Voir des enfants mourir du cancer est une douleur inimaginable. Et pourtant, le Bénin connait chaque année, des cas de victimes qui décèdent dans l’ignorance et parfois par manque de soins. A l’occasion de la Journée internationale du cancer de l’enfant, Hermyone Adjovi, présidente de l’Ong Mata-Yara (Femmes – enfants en langue haoussa) attire l’attention sur ce mal vicieux qui tue en silence.
La Nation : Le cancer de l’enfant, un mal silencieux ?
Hermyone Adjovi :
Effectivement ! C’est un mal qui ronge et qui tue. Le cancer de l’enfant est une réalité plus proche de nous que l’on ne peut l’imaginer. Tant que ça n’arrive pas à un proche, l’on a tendance à banaliser l’existence du mal. En fin 2021, l’Ong Mata-Yara a été contactée pour un cas de cancer des os d’une enfant de huit ans. Elle est décédée l’année dernière quelque temps après que nous avons eu l’information. On ne peut pas dire exactement comment ça a commencé. Même les parents de l’enfant n’ont pas compris comment cela s’est produit. C’est parti en fait d’une simple blessure qui a été négligée et un beau jour, l’enfant se plaint de douleurs. On l’a conduit à l’hôpital et on lui a diagnostiqué un cancer. Conséquence : il a fallu lui couper un pied. Une petite fille de huit ans se retrouve ainsi unijambiste. Il fallait alors mobiliser les sous pour qu’elle commence la chimio. Nous avons fait ce qu’il fallait mais c’était trop tard. Le problème du cancer, c’est bien ça. Quand ça atteint un certain stade, on ne peut plus rien faire, l’argent ne peut plus sauver. La petite est décédée avant même de commencer la chimio car dans le temps, les médecins disaient que le degré de douleur qu’elle ressentait devait diminuer avant qu’on ne démarre le traitement. Tout était prêt, l’argent, les injections mais elle est décédée avant même d’avoir pu démarrer le traitement. Il y a eu d’autres cas d’enfants victimes du cancer. Il y a actuellement le cas d’un enfant de 11 ans à Porto-Novo qui a aussi le cancer des os. C’est un mal évident.
Selon vous, quels sont les facteurs qui font le lit de ce mal pervers ?
C’est le manque d’information la négligence et le déficit du plateau technique. La création de l’Ong Mata-Yara est partie d’une jeune femme. Elle avait dix-neuf ans à l’époque. Je suis tombée sur une publication qui parlait d’elle. Elle venait de subir une ablation d’un de ses seins parce qu’elle avait le cancer du sein. Elle est décédée l’année dernière à 23 ans. On dit généralement que le cancer de sein, c’est à partir de la cinquantaine qu’il faut le craindre. Devant cette situation, j’ai réalisé que c’est un défaut d’information dont pâtissent plusieurs personnes. C’est d’ailleurs ce qui m’a amené à initier une campagne pour sensibiliser une centaine de femmes sur les symptômes et les moyens de prévention. Puis, au regard du bien-fondé de cette campagne et des conseils avisés, j’ai alors créé Mata-Yara le 28 octobre 2018 pour mieux porter nos actions sociales. En dehors du cas de cette jeune femme, il y a eu un autre cas à Porto-Novo que nous avons découvert au cours de la campagne de sensibilisation en 2018. Paix à son âme également, parce qu’elle est décédée en 2021. Nous étions allés la voir. C’était une jeune dame de 32 ans, titulaire de deux Master, qui venait de subir l’ablation de ses deux seins, maman d’un garçon de quatre ans à l’époque. Parfois vous allez chez elle et vous la voyez nue en train de se tordre de douleur parce que le cancer la rongeait. Nous l’avions soutenue du mieux. Malheureusement au Bénin, il n’y a pas de plateau technique sérieux. Cette jeune dame avait découvert les premiers signes en 2016. Elle a été suivie par un oncologue du Cnhu qui lui a donné l’impression que ça allait mieux. Le mal avait commencé par un seul sein mais deux ans plus tard, on découvre que le cancer s’était propagé au deuxième sein et qu’il fallait lui faire une ablation des deux seins pour qu’elle vive ! Comment se fait-il qu’une dame dépense de l’argent pendant deux ans pour se soigner mais que le mal se propage. Soit le médecin n’était pas performant ou le système de prise en charge était défaillant. Elle a subi l’ablation mais le mal était toujours là. Après on a découvert qu’elle avait désormais quatre cancers, le cancer de sein, le cancer de cerveau, le cancer des os, le cancer du sang… Elle était donc condamnée. Avec la douleur qu’elle ressentait, il a fallu déplacer son enfant pour qu’il ne soit pas traumatisé. A un moment donné, elle s’est accusée d’être une mauvaise mère. Mais elle gardait le désir de vivre. Elle devait faire la chimio au Ghana mais en 2019, avec la crise sanitaire et la fermeture des frontières, elle n’a pas pu se rendre au Ghana et c’est là que le mal l’a terrassé. Elle ne pouvait plus rien faire, ni se lever, ni voir, ni entendre… La douleur était devenue insurmontable et elle est décédée. Ces deux cas pratiques en disent long sur le défaut d’information sur le mal et le déficit du plateau technique. Mais à cela s’ajoute la question de la mentalité.
S’agissant de la mentalité, de quoi est-il exactement question ?
Il faut bannir de notre esprit, la conception selon laquelle, le cancer serait une maladie des Blancs. Beaucoup de personnes n’y croient pas parce que le mal est encore tabou. Lorsque quelqu’un contracte le mal dans une famille, on évite d’en parler. On se dit que c’est mystique, on cache tellement le mal que lorsqu’on en parle, les gens ont l’impression que ça n’existe pas. Pourtant des personnes dans leur entourage en souffrent et en meurent. Le mal existe et est bien plus proche de nous que nous ne le pensions. C’est pourquoi il importe que les populations soient sensibilisées aux dangers qu’ils courent ou qu’ils font courir aux enfants en mettant la nourriture chaude dans des sachets, en mettant les portables au niveau de la poitrine … J’invite les parents à prendre conscience de l’existence du mal, à se renseigner sur les voies et moyens par lesquels il advient et sur les moyens de prévenir le cancer. Il s’agit entre autres d’avoir une saine hygiène de vie, ne pas manger des aliments trop fumés ou grillés ou trop gras, faire du sport, éviter l’excès d’alcool, ne pas fumer… Il y a beaucoup de choses banales que nous faisons tous les jours sans savoir que cela nous prédispose au cancer. Car le cancer n’est pas seulement une question d’argent. Tu as beau avoir des millions, quand c’est à une phase avancée, on n’y peut rien. Pour la fille de 8 ans, nous avons mobilisé plus de huit cent mille (800 000)
francs Cfa, mais elle est décédée. Pour la jeune femme de 19 ans, nous avons mobilisé 25 mille euros en ligne mais c’était trop tard.
Quelles actions mener pour une meilleure prise de conscience ?
Je voudrais inviter le gouvernement à renforcer les actions de sensibilisation à la thématique du cancer en général, le cancer du sein, de la prostate, de l’os… et en particulier du cancer de l’enfant. Seules, les organisations de la société civile ne pourront pas porter l’information jusqu’aux contrées les plus reculées du pays. Je voudrais ensuite solliciter le regard du gouvernement à l’égard du plateau technique. Je ne suis certainement pas la mieux placée, n’étant pas médecin de profession, pour dire ce qu’il faut faire. Mais pour avoir été sur le terrain et pour avoir côtoyé plusieurs victimes ces quatre dernières années ; je puis dire que notre pays souffre d’un manque crucial d’équipements pour la prise en charge des cas de cancer. Il est vrai que la prise en charge est très onéreuse mais mettons déjà à la disposition des populations ce qu’il faut pour que ceux qui en ont les moyens ou arrivent à trouver de l’appui pour faire face au traitement, soient effectivement pris en charge. Dans les cas que nous avons eus, ce n’est pas l’argent qui manquait. Même pour les cas où les victimes n’avaient pas les moyens, nous avons mobilisé l’argent qu’il fallait et c’est faute de dispositifs à l’interne que les personnes sont décédées. Il est vrai que l’idéal est que les populations soient sensibilisées, prennent soin d’elles, évitent les comportements inappropriés et les habitudes alimentaires dangereuses pour prévenir le mal. Mais au cas où cela adviendrait, il faudrait bien que le pays puisse mettre à disposition le traitement qu’il faut, dans le cadre qu’il faut avec des ressources humaines compétentes pour que nous n’assistions plus à des décès qui auraient pu être évités si nous avions le matériel approprié et les compétences nécessaires.