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Traiter une morsure de serpent avec du cérumen : attention, ce remède n’est pas prouvé

Santé
Par   Fulbert Adjimehossou, le 26 nov. 2021 à 19h05
Une recette préconise le traitement, en deux minutes, de morsure de serpent avec du cérumen. La Nation a vérifié pour vous cette publication largement partagée cette semaine. Le message décline la recette anti-venin en deux points. Primo : Prélever la couche des pellicules dans l'oreille de la personne mordue à l’aide d’un coton-tige, et l’appliquer sur la partie où le serpent aurait mordu. « Vous verrez une sueur qui sort de la partie, c'est du venin. Attention à ne pas toucher le venin », prévient-on dans la publication. Secundo : Nettoyer le venin avec du coton ou du tissu. Et pour convaincre de l’efficacité du remède, la publication soutient qu’il y a une interaction entre le venin du serpent « chargé négativement» et la pellicule « chargée positivement». Ce qui devrait annuler la force du venin.

Le contexte

L’Oms estime que chaque année, les morsures de serpents sont la cause de 81 000 à 138 000 décès au moins et d’environ 3 fois plus d’amputations et d’autres incapacités définitives. Les morsures de serpents venimeux peuvent entraîner une paralysie pouvant bloquer la respiration; des troubles sanguins aboutissant à des hémorragies fatales; des insuffisances rénales irréversibles et des lésions tissulaires susceptibles de provoquer des incapacités définitives et l’amputation d’un membre. Dans ce contexte, la recette paraît bien intéressante pour beaucoup d’internautes. Elle fait d’ailleurs le tour des réseaux sociaux depuis septembre 2018.

Ce que vous devez savoir !

Spécialiste des morsures de serpents, Dr Harold Tankpinou Zoumènou, émet des réserves et met en garde les internautes. « D’abord, le venin n’est pas visible à l’œil nu. Ensuite, toutes les morsures de serpents ne s’accompagnent pas d’injection de venin. Ce qui fait que certaines personnes auront des signes après la morsure et d’autres non. Par ailleurs, ceux qui se font mordre passent automatiquement chez le guérisseur (les morsures survenant le plus souvent en milieu rural). Ainsi, même quand il n’y a pas eu d’injection de venin et donc pas de manifestations cliniques chez la personne, on peut conclure à tort que le guérisseur ou le médecin peut-être ou tout autre remède a été efficace », a-t-il expliqué à La Nation.

« La médecine ne se fait pas sur WhatsApp »

Classiquement, on distingue deux grandes familles de serpents en Afrique : Les Viperidae (vipères, etc.) qui sont les plus répandues et les Elapidae (type cobra, etc.). Selon le chercheur, les premiers ont un venin qui déclenche des manifestations hémorragiques quand il est injecté. La situation peut évoluer sans que le malade se rende compte de la gravité. Il peut en mourir parce qu’il aura manqué de sang. Quant aux Elapidae, ils ont un venin qui est responsable de manifestations neurologiques. Ces patients meurent souvent sur les lieux de l’incident. Alors, la morsure de serpent, lorsqu’elle s’accompagne d’injection de venin, peut être plus dangereuse que laisse supposer un remède aussi banal. La recette diffusée sans preuve scientifique expose davantage la population. « Tant qu’elle (la recette) n’est pas étayée par un article scientifique, elle est fausse jusqu’à preuve du contraire. La médecine ne se fait malheureusement pas sur WhatsApp. Le seul traitement d’une morsure venimeuse est un anti venin administré de façon précoce dans les minutes suivant la morsure. Et suivant un protocole établi par la société africaine de venimologie. Quand le venin est injecté, il est injecté », insiste Dr Harold Tankpinou Zoumènou.

Pas de fondement scientifique

Déjà le 21 janvier 2021, Africa Check a publié un article de vérification sur ce remède. Selon les experts contactés par le média, le venin diffère d'une espèce à l'autre et il est composé de plusieurs centaines de protéines différentes. Certaines sont effectivement chargées négativement, mais d'autres sont neutres ou chargées positivement. Dr Chippaux a souligné à Africa Check que l'inoculation du venin se fait en profondeur, de quelques millimètres à 3 ou 5 centimètres selon l'espèce de serpent et sous pression, exactement comme avec une seringue utilisée pour injecter un médicament dans les muscles. « Le venin s'introduit immédiatement dans les vaisseaux lymphatiques, et non pas les vaisseaux sanguins comme on le croit généralement, qui assurent sa diffusion en quelques secondes ou minutes dans tout l'organisme », a dit Dr Chippaux. En ce qui concerne le cérumen (le contenu de l'oreille), il est composé de graisse. « C'est peut-être ce qui a fait croire qu'il pouvait protéger du venin comme lorsque l'on protège les cosses des batteries avec de la graisse qui limite leur corrosion. Cependant, je ne vois pas comment l'application externe de cérumen pourrait empêcher la diffusion du venin qui se fait vers l'intérieur de l'organisme alors que l'écran est apposé à l'extérieur », cite en verbatim Africa Check.

Verdict

Ce remède qui préconise un traitement en deux minutes de la morsure de serpent n’est pas cliniquement prouvé. La morsure de serpent étant une urgence médicale, il est plutôt conseillé de transporter le patient dans un centre de santé, le plus rapidement possible, où il sera évalué et traité médicalement.