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Reconstruction de la Bande de Gaza: La proposition de Trump et le principe d'autodétermination des peuples

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Théodore C. Loko Théodore C. Loko

La proposition du président Donald Trump visant à reconstruire la Bande de Gaza en la transformant en une "Riviera du Moyen-Orient" soulève des questions complexes au regard du principe d'autodétermination des peuples. 

Par   Théodore C. Loko, le 17 févr. 2025 à 06h31 Durée 4 min.
#Bande de Gaza #Réflexion

Le principe de l'autodétermination a évolué d'une idée philosophique à une norme du droit international, notamment dans le contexte de la décolonisation. Toutefois, son application reste source de tensions, notamment lorsque l'autodétermination  entre en conflit avec la souveraineté étatique.

L'idée d'autodétermination trouve ses racines dans les Lumières et la philosophie politique moderne :

- Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) développe la notion de souveraineté populaire dans Le Contrat social(1762), affirmant que le pouvoir légitime doit émaner du peuple.

- La Révolution française (1789) promeut cette idée avec le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, bien qu'elle soit appliquée de manière contradictoire à travers l'expansion napoléonienne.

Au XIXe siècle, le principe est invoqué dans les mouvements nationaux européens (Italie, Allemagne, Pologne, Grèce) qui luttent pour leur indépendance face aux empires multinationaux (Austro-Hongrois, Ottoman, Russe).

Le président américain Woodrow Wilson, dans ses Quatorze Points (1918), défend le droit des peuples à l'autodétermination après la Première Guerre mondiale. Cela conduit au démembrement des empires européens et à la création de nouveaux États en Europe.

Toutefois, ce principe reste largement limité à l'Europe et n’est pas appliqué aux colonies, toujours sous domination européenne.

Après la Seconde Guerre mondiale, le principe prend de l'ampleur avec la Charte des Nations Unies (1945), qui mentionne le droit des peuples à l'autodétermination.

Dans les années 1960, avec la vague de décolonisation en Afrique et en Asie, l’Onu adopte la résolution 1514 (1960), déclarant que la colonisation est contraire aux droits fondamentaux.

De nombreux États accèdent à l’indépendance, notamment grâce aux référendums ou aux luttes armées.

L’analyse de ce principe se décompose en trois volets (I) qu’il s’agit de croiser avec l’actualité de la géopolitique contemporaine (II).

I - Analyse

A/ Théorie de l'autodétermination des peuples

L'autodétermination est le droit pour un peuple de déterminer librement son statut politique et de poursuivre son développement économique, social et culturel sans ingérence extérieure. Ce principe est fondamental en droit international et est reconnu comme un droit impératif.

B/ Principe en droit international 

Le droit à l'autodétermination est inscrit dans la Charte des Nations unies, notamment à l'article 1.2, qui stipule que l'un des buts de l'Onu est de "développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l'égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes".

Ce droit implique que les peuples peuvent choisir leur statut politique sans coercition extérieure. 

C/ Doctrine de politique étrangère 

La proposition de Trump consiste à déplacer une grande partie de la population palestinienne de Gaza vers des pays voisins tels que l'Égypte et la Jordanie, puis à reconstruire la région en une zone touristique prospère.

Cette approche a été critiquée par de nombreux dirigeants internationaux, y compris le roi Abdallah II de Jordanie, qui a exprimé son opposition à tout déplacement forcé des Palestiniens, le qualifiant de contraire au droit international et assimilable à une "purification ethnique".

Du point de vue de l'autodétermination, le déplacement forcé des Palestiniens de leur territoire ancestral constitue une violation flagrante de leur droit à déterminer leur propre avenir. Les habitants de Gaza ont exprimé leur attachement profond à leur terre et leur refus de la quitter, malgré les conditions de vie difficiles.

Ainsi, la mise en œuvre de ce plan sans le consentement des populations concernées serait en contradiction directe avec le principe d'autodétermination tel que défini par le droit international.

II - L’actualité de la géopolitique contemporaine

Le Moyen-Orient est une région marquée par des défis persistants, influencés par des dynamiques historiques, ethniques, religieuses et économiques. Les décisions des grandes puissances, notamment les États-Unis, la Russie, la Chine et l'Union européenne, jouent un rôle majeur dans l'évolution de ces enjeux. Voici une analyse des principaux défis et des implications géopolitiques des interventions étrangères :

A/ Les conflits et tensions régionaux

- Guerre en Syrie : Le conflit syrien reste un enjeu majeur avec l'implication de la Russie, des États-Unis, de la Turquie et de l'Iran. La stabilité du pays est encore menacée par la présence de groupes djihadistes, de tensions ethniques et d'ingérences étrangères.

- Conflit israélo-palestinien : Les tensions récurrentes entre Israël et les territoires palestiniens continuent d’alimenter l’instabilité, avec des implications pour la sécurité régionale et internationale.

- Yémen : La guerre civile entre les Houthis, soutenus par l'Iran, et le gouvernement reconnu par la communauté internationale, appuyé par l'Arabie saoudite, a des conséquences humanitaires dramatiques.

- L’Irak et l’instabilité post-Daech : Malgré la défaite territoriale de l'État islamique, l’Irak reste fragilisé par des divisions sectaires et l’influence grandissante de l’Iran.

B/ La rivalité entre puissances régionales 

- Arabie saoudite vs Iran : La lutte d’influence entre ces deux puissances chiite et sunnite se manifeste en Syrie, au Yémen, en Irak et au Liban.

- Turquie : Ankara cherche à accroître son influence, notamment en Syrie et en Libye, tout en maintenant des relations complexes avec la Russie et l'Otan.

- Israël et ses alliances : Le pays renforce ses partenariats avec les États arabes via les Accords d'Abraham, modifiant l'équilibre régional.

C/ L’influence des grandes puissances et leurs intérêts 

- États-Unis : Leur retrait progressif de la région a laissé place à une influence accrue de la Russie et de la Chine. Washington reste toutefois engagé en Israël, en Arabie saoudite et dans la lutte contre le terrorisme.

- Russie : Moscou soutient le régime de Bachar al-Assad en Syrie et cherche à renforcer son rôle dans le Golfe et en Afrique du Nord.

- Chine : Pékin investit économiquement, notamment à travers les Nouvelles Routes de la Soie, et renforce ses liens avec l'Iran et les pays du Golfe.

- Europe : L'Ue joue un rôle diplomatique mais manque d’influence militaire significative dans la région.

D/ Enjeux énergétiques et économiques

- Pétrole et gaz : Les grandes puissances cherchent à sécuriser leurs approvisionnements, notamment en raison de la transition énergétique et des fluctuations des prix.

- Sanctions économiques : L’Iran subit des sanctions américaines, influençant ses relations avec la Russie et la Chine.

E/ Terrorisme et sécurité

- La menace djihadiste persiste avec des groupes comme Daech et Al-Qaïda actifs en Syrie, en Irak et au Sahel.

- Les puissances mondiales doivent équilibrer lutte antiterroriste et respect des droits humains.

Conclusion

L’autodétermination est invoquée dans des contextes variés: Québec (Canada), Écosse (Royaume-Uni), Catalogne (Espagne), Kurdistan, Palestine, Kosovo, Crimée, etc.

Le droit international reconnaît surtout ce principe dans les contextes de décolonisation, mais il est plus controversé lorsqu’il est invoqué par des mouvements séparatistes à l'intérieur d'États souverains.

L’Onu soutient le droit à l’autodétermination mais insiste aussi sur l'intégrité territoriale des États, créant un équilibre complexe entre ces deux principes.

Il y a lieu de reconnaitre que les défis du Moyen-Orient restent complexes et interconnectés, avec des implications directes sur la sécurité et l’économie mondiales.

La décision de Trump est troublante. Il est vrai, les grandes puissances façonnent l'avenir de la région par leurs décisions, mais la stabilité durable dépendra également des dynamiques locales et des initiatives diplomatiques régionales.

A Bon entendeur salut !!!

Ambassadeur (à la retraite)
Docteur en Droit public
Enseignant-chercheur