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Dr Freddy Gnangnon, cancérologue-chirurgien au Cnhu-Hkm: Le cancer du sein, une maladie dangereuse mais évitable

Santé
Par   Eric TCHOGBO, le 12 sept. 2017 à 06h26

Le cancer du sein est de plus en plus observée chez beaucoup de femmes béninoises, notamment celles qui vivent dans les villes. Mais il peut être évité ou guéri lorsqu’il est très vite détecté et pris en charge. A ce sujet, Dr Freddy Gnangnon, cancérologue-chirurgien au Centre national hospitalier universitaire-Hubert K. Maga (Cnhu-Hkm) de Cotonou nous donne des explications.

La Nation : Qu’est-ce que le cancer de sein ?

Dr Freddy Gnangnon : Avant de définir le cancer du sein, il faut d’abord dire ce que c’est que le cancer tout court. Il faut savoir que notre corps est composé de milliards de cellules qu’on ne peut pas voir à l’œil nu, mais qui pourtant fonctionnent de manière parfaite. On parle de cancer lorsque certaines cellules de notre organisme deviennent folles et se multiplient de manière anarchique, de manière incontrôlée et détruisent les organes du corps humain.
Le cancer du sein, c’est le cancer qui commence au niveau du sein. Sachez que la particularité du cancer, c’est qu’il commence toujours au niveau d’un organe donné et cette cellule malade migre vers d’autres organes et crée des problèmes dans ces organes. Le cancer du sein, naît au niveau du sein mais les cellules cancéreuses peuvent rentrer dans le sang, dans la lymphe, aller par exemple au niveau du poumon, le détruire et empêcher le malade de respirer, aller au niveau du foie empêcher le foie de fonctionner ou aller au niveau du cerveau et peut-être créer le décès du malade.

Quelle est la tranche d’âge à partir de laquelle une femme peut être affectée par le cancer de sein ?

Toutes les femmes en âge d’activités génitales peuvent souffrir du cancer du sein. Généralement, il est plus fréquent chez les femmes âgées et déjà ménopausées. Mais on a constaté qu’en Afrique et précisément au Bénin, beaucoup de femmes jeunes sont atteintes du cancer du sein. Sinon en Europe, on le constate souvent chez les femmes âgées. Une étude menée au Cnhu de Cotonou a montré que l’âge moyen des femmes atteintes du cancer de sein tournait autour de 40 ans, ce qui est très jeune par rapport aux pays occidentaux. Donc, il n’y a pas un âge exact pour souffrir du cancer du sein. Moi particulièrement, la patiente la plus jeune que j’ai vu avait 18 ans et la plus âgée avait 86 ans.
Quelles sont les causes du cancer du sein ?

Le cancer fait partie des maladies qu’on appelle les maladies non transmissibles. A l’opposé des maladies infectieuses qui ont des causes très précises, les maladies non transmissibles comme le cancer n’ont pas de causes précises, elles ont plutôt ce qu’on appelle les facteurs de risque. Le facteur de risque est quelque chose qui peut augmenter votre risque de faire une maladie donnée, mais ce n’est pas parce que vous avez ce facteur de risque que vous avez automatiquement la maladie. Et il faut remarquer aussi que certaines personnes peuvent ne pas avoir le facteur en question et faire la maladie. Mais quand on regarde, on sait que quand vous avez tel facteur, vous courez dix fois, quinze fois plus de risque que toutes autres personnes de faire cette maladie. Je vous donne un exemple plus simple. Vous avez deux villages, dans le village A les gens fument la cigarette et dans le village B personne ne fume la cigarette. Vous laissez les deux villages et vous revenez dix ans plus tard dans le village où les gens fument la cigarette, vous aurez peut-être dix cas de cancer du poumon et dans le village où les gens ne fument pas vous aurez deux cas de risque de cancer de poumons. Vous allez dire que le fait de fumer la cigarette multiplie par cinq le risque de développer un cancer de poumon. Mais dans le village des fumeurs, il y a des gens qui ont fumé mais n’ont jamais développé un cancer. Alors que dans le village des non-fumeurs, il y a des gens qui n’ont jamais fumé mais ont le risque du cancer du poumon. Mais vous direz que la cigarette est un facteur de risque pour le développement du cancer de poumon parce que quand vous fumez vous multipliez par cinq le risque de faire le cancer du poumon. Donc, c’est ce qu’on appelle un facteur de risque. Les cancers ont des facteurs de risque c’est-à-dire les choses qui augmentent le risque chez la personne de faire la maladie. Alors les facteurs de risque sont de diverses natures. En ce qui concerne le cancer du sein, on a d’abord les facteurs de risque concernant la vie reproductive de la femme. Les femmes qui ont eu leurs premières règles très tôt avant 12 ans ont plus de risque de développer un cancer de sein que celles qui l’ont eu après 12 ans. Mais ça ne veut pas dire que si vous avez vos règles avant 12 ans, automatiquement vous aurez le cancer du sein mais vous avez plus de risque qu’une autre femme. De même, les femmes qui ont eu leur ménopause tardivement ont plus de risque que les autres femmes d’avoir le cancer du sein. Les femmes qui ont eues leur premier enfant après 30 ans ont plus de risque que les autres femmes de développer un cancer, les femmes qui ont peu ou pas d’enfants (peu c’est moins de deux enfants) ont plus de risque que les autres femmes de développer un cancer du sein ; les femmes qui ont utilisé des pilules contraceptives sans surveillance de leur gynécologue pendant plus de six ans. Il faut dire que les pilules contraceptives sont très utiles pour la santé de la femme mais elles doivent être administrées sous surveillance médicale.
Ensuite, nous avons les facteurs génétiques. Il y a des gènes et quand vous les avez, cela vous condamne de manière plus ou moins inévitable à avoir le cancer du sein. Donc, si dans votre famille, votre mère ou votre sœur a eu le cancer du sein, vous avez plus de risque qu’une autre femme d’avoir le cancer du sein. Si c’est votre sœur et votre mère qui l’ont eu, votre risque est multiplié par un chiffre très élevé. Plus vous avez des parents qui ont eu le cancer du sein, plus vous courez le risque de l’avoir aussi. Nous avons aussi les facteurs environnementaux et comportementaux. Plus une femme consomme l’alcool, les aliments riches en graisse et les viandes rouges, plus elle court le risque d’avoir le cancer du sein. Il faut aussi noter que les femmes obèses ont une forte chance de souffrir de ce mal.

Est-il vrai que les femmes citadines sont les plus exposées ?

Oui. C’est ce que j’ai appelé les facteurs environnementaux et même à l’échelle mondiale, vous allez constater que les femmes des villes sont plus sédentaires ; elles consomment beaucoup de nourritures de type fast-food, elles font moins d’activités physiques et ne font pas beaucoup d’enfants. Mais pendant ce temps, les femmes rurales mangent des produits naturels, des fruits et légumes, ont des activités physiques et ont beaucoup d’enfants qu’elles allaitent. Toutefois, les femmes rurales peuvent aussi développer le cancer du sein.

Quels sont les signes d’alerte du cancer du sein ?

Les signes annonciateurs du cancer du sein ne sont pas malheureusement spécifiques car d’autres maladies se manifestent de la même manière et lorsque les signes apparaissent, il est souvent tard déjà. Pour les signes, nous pouvons avoir toutes modifications du sein chez la femme, un sein plus gros que l’autre, des boules dans le sein, l’aspect de la peau d’orange, l’écoulement de liquide par le sein parfois ensanglanté, le changement de couleur d’un sein par rapport à l’autre, des ganglions au niveau des aisselles. Ces signes peuvent annoncer le cancer du sein.

Faut-il attendre ces signes avant d’aller en consultation chez un médecin ?

Il ne faut pas attendre ces symptômes pour consulter un médecin. Dès l’apparition de ces signes et avant même que les signes n’apparaissent, il faut consulter un médecin. Il est à retenir que le cancer en Europe se traite avec de très fortes chances de guérison quand il est très vite dépisté. Le dépistage peut se faire par la jeune fille elle-même qui, à la fin de ses menstrues, se palpe les seins. Chaque mois, elle doit palper ses seins pour voir s’il y a des anomalies, se faire examiner les seins au moins une fois par an. A partir de 50 ans, toute femme doit faire la mammographie ; la mammographie étant une radiographie qui permet de détecter le cancer du sein alors que celui-ci a la taille d’une épingle. Le dépistage précoce du cancer du sein permet de traiter la maladie sans pour autant amputer le sein et de guérir totalement que le cas où le cancer est dépisté tardivement et que les femmes ont de fortes chances de mourir.

Comment les patientes sont-elles prises en charge ?

Le traitement du cancer doit être exécuté par plusieurs spécialistes tout simplement parce que ce n’est pas un seul traitement mais plusieurs traitements que la même patiente peut subir pour le cancer. Le premier traitement c’est la chirurgie ; c’est-à-dire enlever la maladie. Si la maladie est détectée très tôt, on peut enlever seulement la partie atteinte afin de pouvoir conserver le sein : c’est la chirurgie conservatrice. Mais si la femme vient très tard et que tout le sein est pris et que la boule est déjà grosse, il faut enlever entièrement : c’est la mastectomie. Nous pratiquons cette chirurgie au Bénin et plus précisément au Cnhu.
Le deuxième traitement, c’est la chimiothérapie : c’est l’utilisation des médicaments injectés ou pris par la bouche pour tuer les cellules cancéreuses qui ont pu s’échapper avant ou après la chirurgie mais c’est un traitement qui est cher et qui a beaucoup d’effets secondaires mais très utile pour le traitement.
Le troisième traitement, c’est la radiothérapie : c’est l’utilisation des radiations urgentes pour tuer les cellules cancereuses. C’est généralement un traitement qu’on pratique après l’opération. Ce traitement n’existe pas encore au Bénin et les malades sont obligés de se rendre à l’extérieur du pays pour le suivre. La radiothérapie permet d’empêcher la maladie de repousser éventuellement sur la même partie. C’est un traitement qui coûte aussi cher.
Le quatrième traitement, c’est la thérapie ciblée. C’est un traitement voisin de la chimiothérapie. Ce traitement est généralement administré par voie injectable et qui permet d’attaquer de manière spécifique une cellule cancéreuse pour la tuer. C’est un très bon traitement mais qui coûte extrêmement cher. Une seule prise peut couter plus d’un million F Cfa et une malade peut avoir besoin de dix-huit (18) tuyaux. Ce qui fait que beaucoup de femmes n’arrivent pas à suivre ce traitement.
Le cinquième, c’est l’hormonothérapie. C’est un traitement qui permet de bloquer la sécrétion des hormones par l’organisme. Il faut noter que le cancer du sein est un type de cancer qui se multiplie quand il y a des hormones. Donc ce traitement bloque la sécrétion d’hormones par l’organisme afin d’empêcher la multiplication du cancer. Ce traitement est en général sans effets secondaires notables et coûte moins cher que les autres. Malheureusement, les femmes noires (africaines) ne répondent pas souvent à ce type de traitement.

Quelles sont les mesures préventives du cancer du sein ?
Les mesures préventives sont diverses. La toute première étape est d’empêcher le cancer d’arriver. C’est-à-dire d’éviter la consommation d’alcool, manger beaucoup de fruits et légumes, faire des activités physiques pour ne pas grossir, éviter de prendre trop de sucre. Et quand le cancer est déjà là, la femme doit venir très tôt pour être traitée afin de pouvoir garder son sein en état normal. Mais il est constaté que six femmes sur dix laissent la maladie venir au stade terminal avant de se rendre à l’hôpital et cela leur est souvent fatal. Pour cela, il faut dépister le cancer tôt. Il faut prendre des pilules contraceptives seulement sous la surveillance d’un gynécologue. La dernière mesure est celle que nous appelons les soins palliatifs. C’est le soin que nous faisons aux malades quand elles viennent nous voir lorsque le cancer a déjà atteint la phase terminale.

Certains affirment que le traitement traditionnel est plus efficace pour guérir une patiente atteinte du cancer du sein. Qu’en pensez-vous ?

Certes, la pharmacopée est très riche au Bénin. Mais il est capital que les guérisseurs traditionnels testent suffisamment leurs produits avant de les administrer aux malades. Il y a une dizaine d’années, les malades du cancer du sein dans notre pays étaient obligées d’aller en Occident pour se faire traiter. Mais le tir a été corrigé, car il existe chez nous ces traitements qui emmenaient les patientes à voyager. Et gardez-vous bien, ces traitements ont été testés pendant des dizaines d’années sur des milliers de patients, avant que les malades n’y aient accès. Alors je trouve qu’il est inadmissible que n’importe qui prétend guérir un mal à l’aide des plantes sans en avoir les preuves au préalable. Il est exigé au Cnhu que les médecins aient sept à douze ans d’études avant de toucher un malade. Le cancer du sein est une maladie très grave. Donc la moindre erreur observée au niveau du traitement est fatale. Nous recevons chaque jour de nombreux malades trompés et arnaqués par des guérisseurs traditionnels qui viennent mourir à l’hôpital. C’est cette ignorance qui pousse les gens à affirmer que les médecins sont incapables de guérir les malades.
Il existe bien des cas où la médecine moderne se sert de celle traditionnelle (plantes) pour établir des remèdes. C’est le cas du cancer, il faut l’avouer. Mais il faut franchir un certain nombre d’étapes pour avoir la garantie que les plantes peuvent guérir un mal. Il urge que les mentalités changent pour que le taux de décès dû à ce mal baisse.

Votre mot de fin pour conclure cet entretien

Je demande aux femmes de s’auto-palper pendant dix minutes au plus, trois à quatre jours après leurs menstrues. Lorsqu’elles ressentent le moindre changement au niveau d’un sein, elles doivent immédiatement se rendre dans un centre de santé pour consulter un médecin. Cela leur permettra de savoir s’il s’agit ou non d’un cancer du sein. Aux hommes qui sont minoritairement concernés par le problème, je demande aussi qu’ils se rendent à l’hôpital dès qu’ils remarquent un problème au niveau de leurs seins. Parce que plus tôt le mal est détecté, plus il existe de chances de sauver le malade.
Chacun doit s’éloigner des facteurs de risques suscités pouvant multiplier les chances de contracter cette maladie. Car selon des études, une femme sur onze à une femme sur huit, aura le cancer du sein dans sa vie.

Propos recueillis par Roméo KPATCHA  (Stag)