La Nation Bénin...
L’application
du code actuel à la prochaine présidentielle permet au plus six (6)
candidatures. Mais avec les restrictions imposées au niveau de la
représentativité et la nature de ce scrutin où chaque voix compte, il ne serait
pas étonnant qu’on ait au plus trois candidats, présentés par les trois partis
qui en sont capables. La question est de savoir si ces partis choisiraient les
meilleurs leaders patriotes soucieux du développement du Bénin.
La démocratie, selon Lincoln,
est le gouvernement du peuple par le peuple pour le peuple. Avec une population
de grande taille, il n’est pas possible de soumettre chaque décision à un
référendum. Dans ce cas, le gouvernement du peuple pour le peuple se fait par
des représentants élus. C’est pourquoi l’on parle de démocratie représentative.
Lorsque les représentants du peuple ne sont pas bien sélectionnés, ceux-ci
chercheraient leur propre intérêt en prenant des décisions qui ne sont pas dans
l’intérêt général. Comme le mode de sélection des représentants peut être
manipulé, un code de procédures électorales est généralement voté par les
représentants du peuple pour guider les élections. Ce code électoral doit être
mis en œuvre par des représentants élus ou par des fonctionnaires désignés par
des représentants élus. Il se pose alors un problème de second ordre : comment
s’assurer que ces représentants ne manipuleraient pas le code pour leur propre
réélection ou pour l’élection des candidats qu’ils préfèrent. Les organes de
régulation comme la Cour constitutionnelle et la Cour suprême sont mis en place
dans certains pays pour s’assurer que ce n’est pas le cas.
Le
nouveau code électoral du Bénin a été voté par le parlement dans la nuit du 5
mars 2024. Il a connu son épilogue avec sa validation par la cour
constitutionnelle le 14 mars et sa promulgation par le Président de la
République le 15 mars 2024 sous la loi N° 2024-13 du 15 mars 2024 modifiant et
complétant la loi N° 2019-43 du 15 novembre 2019 portant code électoral. Il
devra servir pour la bataille des élections législatives, communales et
municipales, et présidentielle de l’année électorale 2026. Nous disposons donc
maintenant d’un code de procédures électorales que nous pouvons soumettre à une
analyse politico-économique. Nous le faisons en exposant primo, les nouvelles
mathématiques électorales auxquelles le code nous soumet désormais, secundo,
les enjeux de ce code, tertio, les gagnants et les perdants potentiels des
élections de l’année électorale 2026, quarto, les stratégies probables des
acteurs, et quinto les atouts et les risques pour la démocratie béninoise. Nous
nous concentrons dans cette réflexion sur les élections législatives pour
lesquelles les conditions semblent plus drastiques et qui déterminent, avec les
communales et municipales, le choix du Président de la République à travers le
système de parrainage. Pour éclairer nos discussions, nous utiliserons les
scores de performances des partis aux législatives de 2023.
Les mathématiques électorales du nouveau code
L’année
électorale 2026 verra se dérouler les consultations populaires dans l’ordre
ci-après :
1.
Elections législatives. Le dépôt des candidatures doit être effectué 60 jours
avant la date du scrutin. Pour être éligible à l’attribution des sièges, le
parti doit recueillir au moins 20 % des suffrages exprimés dans chacune des
circonscriptions électorales. Dans le cas d’accord de gouvernance avec d’autres
partis, le pourcentage des suffrages exprimés calculé est le cumul des
pourcentages des partis si ceux-ci ont obtenu chacun au moins 10 % des
suffrages exprimés au niveau national. Pour la répartition des sièges entre les
partis éligibles, les 109 sont répartis de la manière suivante : 85 à raison
d’un nombre déterminé par circonscription selon la règle du quotient électoral
avec la plus forte moyenne et 24 femmes à raison d’une femme par circonscription
affectée selon le principe de la liste qui a obtenu le maximum de suffrages
exprimés dans la circonscription (article 146 nouveau du code).
2.
Elections communales et municipales. Le dépôt des candidatures doit être
effectué 75 jours avant la date du scrutin. La caution est de 5 % des dépenses
de campagne autorisées et remboursables si le parti a obtenu 10 % au niveau
national, seuil également valable pour lever des sièges pour ces élections
locales.
3.
Election présidentielle. Le dépôt des candidatures doit être effectué 180 jours
avant la date du scrutin. Le candidat, pour être éligible, doit être parrainé
par 15 % de l’ensemble des parrains (28) fait de députés ou de maires provenant
de 3/5 des circonscriptions (15). Il doit déposer à la caisse des dépôts et
consignations une somme de 25 millions remboursable si 10 % des suffrages
exprimés sont obtenus
Ces
conditions visent, selon ses défenseurs, à renforcer le système partisan, à
assurer une meilleure représentativité des élus et à promouvoir des
candidatures crédibles. Cependant, on peut penser que ces conditions sont trop
restrictives. Si elles étaient appliquées en 2023 pour les législatives, aucun
des trois partis (Upr, Br et Ld) n’enlèverait de sièges, entrainant
l’annulation et la reprise des élections. En effet, pendant ces élections,
l’Upr, le Br et le Ld ont obtenu au moins 20 % des suffrages exprimés dans
respectivement 21, 19 et 16 circonscriptions électorales. Dans l’éventualité
d’un accord de gouvernance entre Upr et Br, ceux-ci enlèveraient tous les
sièges et nous aurions un parlement monocolore comme celui de la huitième
législature.
L’application
du code actuel à la prochaine présidentielle permet au plus six (6)
candidatures. Mais avec les restrictions imposées au niveau de la
représentativité et la nature de ce scrutin où chaque voix compte, il ne serait
pas étonnant qu’on ait au plus trois candidats, présentés par les trois partis
qui en sont capables. La question est de savoir si ces partis choisiraient les
meilleurs leaders patriotes soucieux du développement du Bénin.
Les enjeux du code
Les
gagnants potentiels du nouveau code sont dans l’ordre les partis Upr, Br et Ld.
Upr et Br ont eu un avantage de premier joueur conféré depuis la huitième
législature qui a déterminé leur implantation nationale et un bénéfice
conséquent du financement public des partis politiques. Les perdants sont les
petits partis (Fcbe, Moele-Benin, Udbn, Mpl, etc.) qui doivent se résoudre à
fusionner avec l’un des trois grands. Même l’accord de gouvernance permis par
le nouveau code ne leur servirait à rien puisqu’ils sont loin d’obtenir, pour
être effectif, les 10 % de suffrages exprimés au niveau national. De même,
certaines circonscriptions électorales sont critiques pour les partis, surtout
pour Ld qui doit y batailler dur pour obtenir les 20 % : les troisième, onzième,
douzième, vingtième, vingt-troisième et vingt-quatrième circonscriptions. Aux
prochaines élections, ces circonscriptions bénéficieront de plus d’attention
des trois grands.
Les stratégies probables des acteurs
Trois
stratégies s’offrent aux acteurs : A : gagner les 20 % par circonscription
électorale, B : conclure des accords de gouvernance pertinents ou démarcher des
fusions, et C: empêcher ses adversaires d’avoir les 20 % dans une
circonscription. Toutes ces trois stratégies augmenteront la compétition
électorale au grand bonheur des électeurs et des circonscriptions
individuelles. Les batailles électorales seront féroces dans les troisième,
onzième, douzième, vingtième, vingt-troisième et vingt-quatrième circonscriptions
électorales pour des motifs différents pour Ld, Upr et Br. Les onzième et
vingt-quatrième circonscriptions sont des tombeaux électoraux potentiels pour
Ld et qui offrent la forte probabilité d’un parlement monocolore. C’est une
information importante pour les candidats et les électeurs. Une coalition Upr
et Br peut chercher à défaire Ld dans ces circonscriptions pour le rendre
inéligible à l’attribution des sièges aux prochaines législatives. Le parti Ld
doit donc courir pour « acheter » ou détourner de grands électeurs de ces
zones, ou encore mobiliser les électeurs pour une participation massive ; le
taux de participation est un peu plus de 50 % dans ces circonscriptions contre
38 % au niveau national. Il s’ensuit une augmentation de la valeur des grands
électeurs sur le marché électoral. Pour la stratégie de fusion, certains petits
partis peuvent obtenir des positions favorables dans les première et
dix-huitième (Fcbe), et dixième circonscriptions (Moele Bénin).
En
conclusion, ce code électoral rend importantes toutes les circonscriptions
électorales pour tous les partis. Aucune circonscription électorale ne sera la
chasse gardée d’aucun parti, ni laissée sur le quai en matière de compétition
électorale. Il conduit à la disparition des petits partis et rend les batailles
électorales plus féroces. Néanmoins, trois risques majeurs sont associés à ce
code. D’abord, il y a le risque d’échec des élections législatives à
sélectionner les élus. Ceci va entraîner l’annulation des élections, leur
reprise et des dépenses électorales plus élevées pour le contribuable. Ensuite,
il y a le risque d’un parlement monocolore favorisé par un accord de coalition
probable entre Upr et Br. Le travail demandé au seul grand parti d’opposition
Ld est immense pour s’assurer d’être éligible au partage des sièges au
parlement. Une conséquence de cette deuxième faiblesse est l’insuffisance
potentielle de représentativité de certains élus, sélectionnés pour représenter
par défaut des circonscriptions où ils sont minoritaires. Enfin, la possibilité
ouverte par l’article 132 nouveau du code pour le parrainage d’un candidat
désigné, non membre du parti, ouvre la voie à l’achat à grande échelle d’élus,
mettant en échec la candidature d’un membre du parti, soit-il chef du parti ou
non, comme ce fut le cas pour l’Union fait la Nation à la présidentielle de
2016. Ceci reste l’une des grandes faiblesses du système partisan tel que
construit par le nouveau code électoral du Bénin.
*Professeur
d’Economie, Eneam/Université d’Abomey-Calavi