Dr Sylvie Briand de l’Oms: Les épidémies ont toujours un impact sur la société…
Santé
Par
LANATION, le 27 mai 2020
à
08h05
Dr Sylvie Briand, directrice du Département de préparation aux risques infectieux mondiaux de l'Organisation mondiale de la Santé, répond ici aux questions de Maryn McKenna, journaliste et auteure indépendante spécialisée en santé publique, responsable du Knight center for Journalism in the Americas et membre du Center for the Study of Human Health de l’Université Emory, par ailleurs instructrice principale du programme de formation ‘’Couvrir le COVID-19 maintenant et à l'avenir’’ qui mobilise plus de 150 pays.
Maryn McKenna : Dr Briand, pourriez-vous nous dire très brièvement comment la riposte de l'Oms au Covid-19 fonctionne et quel a été votre rôle dans cette réponse ?
Dr Sylvie Briand : L'Oms est une agence des Nations-unies et est gouvernée par 194 États membres. Et donc, nous travaillons, je veux dire, le secrétariat de l'Oms travaille pour ces 194 Etats membres. Et notre rôle en ce qui concerne le Covid-19 est guidé par le Règlement sanitaire international, qui est un accord juridique signé en 2005 par tous les États membres. Et ça donne d'abord à l'Oms le mandat de détecter les nouvelles situations d'urgence et de collaborer avec les États membres pour une détection précoce. Et puis nous véri?ons les informations. En?n, nous avons également le mandat de coordonner la riposte. Nous travaillons donc sur tous les aspects de la réponse à cette épidémie qui vont de la surveillance et de la collecte de données jusqu'au soutien technique aux États membres sur la façon de mettre en place une réponse efficace dans leur propre pays. Et aussi, nous fournissons des approvisionnements, par exemple, pour le diagnostic, ou les équipements de protection individuelle. Et lorsque nous aurons un vaccin ou des produits thérapeutiques, nous aiderons également le monde à accéder à ces produits médicaux.
Il est clair qu'un effort énorme est fait pour communiquer avec la presse et le public. Est-ce que l'Oms a des principes ou des stratégies de base pour informer le public et la presse sur les dangers tels que le Covid-19 ?
Oui, nous pensons qu'à l'Oms, nous avons beaucoup d'expériences dans la gestion des épidémies parce que nous y travaillons depuis la création de l'Oms. En fait, en 1948, cette agence a été créée après une épidémie de choléra en Égypte, où tous les pays ont réalisé que les épidémies ne connaissaient pas de frontières. Et si vous voulez vraiment contrôler efficacement les épidémies, vous devez vraiment travailler ensemble. C'est pourquoi l'Oms a un rôle central dans la lutte contre ces épidémies. Et une partie de la réaction est vraiment dans la communication, parce que vous devez vous assurer que tout le monde a accès à l'information, à la bonne information au bon moment, a?n qu'il puisse réellement agir sur cette information. Et la relation avec les médias est extrêmement importante, car les journalistes font partie de ces réponses. Nous demandons à chacun de se laver les mains, de garder une distance physique, de porter des masques. Et ainsi, tout le monde contribue à ralentir la transmission du virus. Et les médias et journalistes sont vraiment utiles pour transmettre ces messages, expliquer à la population ce qu'est cette maladie, ce qu'est ce virus et ce qu'il faut faire pour se protéger et protéger sa famille.
C'est pourquoi nous essayons d'expliquer très régulièrement aux journalistes ce que nous savons de la maladie. Aussi, quelles sont les recommandations que nous aimerions qu'ils transmettent au reste de la population. Avant décembre 2019, personne ne connaissait le Covid. La science fait donc de bons progrès et progresse très rapidement. Chaque jour, nous découvrons quelque chose sur le virus, sur les manifestations de la maladie, sur la façon dont les gens peuvent le contrôler. Et ainsi, ces connaissances collectives sont construites à travers les médias aussi.
Vous participez à la riposte pandémique à l'Oms depuis plus de 10 ans maintenant, pourriez-vous nous développer à quel point l'actuelle épidémie et sa réponse sont différentes de ce qui s'est passé notamment en 2009 ?
2009, c'était très spécial : tout d'abord c'est arrivé après le Sras, le Sras c'était en 2003. Et donc le Sras a été vraiment un signal d'alarme pour de nombreux pays parce qu'ils ont
réalisé à quel point le monde est interconnecté aujourd'hui et à quel point quelques milliers de cas -parce que le Sras c'était 8 000 cas, 800 décès- ; comment une épidémie de ce genre peut déstabiliser complètement les économies. Et donc tout le monde était vraiment effrayé par la résurgence potentielle de la pandémie de grippe. Ainsi, entre 2005, quand un nouveau règlement sanitaire international a été adopté et 2009, lorsque la pandémie de grippe H1N1 a commencé, il y a eu beaucoup de mesures de préparation mises en place.
Par exemple, en Europe, la majeure partie des pays avaient accumulé des stocks de masques. Ils avaient également mis en place une sorte de mécanisme pour diagnostiquer la maladie et mettre en place des réseaux de laboratoires. Et ils avaient aussi un plan d'urgence, des plans d'urgence pour les hôpitaux et aussi des listes de personnels de santé pour avoir des capacités de recherche et ainsi de suite. Beaucoup d’acquis étaient en cours avant 2009. Donc, lorsque la pandémie a commencé, les gens étaient préparés, je pense que la
chorégraphie s'est bien déroulée. Je veux dire que les pays avaient l'habitude de travailler ensemble. Donc nous n'avons pas vu de problèmes majeurs. C’est pourquoi la mortalité était assez faible. Puis les gens ont pensé que c'était vraiment une pandémie bénigne. Alors pourquoi avons-nous dépensé autant d'énergie pour quelque chose qui est bénigne ? Et après cette pandémie de 2009, il y avait vraiment une sorte de "fatigue" de préparation pandémique.
Et de nombreux pays n'ont pas mis à jour leurs plans et n'ont pas reconstitué leurs stocks de masques et ils ont estimé que ça ne posait pas de problème… En ce qui concerne le Covid-19, quand nous avons abordé cette pandémie au départ, c'était les premières semaines où nous ne savions pas vraiment quel serait le problème parce que nous nous attendions toujours à ce que ce soit comme le Sras, et que nous serions en mesure de le contrôler et de le contenir à sa source, c'est-à-dire en Chine. Et donc au début, même lorsque nous avons déclaré une urgence, nous avons déclaré une urgence d'intérêt international le 30 janvier, à cette époque, il n'y avait que 80 cas en dehors de la Chine et zéro décès.
Donc, à ce moment-là, même le comité d'urgence à qui nous avions demandé s'il fallait déclarer une "urgence de santé publique d'intérêt international" (Pheic) était divisé. Certains d'entre eux disaient : non, ce n'est rien, ça disparaîtra. Et d'autres ont dit, non, ce nouveau virus a un potentiel pandémique. Donc, nous devons déclarer l'alerte maintenant. Et donc, ce n'était pas une décision facile. Mais je pense que l'un des éléments qui les a convaincus de lever la sonnette d'alarme à ce moment-là, même si le nombre de cas et de décès était extrêmement faible, c'est juste parce que c'était une nouvelle maladie et que nous n'avions pas d'antiviraux, pas de vaccins. Donc nous n'avions pas d'outils permettant une intervention médicale pour faire face à ce nouveau virus.
Et nous n'avons dû compter que sur des interventions non pharmaceutiques, c'est-à-dire des mesures de santé publique. Et c'est ce que nous avons fait jusqu'à présent. Mais comme vous le voyez,elles sont très diffciles à mettre en œuvre dans un monde si interconnecté et où les économies sont mondialisées. Si vous voyagez dans un endroit du monde, cela a un impact sur l'autre reste du monde. Et donc tout est lié. Et il est très difficile d'avoir une intervention coordonnée et globale au niveau mondial et d'en limiter l'impact négatif sur l'économie, la société et d'autres secteurs qui ne sont pas des secteurs de la santé.
Vous n'avez pas le pouvoir d'obliger les États membres de l’Oms à faire quoi que ce soit. Vous pouvez seulement leur recommander des actions et essayer de les persuader de faire des choses. Je me demande donc comment l'Oms gère cet équilibre d'exhorter à des actions de santé publique sans être en mesure de forcer quelqu'un à faire quoi que ce soit…
Oui, c'est un vrai dé?, en fait. Surtout dans le monde actuel, où vous avez vu que les pays sont en quelque sorte assez divers, je dirais, en termes de développement et aussi de perception des risques. Et donc, c'est un peu mission impossible parfois. Mais il y a deux qui nous aident. La première est la réglementation sanitaire internationale parce que tous les pays l'ont signée. Et donc, ils sont engagés à cela ou liés par ces instruments, même si ce n'est pas juridiquement contraignant et que nous n'avons pas de mesures, ni de moyens de faire pression sur un pays. Pourtant, cet accord a été discuté entre tous les États membres de l'Oms et ils sont quelque part engagés à le mettre en œuvre. L'autre chose qui est très importante également, c'est que nous ne travaillons pas uniquement avec les pays sur cette question particulière. Nous travaillons avec eux sur d'autres programmes. Par exemple, le programme de lutte contre le paludisme, le programme de lutte contre le Vih. Nous travaillons avec eux pour la prévention de la grippe et ainsi de suite. Nous avons donc des contacts avec des pays à d'autres ?ns. Et ces relations ne commencent pas avec le Covid-19. Je veux dire, c'est quelque chose qui est aussi comme une sorte de vieille amitié et nous essayons de nourrir cette relation chaque fois que nous le pouvons. Donc, c'est vraiment plus facile de travailler en collaboration par la compréhension mutuelle. Et c'est ce que nous essayons de faire et nous essayons également d'expliquer aux pays comment ils peuvent mieux faire face aux épidémies.
Je suis curieuse de connaître l’assistance que l'Oms apporte spéci?quement aux pays à faibles ressources dans le cadre de cette pandémie…
En ce qui concerne les pays en développement, notre principale préoccupation est en réalité la faiblesse de leur système de santé. Et comme vous le savez, avec le Covid-19,
même si vous avez seulement 20 pour cent des personnes qui développent des symptômes graves, cela fait tout de même 20 pour cent de personnes qui auront besoin de soins sophistiqués. Et donc notre préoccupation est vraiment l'accès aux soins pour ces personnes a?n que nous puissions également réduire la mortalité. On sait que ce virus produit également des formes plus graves chez les personnes âgées, et la plupart des pays en développement ont encore une population jeune. Nous espérons donc que cela les protégera d'une manière ou d'une autre contre une forte proportion de cas graves. Cependant, nous avons beaucoup d'inconnues parce que nous savons que ce virus est plus grave chez les personnes ayant un système immunitaire faible.
Par exemple, les enfants souffrant de malnutrition ont un système immunitaire faible. Ainsi, ils pourraient également être sujets à des formes graves. Nous sommes donc préoccupés par le risque de mortalité élevée dans ces pays en raison de la faiblesse du système de santé. Mais nous sommes également très préoccupés par la vulnérabilité des professionnels de la santé dans ces pays, car, comme vous le savez, lorsque vous prenez soin d'une personne malade, vous êtes plus à risque ou plus exposé à la maladie. Et nous avons vu, même dans un pays riche, 10 pour cent des professionnels de la santé sont touchés.
C'est donc une préoccupation réelle parce que si vous vous souvenez, avec le virus Ebola en 2014, 800 agents de santé ont été touchés et sont décédés. Mais dans ces pays, vous avez parfois un médecin pour 100 000 personnes. Ainsi, lorsque vous perdez un médecin, vous avez une grande proportion de la population qui n'a plus qu'un accès limité à des soins de haut niveau, par exemple. Ainsi, l'impact de la perte de professionnels de santé dans ces pays peut être beaucoup plus élevé que dans les pays riches. C'est la deuxième chose qui nous inquiète vraiment, parce que nous avons peur de cet impact sur un système de santé déjà faible. Et en?n, je pense que les épidémies ont toujours un impact sur la société. Et cet impact est difficile à mesurer, a priori, surtout quand c'est une nouvelle maladie. Et notre rôle consiste à atténuer autant que possible l'impact d'une épidémie non seulement sur l'état de santé de la population, mais aussi sur les transactions ou les secteurs de la vie sociale.