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Lotissement à Cotonou: Ahouansori Towéta change de visage

Société
Codjo Marcellin Akpété, chef quartier Ahouansori Towéta Ph. : G. DEGAN Codjo Marcellin Akpété, chef quartier Ahouansori Towéta Ph. : G. DEGAN

Inondé en permanence et inaccessible en temps de pluie par manque de plan d’assainissement, Ahouansori Towéta se métamorphose. Les travaux de lotissement de ce vieux quartier populeux de Cotonou, situé derrière l’église Sainte Cécile, presque aujourd’hui en phase terminale, ne sont pas sans susciter des grincements de dents.

Par   Babylas ATINKPAHOUN & Lhys DEGLA, le 17 mai 2024 à 07h05 Durée 3 min.
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A perte de vue, des boutiques, hangars, maisons en tôle, bambou ou en brique démolis à Ahouansori Towéta. Pas de vagues, pas de soulèvements apparents. Ici et là, debout ou assis, quelques hommes et femmes, des jeunes en majorité dans la fleur de l’âge, parfois des enfants, mènent paisiblement leurs activités. En somme, une matinée ordinaire dans un quartier non moins ordinaire de Cotonou. Les habitations détruites çà et là pour cause de lotissement sont les seuls signes de désolation visibles.

La quarantaine révolue, Bertin, un riverain de « Sans fil», oriente l’équipe de reportage vers l’un des proches du chef de quartier. L’on pouvait constater qu’une partie de la concession de ce dernier a été emportée par le projet de recasement de Towéta. Les gravats amoncelés de part et d’autre rendaient l’accès plus ou moins difficile mais pas impossible. L’homme, un sexagénaire, ne semble pas se plaindre du sort qui est désormais, pas le sien mais celui de sa demeure. A l’ombre d’un colatier, juché sur ce qu’il restait apparemment d’une boutique cassée, il tente en vain de joindre le chef quartier avant d’indiquer finalement son domicile.

L’autorité vit à quelques encablures de l’église Sainte Cécile précisément dans la rue de la mosquée.

 Récriminations

 En redescendant plus loin du côté du temple Doganou Gbétovi, on peut remarquer en profondeur l’ampleur des dégâts. Certains riverains assis devant leurs lieux de travail non affectés par le lotissement vaquent à leurs occupations. C’est le cas d’un jeune coiffeur du coin, assis devant son atelier que l’opération de recasement avait frôlé de peu. Aucunement inquiété par la situation, il affiche son meilleur sourire. Ce qui n’est malheureusement pas le cas de tous. Richard Senou, un héritier terrien de Towéta, exprime son mécontentement quant à la méthodologie utilisée par le Comité de gestion du lotissement pour recaser les sinistrés. A l’en croire, il y aurait un repositionnement de deux autres personnes sur leur espace familial sans concertation et de façon arbitraire. La première personne serait l’une de leurs cousines avec qui ils se sont d’ailleurs déjà entendus en famille pour qu’elle reste et un étranger qui aurait été recasé sur leur espace sans leur aval et ce pour des raisons infondées. L‘individu aurait acquis auprès d’un oncle à eux, une parcelle d’un autre lot et se serait retrouvé sans son bien suite au recasement. Le comité lui aurait donc, selon ses dires, cédé sans les consulter, une partie de leur concession. « Nous avons saisi la mairie par un courrier parce que nous ne sommes pas du tout contents de ce qui se passe avec cette affaire de lotissement. Le comité devra s’expliquer. Nous réclamons ce qui est à nous après recasement. Mon fils vivait ici. La chambre a été cassée et maintenant ils veulent y loger quelqu’un d’autre. Ce n’est pas correct », souligne Richard Senou, dépité.

Plus loin, affectée perpendiculairement par la voie 10 et la voie 5, la concession des Hodonou tient à peine. Paul Hodonou, héritier, a perdu espoir : «Moi je n’ai pas peur de parler. Le travail fait par le comité n’est pas sans reproches. La seule concession est affectée par devant par la voie 10 et au milieu par la voie 5. Il ne nous reste plus rien. C’était la chambre de mon petit frère ici, démolie. Heureusement qu’il a construit à Ekpè. Moi j’ai tout perdu. Le peu qu’il reste, je vais vendre et partir d’ici simplement ».

Par contre dans la maison Zannou, aucun remous. Pour Gaston Zannou, ce recasement avait été souhaité de tous leurs vœux par leurs pères. Aujourd’hui c’est une réalité, même s’il ne plaît pas à tout le monde.

Certains s’indignent, réprouvent et crient haro sur le baudet lorsqu’on évoque le lotissement dans une zone alors que l’objectif est en réalité la viabilisation. Un des vieux quartiers de Cotonou où se côtoient aujourd’hui plusieurs communautés, Ahouansori Towéta en a connu par le passé. Plusieurs fois entrepris, le lotissement s’est soldé par des échecs. Cette fois-ci est la bonne, est-on tenté d’affirmer, au regard des résultats obtenus jusque-là.  « Le lotissement est lancé depuis des mois, nous avons procédé à l’initiation ; après, les travaux d’état des lieux et études d’urbanisme. Nous avons procédé au recasement et à l’ouverture des voies sans lesquelles on ne peut avoir accès à cet ancien quartier de Cotonou avec ses maisons touffues », confie Codj Marcellin Akpété, chef quartier Ahouansori Towéta, dans le 6e arrondissement de Cotonou. Selon lui, ces travaux sont exécutés sans heurts en dehors de quelque deux familles dont la situation est en cours de règlement. Des propos soutenus par Houngli Hounansin, conseiller local à Ahouansori Towéta, qui reconnait que ces travaux de recasement n’ont pas été faits sans associer la population dont il est le représentant local. « Nous avons assisté à plusieurs réunions avec toutes les couches de la population, qui se sont investies pour la réussite du processus », a-t-il confirmé.

 Dernier virage

 Hounkpèvi Avocètien, membre du Comité de lotissement décrit les étapes et la période de leur exécution, qui ont conduit à ce résultat. Il informe que l’état des lieux est fait depuis 2019, le recasement exécuté en 2021 et l’ouverture... des voies en phase terminale aujourd’hui. «Tout le monde a eu sa place, personne n’est laissé pour compte. Il suffit de satisfaire aux conditions qui ne sont pas contraignantes notamment le payement des frais de recasement pour retrouver sa place», a-t-il fait savoir. Il se réjouit de ce lotissement qui permettra à Ahouansori Towéta de bénéficier des infrastructures sociocommunautaires dont des écoles, hôpitaux, voies, eau, électricité, etc.   

Il faut noter que ce résultat a été obtenu grâce à l’appui des autorités municipales, à la collaboration et l’implication de la population qui a compris qu’il est temps de sortir Ahouansori de l’ornière. « C’est grâce à l’accord de la population, que ça soit des acquéreurs ou des propriétaires terriens qu’on a pu atteindre l’objectif », indique le chef quartier Codjo Marcellin Akpété. A l’en croire, les travaux sont presque terminés. « Il reste l’ouverture de la voie 40 qui a englouti beaucoup plus de maisons. Ceci nécessite beaucoup de délicatesse. Sur cette voie, il y a également deux écoles privées auxquelles nous avons décidé de laisser du temps pour la tenue des examens avant que la voie ne soit déblayée », informe le chef quartier Codjo Marcellin Akpété.

Dénis Maximin Gnonlonfoun, chef du 6e arrondissement de Cotonou, revient sur les raisons qui ont fait traîner le lotissement à Ahouansori Towéta jusque-là. Il explique en effet que le 6e arrondissement est composé de 19 quartiers dont 18 déjà lotis et recasés avec tout ce qui accompagne. Ahouansori Towéta reste donc le seul quartier n’ayant pas fait objet de lotissement pour raison d’opposition d’une certaine population par le passé. Il faut le rappeler, il s’agit du quartier dit des autochtones de Cotonou pour avoir connu les premiers habitants de cette ville. « Il y a un schéma directeur tracé par les colons depuis 1958, avant l’indépendance. Dans ce schéma, se trouve le passage de la route que nous appelons aujourd’hui ‘’contournement Nord-Est de Cotonou’’, rue qui va quitter la commune d’Abomey-Calavi pour Sèmè carrefour. Cette voie était de 40 m », éclaire le chef d’arrondissement. Il poursuit qu’à l’époque, les parents estimaient que le passage de cette voie risque de faire disparaître le quartier. D’où l’opposition et l’échec à plusieurs reprises du lotissement dudit quartier. Le lotissement a été fait tout autour dans les quartiers tels que Ladji, Gbèdjromèdé 2, Ahouansori Agué… Mais cette zone est laissée pour compte pour cette raison, alors que pour rejoindre Gbèdjromèdé 2, il faut prendre par Ahouansori Towéta, passant par Ladji.


 Prendre les choses en main ou disparaître

 « Il faut attendre l’avènement du régime de Patrice Talon à qui je rends hommage au passage, qui a souhaité faire de la voie 40 qui passe par Ahouansori Towéta, une autoroute de 120 m pour que la population comprenne », informe Dénis Maximin Gnonlonfoun. Les études ont été faites et les populations qui sont sur l’emprise de cette voie ont reçu des sommations pour libérer l’espace. Face à ce projet qui risque alors d’engloutir tout le quartier, la population elle-même décide de prendre les choses en main en faisant aboutir ce projet de lotissement vieux de plusieurs décennies. L’objectif est de dégager les 40 m précédemment prévus pour ce projet de voie pour échapper au prélèvement des 120 m récemment proposés. D’où l’initiative de mise en place de l’Association d’intérêt foncier de remembrement urbain (Aifru) pour gérer ce lotissement avec rigueur. Ce qui permet aujourd’hui de donner un nouveau visage à Ahouansori Towéta. « La mairie n’est pas au cœur du lotissement mais a accompagné l’initiative avec l’ouverture des voies et autres pour que la localité puisse bénéficier des infrastructures qui sont d’ailleurs en cours de réalisation afin de donner un cadre sain à cette population », précise le chef d'arrondissement Dénis Maximin Gnonlonfoun. Barnabé Tchaké, secrétaire général de l’Aifru insiste sur la volonté des populations dans l'abutissement de l’opération de lotissement. « La preuve est que l’ouverture des voies a été faite sans les forces de l’ordre, c’est inédit. Et il n’y a personne qui puisse dire qu’il n’a pas trouvé sa parcelle », laisse-t-il entendre.