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Entretien avec Sorikoua Sambiéni, maire de Matéri: « L’alcool tue plus que les médicaments frelatés dans notre commune… »

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Par   Eklou, le 31 janv. 2018 à 07h50

Atterré presque par le phénomène de l’alcool sur la santé de ses populations, Sorikoua Sambiéni, maire de la commune de Matéri, évoque le drame dans cet entretien et sollicite l’attention des pouvoirs publics au plus haut niveau. Sans désemparer dans la lutte contre le fléau, il confie toutefois ses limites.

La Nation : Monsieur le maire, vous êtes confronté à un phénomène qui décime la couche juvénile à Matéri : le problème de l’alcool frelaté. Comment se présente la situation dans cette commune qui est la plus peuplée de l’Atacora ?

Sorikoua Sambiéni : C’est vraiment un fléau qui gangrène et ronge notre société. Et le conseil communal n’a pas tardé à réagir en prenant des mesures pour essayer d’endiguer les effets de ce phénomène sur les populations. Nous avons pris des mesures pour réglementer la mise en vente de l’alcool à travers une réduction du nombre de vendeurs. Nous sommes arrivés à rehausser un peu le prix de vente de l’alcool pour empêcher n’importe qui d’aller en acheter. Cela, en faisant des contrats avec les grossistes, semi-grossistes et ceux qui vendent dans les villages et en instituant des taxes à payer. Les grossistes devraient payer 400 000 F Cfa par mois ; les semi-grossistes 200 000 F Cfa et les détaillants 25 000 F Cfa. Ça devrait réduire le nombre de ceux qui vont amener la boisson ici à Matéri. Nous avons fait en sorte qu’on ait un vendeur par village dans les 77 villages de la commune. Quand nous avons fait le recensement, nous avons trouvé près de 800 vendeurs établis dans notre commune. Dans certains petits villages, nous avons parfois recensé 42 postes de vente. Nous avons voulu réduire le nombre de vendeurs à un grossiste ; six semi-grossistes et un détaillant. Quand ils ont compris, ils se sont opposés à la signature de ce contrat.

Qu’avez-vous fait par la suite ?

Après moult sensibilisations, nous étions obligés de passer à la répression. A partir de ce moment-là, ceux qui n’ont pas signé de contrat avec la mairie se retrouvent en difficulté. Dès que nous avons l’information qu’ils vendent de l’alcool, nous déployons les conseillers et les forces de l’ordre pour arrêter leurs produits. Nous avons arrêté d’importantes quantités d’alcool qui sont stockées dans les bureaux d’arrondissement. Nous nous retrouvons aujourd’hui devant les tribunaux pour répondre des plaintes portées par certaines bonnes dames qui estiment être brimées dans leurs droits. Nous n’avons voulu qu’appliquer les mesures prises par le conseil communal pour réglementer la vente de l’alcool dont la qualité pose des problèmes de santé au niveau de notre commune. Elles n’ont pas voulu signer les contrats en s’appuyant sur leurs relations dans certaines sphères. Les saisies opérées à leur niveau constituent les motifs de notre assignation. C’est vrai que nous n’avons pas refusé la commercialisation du ‘’sodabi’’ dans notre commune mais notre souci majeur, c’est de nous assurer que les produits que ces bonnes dames amènent sont de bonne qualité. L’alcool est déjà dangereux pour la santé et en consommer de frelaté est un problème pour nos populations. Avec nos efforts, le produit qui était à 600 F le litre est passé désormais à 1000 F le litre. Nous souhaitons que le produit puisse aller à 1500 F le litre afin de décourager les populations qui en abusent.
...Le produit entre clandestinement à Matéri et nous n’avons aucune force pour le contrôler. Notre seule possibilité, c’est d'imposer des taxes aux vendeurs pour que le prix connaisse une augmentation.

La justice a été saisie du dossier, a-t-on appris. Qu’en est-il exactement ?

Actuellement, nous avons été saisis par le tribunal suite à des plaintes formulées à l’encontre des autorités locales par une dame dont la cargaison d’alcool a été saisie par nos services. Plusieurs fois de suite, nous avons été au tribunal et jusque-là, il n’y a pas eu de décision rendue. Les faits qu’ils ont qualifiés au début de vols ont été requalifiés et ils parlent de violences et voies de faits et depuis longtemps, nous sommes devant les juridictions. Nous souhaitons que le tribunal nous accompagne dans notre lutte, car ce que nous faisons va dans l’intérêt de nos populations. Nous avons voulu qu’ils signent des contrats avec la mairie afin de nous assurer que le produit qu’ils vendent est de qualité. Nous avons appris que des vendeuses de ‘’sodabi’’ s’approvisionnent à Savè  mais qu’elles font des mélanges au produit originel, y mettent un produit puis ajoutent de l’eau dans l’alcool ainsi disponible à domicile et c’est ce qui est vendu aux populations sur place. Nous avons saisi la direction de l’Alimentation et de la Nutrition appliquée (Dana) avec quelques échantillons. Nous pensons qu’au moment opportun, nous allons présenter ces échantillons-là au tribunal comme preuve. Cette affaire nous tracasse énormément. Ça fait mal de se retrouver dans de pareilles circonstances avec les pouvoirs publics censés protéger les populations. Nous sommes confiants qu’un jour nous aurons gain de cause. Ici, le sodabi tue plus que les médicaments frelatés. A Matéri, à cause du sodabi, il y a beaucoup de personnes physiquement mal en point, voire ‘’frelatées’’ si je pus m’exprimer ainsi. Les populations consomment du pastis et d’autres boissons dont la qualité pose problème. Quand j’ai commencé la répression, Madame le préfet a dépêché une équipe sur le terrain et ils ont retrouvé à Tanguiéta chez un individu, cinq fûts de pétrole. Selon les indiscrétions, ce pétrole servirait à fabriquer du pastis. Les jeunes qui devraient contribuer à l’accroissement de la culture du maïs et autres cultures vivrières sont là et ne font que vous demander 100 F ou 200 F pour acheter de l’alcool. Ils en sont accros et ne peuvent plus s’en passer. Dans notre commune, il y a beaucoup de victimes de l’alcool frelaté. Des enseignants ne vont même plus à l’école, car alcooliques.
Il y en a parmi ces dames qui, fortes de leurs relations au plus haut niveau, nous narguent, sachant bien qu’il s’agit d’un problème de santé, d’un danger pour les populations.

Le tableau que vous présentez est bien sombre et à cette allure, l’espoir de voir le phénomène endigué semble vain. Qu’envisagez-vous finalement comme perspectives dans votre lutte ?

J’attends beaucoup des décisions du tribunal. Si de telles décisions pouvaient contraindre cette dame qui nous a assignés à signer le contrat, alors ce sera une première victoire et la preuve que nous ne nous trompions pas de combat. Si nous arrivons à obtenir gain de cause, je pense que ça va être un bon début pour nous et nous pourrions imposer nos règles de fonctionnement et protéger nos populations. Si nous ne gagnons pas le procès, nous ferons recours à nos partenaires pour les convaincre de nous faire faire l'analyse des échantillons de l’alcool retrouvé sur le terrain ; cela nous permettra de disposer des éléments de base scientifiques susceptibles d’être exhibés auprès des députés et même au ministère de l’Intérieur pour attirer davantage l’attention des pouvoirs publics sur ce problème. Que quelqu’un qui doit aller au champ n’y aille pas pour cause d’ébriété, je pense que cela devrait interpeller tous les partenaires qui s’investissent à nos côtés pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle des populations. Lorsqu’une femme boit de l’alcool, elle ne peut pas préparer correctement. Ce sont des situations qui influent sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle dans nos communes. Lorsque vous buvez de l’alcool, cela a des effets néfastes sur votre sécurité alimentaire et nutritionnelle et par ricochet sur votre état de santé. Le foie est là à digérer de l’alcool que vous avez consommé en lieu et place des nutriments alimentaires.

On entend dire que c’est une tradition dans l’Atacora de voir les populations s’adonner à l’alcool. Qu’est-ce qui justifie réellement aujourd’hui cette addiction des jeunes à l’alcool à Matéri ?

C’est vrai que le phénomène date de longtemps mais il faut pouvoir l’analyser avec les effets culturels et scientifiques. Mon explication du phénomène de l’alcool vient du fait que la saison sèche dure six mois. Dès qu’ils finissent les labours en janvier ou février au plus tard, ils ne font plus rien. De janvier jusqu’en mai, le paysan est en train de se promener. Quand on cherche des activités récréatives en cette période-là, ce sont des moments de cérémonie. Vous allez voir que les marchés s’animent bien, en cette période. Celui qui ne fait rien se livre à la boisson parce qu’il a le temps de s’en préoccuper. Il y a des gens qui, à cause de l’islam, ne boivent pas. Si vous allez dans les milieux musulmans, vous allez voir que le niveau de vie est plus élevé. Ils ont de belles constructions ; ils s’habillent décemment. Quand on observe ces situations, on pense que c’est culturel mais c’est loin d’être ça. Avec nos partenaires, nous menons également les réflexions pour pouvoir trouver des occupations aux populations pendant la saison sèche. Beaucoup de jeunes sont partis pour Ouèssè, car là-bas il pleut. S’il y a possibilité de favoriser de tels mouvements saisonniers pour amener nos bras valides à s’occuper sainement, pourquoi pas ? On a besoin des jeunes pour créer de la richesse. Qu’allons-nous faire alors si nous n’avons pas de forces vives actives ?

Parfois, ce sont les hommes politiques mêmes qui encouragent la chose en donnant de l’argent pour des beuveries au terme des meetings ?

On n’apporte pas du sodabi lors des meetings. Mais que certaines élites politiques le fassent n’est pas bien et il va falloir les sensibiliser par rapport à cette situation. Leur dire que le sodabi décime nos populations à Matéri ne peut que nous rendre service. Nous avons le ‘’tchoukoutou’’ qui est une boisson saine et assez nutritive à promouvoir et ce n’est pas bien méchant d’en servir quelques gorgées aux populations juste pour étancher leur soif lors de grands rassemblements. Le tchoukoutou n’est donc pas aussi nocif pour la santé. Vous pouvez boire tout un sceau sans être saoulé?