La Nation Bénin...

Ce mercredi 6 juin où les 7 nouveaux sages de la Cour constitutionnelle prêtent serment, la mandature de l’ancienne équipe, avec à sa tête le professeur Théodore Holo, se referme. Une équipe dont les décisions prises, sous les deux régimes qu’elle a connus, sont ici évaluées par quelques personnalités.
Robert Dossou, ancien président de la Cour constitutionnelle
« Ils ont accompli leur mission »
Pour moi, le bilan est positif. On ne peut pas être toujours d’accord avec toutes leurs décisions, mais ils ont accompli leur mission. Grâce à eux, les dernières élections ont eu lieu. Si la Cour constitutionnelle n’avait pas veillé au grain en 2016, je ne sais pas ce qu’on serait devenu. Il y aurait eu des dérives, c’est sûr.
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Nicaise Médé, agrégé de droit public
« Ils sont passés d’une cour godillot à une cour rebelle »
Le bilan est un peu calamiteux parce qu’ils sont passés d’une posture de Cour godillot à une Cour particulièrement rebelle. C’était une Cour un peu à la remorque de Yayi Boni avec des décisions limites sur le plan des grands principes juridiques. Après l’alternance en 2016, on remarque une Cour particulièrement rebelle et qui maltraite le droit, les concepts et les notions juridiques, notamment les notions de droit absolu. Une cour qui revient une quatrième fois sur une jurisprudence déjà consacrée. ça fait désordre et subversion de l’ordre juridique. Et c’est ce qui rend leur bilan un peu catastrophique pour le juriste, pas pour l’homme politique. En termes d’aplatissement devant le pouvoir politique, il y a eu la décision disant que celui qui a 39 ans révolus est constaté 40 ans. C’est insoutenable sur le plan du raisonnement juridique. Et pour donner l’illustration d’une décision par rapport à laquelle ils s’insurgent contre l’ordre établi, je pense à la décision sur le droit de grève. Ils disent que c’est un droit absolu. Ce sujet avait déjà été tranché trois fois. C’est la quatrième fois que ça revient avec une décision contraire encore. ça fait désordre !
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Eric Houndété, député, vice-président de l’Assemblée nationale
« La Cour nous a évité des révisions fantaisistes »
Nous, hommes politiques, nous redoutons souvent la Cour constitutionnelle. Les mots par lesquels je peux apprécier la Cour sont : audace, courage, clairvoyance avec quelques économies de sagesse par moments. Elle nous aura tout de même épargné des révisions fantaisistes… Et pour moi, le temps qu’elle met entre les recours et les décisions permet bien souvent de calmer les ardeurs, de baisser la tension et de préparer les protagonistes à accepter la décision.
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Joël Aïvo, juriste constitutionnaliste, président de l’Association béninoise du droit constitutionnel (Abdc)
« Elle a été à la hauteur des responsabilités qui lui incombent »
L’Association béninoise du droit constitutionnel a tenu à rendre, à travers le professeur Théodore Holo, à toute cette mandature, un hommage critique qui est la manifestation de l’apport considérable qu’il a apporté à la jurisprudence béninoise et à la résistance de la Cour au pouvoir politique. Si dans notre pays, il ne reste pas des juridictions, des institutions et au-delà des institutions, des personnes physiques et morales pour résister, attirer l’attention des institutions sur l’arbitraire, attirer l’attention des pouvoirs publics sur l’état des libertés, nous allons perdre le patrimoine politique de la Conférence nationale qui est un patrimoine de liberté. Et ce patrimoine, pour moi, n’est pas incompatible avec les stratégies de développement. Le rôle de la Cour constitutionnelle ces dix dernières années et même au-delà, la présence de Théodore Holo à la Cour constitutionnelle est une présence qui a rappelé les fondamentaux. Ceux qui connaissent l’homme, savent que son héritage doctrinal, sa pensée politique est structurée en faveur de l’Etat de droit, des droits de l’Homme, du respect de la Constitution. Il a fait vivre toutes ces valeurs à la Cour. Bien évidemment il y a eu des décisions de la Cour sur laquelle on est resté dubitatif, on n’était pas d’accord. Mais dans l’ensemble, je crois que dans le sentiment des Béninois, la Cour constitutionnelle a été à la hauteur des responsabilités qui lui incombent dans la mise en œuvre et la préservation de la démocratie dans notre pays.
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Martin Assogba, président de l’Ong Alcrer
Il faut dire que le professeur Holo et les autres membres de la Cour que nous appelons pompeusement ‘’les sages’’, sont des êtres humains. Ils ont essayé vaille que vaille de se coller aux réalités du pays par rapport aux questions des droits humains. Ils ont essayé de faire leur travail en suivant les lignes directrices qui ont conduit à la mise en place de la Cour constitutionnelle après la Conférence nationale des forces vives. N’étant pas à leur place, le commun des mortels ne siégeant pas à la Cour pour apprécier les conditions dans lesquelles les décisions sont prises, nous avons souvent opiné sur les décisions que nous avons trouvées maladroites, anticonstitutionnelles ou parfois irréalistes. Mais quand vous vous rapprochez des membres de la Cour, vous vous rendez à l’évidence qu’ils tiennent aussi compte de ce que l’opinion publique pourrait penser de leurs décisions. Ils ne sont pas seulement des juristes, ils sont aussi des politiques. Ils prennent parfois des décisions politiques pour apaiser les tensions. Parfois, ils trouvent une décision bien opportune mais ils temporisent en prenant une décision qui évite que les populations se surchauffent. Nos sages tiennent comptent de l’environnement, de la psychologie des Béninois avant dire de le droit. Par exemple, il a été constaté qu’un président a fait K.O, ce qui ne s’était jamais passé au Bénin. Ce K.O. a été proclamé parce que celui-là qui était au pouvoir, qui est un jusqu’auboutiste et qui tenait tout le gouvernail en main, aurait pu créer des ennuis pour le pays si on s’entêtait à admettre un deuxième tour pour lequel il savait qu’il ne passerait pas. La preuve, quand certaines personnes se sont insurgées contre le K.O., il a sorti l’artillerie de guerre. Cette décision a été prise pour éviter que ce dernier mette pas le pays à feu et à sang. Les sages se sont dit qu’il valait mieux l’apaiser pour éviter que le pays entre en trouble. Les décisions ne sont pas toutes basées sur le droit mais bien souvent sur la recherche de la quiétude et nous devons pouvoir faire avec.Je trouve que la Cour du professeur nous a sauvés du pire, bien que nous fussions pas toujours d’accord.
Propos recueillis par Pascal AGUEHOUNDE