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Epiphane Quenum au sujet du nouveau code électoral: « Le législateur est à l’étape où il faut stabiliser les partis politiques »

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Honorable Epiphane Quenum Honorable Epiphane Quenum

Epiphane Quenum, ancien député à l’Assemblé nationale, membre du parti Union progressiste le renouveau, explique dans cet entretien, que les dispositions du nouveau code électoral reflètent l’ambition de la consolidation de la réforme du système partisan, car «la démocratie était un peu enfermée dans une coquille ».

Par   Arnaud DOUMANHOUN, le 15 mars 2024 à 08h25 Durée 5 min.
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La Nation : Quels sont les points qui ont retenu votre attention dans la modification du code électoral?

Epiphane Quenum : La réforme du système partisan est un vaste chantier qui se déroule en plusieurs étapes. La première étape a été de décider du resserrement, du rétrécissement du tissu partisan, qui entre-temps, s’était éparpillé, éclaté selon une multiplication par scissiparité des partis existants, de manière qu’on avait une foison de partis; ce qui avait pour conséquence la fragmentation de la cohésion nationale. Donc, resserrer les partis politiques, c’était la première étape pour aller vers les grands ensembles. Ensuite, vint la deuxième étape, où il fallait dépersonnaliser les partis politiques. Avant, on évoquait le parti du président Soglo, celui du président Amoussou Bruno, de Adrien Houngbédji, de Fagbohoun etc.

Les partis s’identifiaient à ces personnalités, parce que ce sont ceux-là qui ont eu l’opportunité de créer les premiers partis et qui mettaient la main à la poche pour leur fonctionnement. Ainsi, leurs décisions étaient prépondérantes. Donc, la démocratie était un peu enfermée dans une coquille. Avec la réforme du système partisan, il a été décidé de dépersonnaliser les partis. Et il fallait deux choses pour le faire. Premièrement, que les partis deviennent des partis nationaux, agrandissent leur envergure sur l’ensemble du territoire national. Donc, contraindre les petites formations à aller à une marche forcée vers de grands ensembles, vers de grandes enceintes politiques. En deuxième lieu, comme ces personnalités qui avaient en main la gestion des partis venaient à s’imposer par l’argent, par leur apport pécuniaire, il fallait que l’Etat mette en place les ressources financières nécessaires pour la gestion des partis. D’où l’instauration du financement public des partis politiques. Cela veut dire que l’on a réussi à décrocher les partis politiques des mains des anciens leaders. 

Quelle est la troisième étape de cette réforme ?

Pour la troisième étape, il faut arriver à la stabilité des formations politiques. Travailler à la stabilité des partis politiques, c’est faire en sorte que les élus qui ont reçu mandat pour représenter leur parti dans les institutions de la République, puissent être crédibles et fidèles par rapport aux engagements pris. Il faut absolument une lutte contre le non-respect des engagements, contre ce que d’aucuns appellent de la prostitution politique. Vous ne pouvez pas prendre un mandat et arriver à l’Assemblée nationale pour faire à votre tête; de sorte que les populations, vos électeurs, ne se retrouvent plus. Vos électeurs vous ont mis dans une chambre, dans une enceinte définie par rapport à un projet de société auquel ils ont adhéré, et vous vous retrouvez dans une autre enceinte dont le projet de société ne correspond pas à ce que vous avez exposé aux militants.

D’où cette troisième étape qui consiste à travailler à la stabilité des partis politiques, impliquant de stabiliser les élus à agir uniquement dans le sens des engagements pris. Non seulement les partis doivent avoir une envergure nationale, connus dans chacun des 6000 villages environ, mais respecter les contrats d’engagements pris avec les populations. Il en ressort que le député, l’élu doit rester dans la droite ligne, ou dans les sillons idéologiques tracés par le parti politique. Lorsque votre parti dit, voilà le candidat que nous choisissons et que le député dit ‘’Non’’, moi je m’en vais voter pour un autre candidat, est-il respectueux de ses engagements? Certains diraient que le député est libre. Personne n’est libre. Même pour avoir contracté un mariage, vous n’êtes plus libre. Le député, militant qu’il est, pour avoir engagé sa responsabilité à travers son adhésion à une formation politique, sa liberté devient relative. Voilà pourquoi, dans certains pays, si vous n’épousez plus la vision, l’idéologie, si vous n’êtes plus d’accord avec les projets de société déposés par votre parti politique, vous démissionnez et votre suppléant vous remplace.    

Pourquoi le parti ne peut pas prévoir des sanctions au cas où l’élu manquerait à son devoir, plutôt que de l’obliger à accorder son parrainage au candidat du parti ?

Je comprends cette suggestion mais l’on ne peut y aller de cette façon, parce que l’élu est prêt à empocher les monnaies sonnantes et trébuchantes et puis dire, on peut me sanctionner après. Nous nous connaissons au pays. Au moins j’aurais gagné mes millions, on peut me sanctionner. Si je suis à bout de souffle, je quitte le parti. On en sanctionnera tellement que, finalement, on va se retrouver encore dans un autre contexte.

C’est pour vous dire que le législateur, évoluant étape par étape, est venu à l’étape où il faut stabiliser les partis politiques, il faut accroitre la confiance entre l’élu et ses mandants, il faut fidéliser l’élu, l’attacher suffisamment à son parti pour qu’on cesse de connaître les couacs que nous avons à l’Assemblée. Cela me permet de rappeler qu’à une année donnée, il y a 12 ans environ, nous étions à quelques encablures des élections quand un député d’un parti bien connu, qui était même au pouvoir, a démissionné trois fois dans la même semaine. Parce qu’il a reçu une promesse d’un parti qui lui a versé les arts mais pas en totalité ; et le jour de la plénière, quand il est venu, ne voyant pas venir le reste, il dépose sa démission pour retourner dans son groupe. Son groupe voyant aussi qu’il était perdant, l’appelle pour lui faire une proposition qu’il prend, et accepte de donner sa procuration à son parti, mais le jour du vote, il est venu dans la salle, alors que la présence annule la procuration. Et il est apparu qu’il avait déjà reçu le complément de l’autre côté. Donc, personne ne savait dans quel sens il allait voter. C’est pour nous dire que si nous voulons une démocratie crédible, transparente, prometteuse d’un lendemain meilleur, il faut travailler à la stabilité des formations politiques. Il faut travailler également à la stabilité des élus au sein de leur formation politique.

Donc, c’est vu juste que de dire désormais les députés ne donneront les parrainages qu’au candidat désigné par leur formation politique. 

D’aucuns estiment que cette question de parrainage exclut les candidatures indépendantes alors qu’ailleurs, il y a tout au moins des primaires pour jauger l’opinion populaire. Quelle est votre lecture ?

Comme il se dit bien souvent, tous les chemins mènent à Rome. Que les autres fassent de primaire et que nous, nous décidons à l’étape où nous sommes que les parrainages restent dans les limites de l’enceinte à laquelle appartient l’élu, c’est la même chose puisqu’on n’interdit pas au sein des partis qu’il y ait plusieurs candidatures. X ou Y peut être aspirant à la candidature à l’élection présidentielle au sein de son parti. Il reste que le parti puisse l’investir. De tous ses aspirants, le bureau politique ou le conseil national, qui peut représenter les électeurs de cette formation, procédera par vote pour choisir entre deux ou trois aspirants, le candidat idéal et le parti va l’investir. Une fois que le parti l’investit, tout le monde l’accompagne. Et si nous ne faisons pas encore les primaires, c’est parce que nous n'en avons pas les moyens. Ça viendra.

Je vous dirai aussi qu’un pays qui veut son développement ne peut plus continuer de se laisser diriger par un individu inconnu du champ politique, et c’est arrivé au pouvoir qu’il se mettra à rédiger un projet de société. Comment peut-on lui exiger la reddition de comptes, puisqu’il vient comme il part.  C’est pourquoi aujourd’hui, dans presque tous les pays, que ce soit en France, en Grande Bretagne ou aux Etats-Unis, ce sont les formations politiques qui élaborent les projets de société à l’avance, et battent campagne sur cette base, pour les différentes élections. Ça veut dire qu’au lieu que ce soit un individu, c’est un groupe. C’est une frange importante de la population qui est aux affaires. C’est pourquoi aux Etats-Unis, dès le lendemain de la victoire d’un parti, l’on décape du sommet vers le bas les cadres qui font place à la formation qui a gagné. Laisser un quidam prendre le pouvoir, est un risque. Le régime en place est en train de travailler à ce que la responsabilité soit une responsabilité collective. 

L’autre préoccupation, c’est le seuil de 20 % de suffrages fixé pour dérocher des sièges. 

On veut s’assurer tout simplement qu’à l’aide de ce médicament, l’on sera guéri. De la question de la stabilité des partis, il découle qu’il faut que les partis soient représentatifs. Par exemple on avait plusieurs syndicats et les grèves allaient dans tous les sens. Puis, l’on a eu l’idée de demander aux travailleurs, dans la multitude de syndicats, de désigner ceux qui peuvent les représenter le mieux. L’on est arrivé à une ou deux centrales syndicales, et cela a permis de contrôler le mouvement. Donc il faut que nous ayons des partis politiques suffisamment représentatifs. C’est pour cela d’abord que la barrière ou le filtre de 10 % avait été fixé. Maintenant on descend dans les circonscriptions pour dire, qui peut partager les sièges. C’est une autre préoccupation. Si nous avons trois partis, et que sur 200 électeurs attendus, c’est 100 suffrages qui ont été exprimés, et que chacun des trois partis a bien travaillé, 20 % fois 3 fait 60 % et il reste encore 40 % qu’ils vont se partager.

Si le nombre de partis est réduit et que les acteurs sont confiants quant à leur capacité à convaincre l’électorat, pourquoi mettre en place des accords de gouvernance ?

Dans tous les pays, dans toutes les nations, l’on met toujours en place l’accord de gouvernance. En Israël, Benjamin Netanyahou qui n’avait pas la majorité, a été obligé d’aller en accord de gouvernance avec des partis un peu proches de son obédience. Ce n’est pas nécessairement parce qu’on aurait manqué de voix, qu’on n’aurait pas rempli les pourcentages définis, mais parce qu’on veut élargir notre base en acceptant des accords de gouvernance. Il y a deux cas possibles.

Nous sommes à quelques mètres des limites définies, ou du moins nous avons défini la limite, mais nous sommes en train de vouloir être plus nombreux, être plus grands. Donc les accords de gouvernance, c’est un principe auquel il ne faut jamais se dérober. Plus on est nombreux à partager la même vision, ou à accepter à se rapprocher de la vision du plus fort ; plus la nation est unie. Donc, l’accord de gouvernance, même si on ne le dit pas, c’est automatique, c’est naturel. Il est différent de l’accord d’alliance qui a été supprimé, où des partis qui savent pertinemment qu’ils n’ont pas la capacité, la force nécessaire, continuent d’animer la vie politique et à l’approche des élections, se pressent de faire des accords d’alliance. 

 

Votre mot de la fin

Je voudrais dire à nos concitoyens qui ne sont pas de l’arène politique, de ne pas se laisser perturber. Il n’y a pas péril en la demeure. Aujourd’hui, les partis politiques représentatifs ont le financement de l’Etat. Leurs poches ne souffriront pas. Ils ont juste besoin d’utiliser cet argent pour aller faire la mobilisation de leurs troupes et capter le plus grand nombre d’électeurs et le tour est joué.