La Nation Bénin...
Introduction
Dans la tradition chrétienne, les relations diplomatiques avec le Saint-Siège ne sont pas de simples exercices protocolaires: elles traduisent une rencontre entre les nations et la conscience spirituelle de l’humanité. Mon service en tant qu’ambassadeur du Bénin près le Saint-Siège (2010-2016) m’a permis de côtoyer le Pape François dès les premiers jours de son pontificat. À travers trois expériences fortes, j’ai découvert non seulement un homme d’Église habité par la tradition vivante de l’Évangile, mais aussi un visionnaire aux gestes prophétiques et profondément humains.
I- Une mémoire ecclésiale incarnée : le pape François et le cardinal Bernardin Gantin
Lors
de sa première audience avec le Corps diplomatique, en mars 2013, le Saint-Père
m’a glissé ces paroles, discrètes mais bouleversantes : « Le cardinal Gantin
est un saint homme. »
Ce
jugement, chargé d’autorité spirituelle, témoigne de la capacité du Pape
François à reconnaître la sainteté là où elle s’est déployée dans le service
caché et l’humilité. Le cardinal Bernardin Gantin (1922–2008), fils du Bénin,
fut l’un des premiers Africains à accéder aux plus hautes fonctions de la Curie
romaine. Il a servi six pontificats, avec discrétion et sagesse. Dans Gaudete
et Exsultate, le Pape François rappelle que la sainteté n’est pas réservée à
quelques privilégiés, mais qu’elle est souvent cachée dans « la classe moyenne
de la sainteté » (n° 7), ces hommes et femmes qui ont servi dans l’ombre, en
fidélité. Cette vision rejoint la tradition patristique. Saint Irénée écrivait
déjà :
«
La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant, et la vie de l’homme, c’est la vision
de Dieu » (Contre les hérésies, IV, 20, 7).
La reconnaissance implicite du Pape ouvre une voie : que la mémoire ecclésiale africaine, longtemps périphérique, soit intégrée dans le cœur vivant de la sainteté universelle.
II- Un gouvernement pastoral fondé sur le discernement personnel
L’Église
n’est pas une bureaucratie spirituelle. Elle est le peuple de Dieu en chemin,
et son gouvernement doit refléter ce mouvement de discernement. Lors de la
préparation de la visite officielle du Président de la République du Bénin au
Vatican, j’ai découvert un aspect peu connu mais profondément révélateur du
style de François : le Pape lui-même étudie personnellement les dossiers et
décide des dates des audiences, même si une date avait déjà été convenue avec
les services diplomatiques.
Cette
implication directe a provoqué une tension logistique jusqu’à m’occasionner une
nuit blanche mais elle témoigne surtout d’une théologie du gouvernement que
François a théorisée dès Evangelii Gaudium : « Le vrai pouvoir est le service »
(n° 55), et plus loin : « Un pasteur doit avoir l’odeur de ses brebis » (n°
24), en référence à sa fameuse homélie chrismale du 28 mars 2013.
C’est
aussi l’écho d’une ecclésiologie trinitaire que saint Grégoire de Nazianze
décrivait comme un équilibre entre l’unité et la personne : « Ce qui n’est pas
assumé n’est pas guéri» (Lettre 101).
Ainsi,
en assumant personnellement les charges de gouvernement, le Saint-Père guérit
la distance entre le sommet et la base, entre le protocole et la pastorale.
III- Un cœur de père : compassion et louange pour la famille
À
la fin de ma mission diplomatique, accompagné de mes deux enfants Dyane (1981)
et Jean-Yves (1983), d’un petit-fils (Roman RYSAVY) et de mon épouse Bernice,
j’ai vécu un moment de grâce : le Pape, voyant mes deux enfants, s’enquit de
leur situation professionnelle.
Apprenant
qu’ils œuvrent tous deux dans la haute administration financière
internationale, il leva les yeux au ciel et rendit grâce à Dieu.
Ce
geste, que seul un cœur pastoral peut poser dans la spontanéité, incarne la
doctrine chrétienne de la famille comme communauté d’alliance et de mission.
Dans Amoris Laetitia, François insiste sur la beauté de cette communion : «
Chaque famille est une lumière dans l’obscurité du monde » (n° 66).
Il
y rappelle également que «la spiritualité familiale est faite de milliers de
gestes réels et concrets» (n° 315).
La
gratitude du Pape reflète aussi une théologie trinitaire de la reconnaissance.
Saint Jean Chrysostome, parlant de la vie familiale, affirmait : «Fais de ta
maison une petite Église» (Homélie sur l’épître aux Éphésiens, XX).
En
louant Dieu pour la vocation professionnelle de mes enfants, François
reconnaissait que la grâce se déploie aussi dans les structures du monde
économique, un domaine qu’il invite à évangéliser non par la condamnation, mais
par l’intégration et la présence chrétienne (Fratelli Tutti, n° 123-124).
Conclusion
Le
Pape François est un pasteur habité par l’Évangile vécu, un homme d’Église
enraciné dans la tradition et pourtant ouvert à la nouveauté de l’Esprit. Mon
expérience diplomatique m’a permis de percevoir trois de ses grandes qualités :
•
Sa mémoire spirituelle des saints vivants et cachés, telle que manifestée dans
son hommage au cardinal Gantin.
•
Son mode de gouvernement personnel et discernant, à l’image du Bon Pasteur.
•
Son regard profondément paternel sur la famille, enraciné dans une théologie de
la louange et de la compassion.
À travers ces signes concrets, j’ai vu s’incarner en lui cette Église «en sortie » qu’il appelait de ses vœux, selon les mots du Concile Vatican II : « L’Église se sait inséparablement liée à l’humanité et à son histoire » (Gaudium et Spes, n° 1)