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Code électoral modifié et complété: L’analyse politico-économique du Prof Albert Honlonkou

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Albert Honlonkou, Professeur d’Economie, Eneam/Université d’Abomey-Calavi Albert Honlonkou, Professeur d’Economie, Eneam/Université d’Abomey-Calavi

L’application du code actuel à la prochaine présidentielle permet au plus six (6) candidatures. Mais avec les restrictions imposées au niveau de la représentativité et la nature de ce scrutin où chaque voix compte, il ne serait pas étonnant qu’on ait au plus trois candidats, présentés par les trois partis qui en sont capables. La question est de savoir si ces partis choisiraient les meilleurs leaders patriotes soucieux du développement du Bénin.

Par   Prof Albert Honlonkou, le 25 mars 2024 à 00h34 Durée 5 min.
#Code électoral modifié et complété

La démocratie, selon Lincoln, est le gouvernement du peuple par le peuple pour le peuple. Avec une population de grande taille, il n’est pas possible de soumettre chaque décision à un référendum. Dans ce cas, le gouvernement du peuple pour le peuple se fait par des représentants élus. C’est pourquoi l’on parle de démocratie représentative. Lorsque les représentants du peuple ne sont pas bien sélectionnés, ceux-ci chercheraient leur propre intérêt en prenant des décisions qui ne sont pas dans l’intérêt général. Comme le mode de sélection des représentants peut être manipulé, un code de procédures électorales est généralement voté par les représentants du peuple pour guider les élections. Ce code électoral doit être mis en œuvre par des représentants élus ou par des fonctionnaires désignés par des représentants élus. Il se pose alors un problème de second ordre : comment s’assurer que ces représentants ne manipuleraient pas le code pour leur propre réélection ou pour l’élection des candidats qu’ils préfèrent. Les organes de régulation comme la Cour constitutionnelle et la Cour suprême sont mis en place dans certains pays pour s’assurer que ce n’est pas le cas.

Le nouveau code électoral du Bénin a été voté par le parlement dans la nuit du 5 mars 2024. Il a connu son épilogue avec sa validation par la cour constitutionnelle le 14 mars et sa promulgation par le Président de la République le 15 mars 2024 sous la loi N° 2024-13 du 15 mars 2024 modifiant et complétant la loi N° 2019-43 du 15 novembre 2019 portant code électoral. Il devra servir pour la bataille des élections législatives, communales et municipales, et présidentielle de l’année électorale 2026. Nous disposons donc maintenant d’un code de procédures électorales que nous pouvons soumettre à une analyse politico-économique. Nous le faisons en exposant primo, les nouvelles mathématiques électorales auxquelles le code nous soumet désormais, secundo, les enjeux de ce code, tertio, les gagnants et les perdants potentiels des élections de l’année électorale 2026, quarto, les stratégies probables des acteurs, et quinto les atouts et les risques pour la démocratie béninoise. Nous nous concentrons dans cette réflexion sur les élections législatives pour lesquelles les conditions semblent plus drastiques et qui déterminent, avec les communales et municipales, le choix du Président de la République à travers le système de parrainage. Pour éclairer nos discussions, nous utiliserons les scores de performances des partis aux législatives de 2023.

 

Les mathématiques électorales du nouveau code

L’année électorale 2026 verra se dérouler les consultations populaires dans l’ordre ci-après :

1. Elections législatives. Le dépôt des candidatures doit être effectué 60 jours avant la date du scrutin. Pour être éligible à l’attribution des sièges, le parti doit recueillir au moins 20 % des suffrages exprimés dans chacune des circonscriptions électorales. Dans le cas d’accord de gouvernance avec d’autres partis, le pourcentage des suffrages exprimés calculé est le cumul des pourcentages des partis si ceux-ci ont obtenu chacun au moins 10 % des suffrages exprimés au niveau national. Pour la répartition des sièges entre les partis éligibles, les 109 sont répartis de la manière suivante : 85 à raison d’un nombre déterminé par circonscription selon la règle du quotient électoral avec la plus forte moyenne et 24 femmes à raison d’une femme par circonscription affectée selon le principe de la liste qui a obtenu le maximum de suffrages exprimés dans la circonscription (article 146 nouveau du code).

2. Elections communales et municipales. Le dépôt des candidatures doit être effectué 75 jours avant la date du scrutin. La caution est de 5 % des dépenses de campagne autorisées et remboursables si le parti a obtenu 10 % au niveau national, seuil également valable pour lever des sièges pour ces élections locales.

3. Election présidentielle. Le dépôt des candidatures doit être effectué 180 jours avant la date du scrutin. Le candidat, pour être éligible, doit être parrainé par 15 % de l’ensemble des parrains (28) fait de députés ou de maires provenant de 3/5 des circonscriptions (15). Il doit déposer à la caisse des dépôts et consignations une somme de 25 millions remboursable si 10 % des suffrages exprimés sont obtenus

Ces conditions visent, selon ses défenseurs, à renforcer le système partisan, à assurer une meilleure représentativité des élus et à promouvoir des candidatures crédibles. Cependant, on peut penser que ces conditions sont trop restrictives. Si elles étaient appliquées en 2023 pour les législatives, aucun des trois partis (Upr, Br et Ld) n’enlèverait de sièges, entrainant l’annulation et la reprise des élections. En effet, pendant ces élections, l’Upr, le Br et le Ld ont obtenu au moins 20 % des suffrages exprimés dans respectivement 21, 19 et 16 circonscriptions électorales. Dans l’éventualité d’un accord de gouvernance entre Upr et Br, ceux-ci enlèveraient tous les sièges et nous aurions un parlement monocolore comme celui de la huitième législature.

L’application du code actuel à la prochaine présidentielle permet au plus six (6) candidatures. Mais avec les restrictions imposées au niveau de la représentativité et la nature de ce scrutin où chaque voix compte, il ne serait pas étonnant qu’on ait au plus trois candidats, présentés par les trois partis qui en sont capables. La question est de savoir si ces partis choisiraient les meilleurs leaders patriotes soucieux du développement du Bénin.

Les enjeux du code

Les gagnants potentiels du nouveau code sont dans l’ordre les partis Upr, Br et Ld. Upr et Br ont eu un avantage de premier joueur conféré depuis la huitième législature qui a déterminé leur implantation nationale et un bénéfice conséquent du financement public des partis politiques. Les perdants sont les petits partis (Fcbe, Moele-Benin, Udbn, Mpl, etc.) qui doivent se résoudre à fusionner avec l’un des trois grands. Même l’accord de gouvernance permis par le nouveau code ne leur servirait à rien puisqu’ils sont loin d’obtenir, pour être effectif, les 10 % de suffrages exprimés au niveau national. De même, certaines circonscriptions électorales sont critiques pour les partis, surtout pour Ld qui doit y batailler dur pour obtenir les 20 % : les troisième, onzième, douzième, vingtième, vingt-troisième et vingt-quatrième circonscriptions. Aux prochaines élections, ces circonscriptions bénéficieront de plus d’attention des trois grands.

 

Les stratégies probables des acteurs

Trois stratégies s’offrent aux acteurs : A : gagner les 20 % par circonscription électorale, B : conclure des accords de gouvernance pertinents ou démarcher des fusions, et C: empêcher ses adversaires d’avoir les 20 % dans une circonscription. Toutes ces trois stratégies augmenteront la compétition électorale au grand bonheur des électeurs et des circonscriptions individuelles. Les batailles électorales seront féroces dans les troisième, onzième, douzième, vingtième, vingt-troisième et vingt-quatrième circonscriptions électorales pour des motifs différents pour Ld, Upr et Br. Les onzième et vingt-quatrième circonscriptions sont des tombeaux électoraux potentiels pour Ld et qui offrent la forte probabilité d’un parlement monocolore. C’est une information importante pour les candidats et les électeurs. Une coalition Upr et Br peut chercher à défaire Ld dans ces circonscriptions pour le rendre inéligible à l’attribution des sièges aux prochaines législatives. Le parti Ld doit donc courir pour « acheter » ou détourner de grands électeurs de ces zones, ou encore mobiliser les électeurs pour une participation massive ; le taux de participation est un peu plus de 50 % dans ces circonscriptions contre 38 % au niveau national. Il s’ensuit une augmentation de la valeur des grands électeurs sur le marché électoral. Pour la stratégie de fusion, certains petits partis peuvent obtenir des positions favorables dans les première et dix-huitième (Fcbe), et dixième circonscriptions (Moele Bénin).

En conclusion, ce code électoral rend importantes toutes les circonscriptions électorales pour tous les partis. Aucune circonscription électorale ne sera la chasse gardée d’aucun parti, ni laissée sur le quai en matière de compétition électorale. Il conduit à la disparition des petits partis et rend les batailles électorales plus féroces. Néanmoins, trois risques majeurs sont associés à ce code. D’abord, il y a le risque d’échec des élections législatives à sélectionner les élus. Ceci va entraîner l’annulation des élections, leur reprise et des dépenses électorales plus élevées pour le contribuable. Ensuite, il y a le risque d’un parlement monocolore favorisé par un accord de coalition probable entre Upr et Br. Le travail demandé au seul grand parti d’opposition Ld est immense pour s’assurer d’être éligible au partage des sièges au parlement. Une conséquence de cette deuxième faiblesse est l’insuffisance potentielle de représentativité de certains élus, sélectionnés pour représenter par défaut des circonscriptions où ils sont minoritaires. Enfin, la possibilité ouverte par l’article 132 nouveau du code pour le parrainage d’un candidat désigné, non membre du parti, ouvre la voie à l’achat à grande échelle d’élus, mettant en échec la candidature d’un membre du parti, soit-il chef du parti ou non, comme ce fut le cas pour l’Union fait la Nation à la présidentielle de 2016. Ceci reste l’une des grandes faiblesses du système partisan tel que construit par le nouveau code électoral du Bénin.

 

*Professeur d’Economie, Eneam/Université d’Abomey-Calavi