosemonde, elle entendait satisfaire les besoins et envies de modèles positifs et d’histoires de courage, de résilience. In fine, elle se voit mise en lumière par le jury de l’Uar grâce à son regard affûté par deux décennies de terrain. Vendredi 4 juillet dernier, une cérémonie spéciale a été organisée pour saluer le talent et le parcours de cette camerawoman et gestionnaire de production à Bénin Tv. S’il y a une leçon à retenir, selon la lauréate, c’est d’être « tous des modèles de résilience...». Reconnaissante, la lauréate l’est aussi en direction de son équipe de production, puis à Abiath Oumarou Denagbe, ancienne directrice de la télévision publique, qui a cru en ses nouvelles compétences pour l’affecter de la technique à la production et enfin, à Angela Aquereburu Rabatel, actuelle directrice de l’audiovisuel public béninois qui la célèbre. 

Une femme d’exception dans un monde d’hommes

Camerawoman dans un milieu où les femmes se comptent, Rosemonde a dû s’imposer par la maîtrise du cadre, la justesse du geste et la précision du regard. « Quand j’ai intégré la division reportage, raconte Jean Nobimè, caméraman à la Srtb, ce qui m’a d’abord frappé chez elle, c’est sa forme sur la caméra. Et puis, en m’approchant d’elle, j’ai vu la précision, l’œil, la rigueur ». Elle disait toujours, fais ton travail bien, les gens t’observent, se souvient son collègue. Vingt années de terrain, d’images, d’interviews, de poussière, de lumière, de fatigue. Mais ce qui est resté intact chez cette originaire de Ouidah au sourire naturel qui porte fièrement ses cicatrices raciales, c’est son attachement constant au travail bien fait. Cela n’a pris la moindre ride au bout des deux décennies de vie de Rosemonde dans les locaux du média audiovisuel public.

Très maternelle en famille, Rosemonde est aussi cette battante discrète. Se faire caser sur la liste restreinte du personnel technique de la télévision publique béninoise n’était pas une panacée pour elle. Sur les bancs de l’école, elle retournera. D’abord pour une Licence en audiovisuel. Le succès étant gourmand, l’envie d’en avoir plus la pousse, toujours dans les locaux de l’Institut supérieur des métiers de l’audiovisuel (Isma), à opter pour un Master en gestion de production, obtenu avec détermination. Un grade dont elle ne jouit pas encore de la reconnaissance auprès de l’administration qui l’emploie. « Elle avait cette rage de réussir. On l’observait. Elle ne le savait pas, mais elle nous inspirait. Elle faisait partie de ces femmes qu’on regarde pour apprendre », confie Jean Nobimè. « Elle incarne quatre mots : rigueur, vérité, détermination, discipline. Elle n’était pas juste une technicienne. Elle était une artiste. Une voix silencieuse qui donnait à voir ce que d’autres ne savaient pas montrer », rajoute son autre collègue Augustin Gbodou.

Une voix inspirante pour les générations futures

Elle respire la détermination, la rage de réussir, poursuit Augustin Gbodou. Derrière la caméra, Rosemonde n’était pas simplement une technicienne. Elle était également une artiste, une conteuse, une voix silencieuse... Très tôt, ses atouts, sa constance et sa finesse ont fait d’elle une professionnelle respectée. Et c’est tout naturellement qu’elle est devenue une réalisatrice émérite, laisse-t-il entendre. Cette distinction n’est, selon lui, rien de plus que la consécration et le couronnement des années de labeur, d’engagement, des nuits sans sommeil, des pratiques du terrain parfois rude, mais toujours conquis avec humilité et passion. Pour lui, Rosemonde honore toute une génération de cameramen et de femmes de médias.

Rosemonde prend le temps de voir et de faire voir. L’histoire qu’elle raconte d’Innocent n’en est qu’une infime illustration. Elle fait partie de ces femmes qui documentent le Bénin pour la postérité. A l’instar du personnage qui lui vaut sa distinction professionnelle, Rosemonde est aussi un exemple de courage, de résilience et d’endurance. Une amazone contemporaine de l’image, qui ne porte pas de coutelas, mais une caméra. Pour elle, chaque reportage est une marche, une révélation. Elle préfère le terrain à la scène, l’objectif à la tribune, le cadre à la vedette. Et, son œuvre est là, visiblement forte, indélébile et inspirante. Pourtant, de sa petite voix, elle ne cessera jamais de clamer : « Je n’aime pas être devant la caméra. Je me préfère toujours derrière. C’est là que je suis bien. C’est là que je donne le meilleur de moi ».