La Nation Bénin...
Epiphane Quenum, ancien député à
l’Assemblé nationale, membre du parti Union progressiste le renouveau, explique
dans cet entretien, que les dispositions du nouveau code électoral reflètent
l’ambition de la consolidation de la réforme du système partisan, car «la
démocratie était un peu enfermée dans une coquille ».
La Nation : Quels sont les points qui ont
retenu votre attention dans la modification du code électoral?
Epiphane Quenum : La réforme du système
partisan est un vaste chantier qui se déroule en plusieurs étapes. La première
étape a été de décider du resserrement, du rétrécissement du tissu partisan,
qui entre-temps, s’était éparpillé, éclaté selon une multiplication par
scissiparité des partis existants, de manière qu’on avait une foison de partis;
ce qui avait pour conséquence la fragmentation de la cohésion nationale. Donc,
resserrer les partis politiques, c’était la première étape pour aller vers les
grands ensembles. Ensuite, vint la deuxième étape, où il fallait
dépersonnaliser les partis politiques. Avant, on évoquait le parti du président
Soglo, celui du président Amoussou Bruno, de Adrien Houngbédji, de Fagbohoun
etc.
Quelle est la troisième étape de cette
réforme ?
Pour la troisième étape, il faut arriver à la
stabilité des formations politiques. Travailler à la stabilité des partis
politiques, c’est faire en sorte que les élus qui ont reçu mandat pour
représenter leur parti dans les institutions de la République, puissent être
crédibles et fidèles par rapport aux engagements pris. Il faut absolument une
lutte contre le non-respect des engagements, contre ce que d’aucuns appellent
de la prostitution politique. Vous ne pouvez pas prendre un mandat et arriver à
l’Assemblée nationale pour faire à votre tête; de sorte que les populations,
vos électeurs, ne se retrouvent plus. Vos électeurs vous ont mis dans une
chambre, dans une enceinte définie par rapport à un projet de société auquel
ils ont adhéré, et vous vous retrouvez dans une autre enceinte dont le projet
de société ne correspond pas à ce que vous avez exposé aux militants.
Pourquoi le parti ne peut pas prévoir des
sanctions au cas où l’élu manquerait à son devoir, plutôt que de l’obliger à
accorder son parrainage au candidat du parti ?
Je comprends cette suggestion mais l’on ne peut
y aller de cette façon, parce que l’élu est prêt à empocher les monnaies
sonnantes et trébuchantes et puis dire, on peut me sanctionner après. Nous nous
connaissons au pays. Au moins j’aurais gagné mes millions, on peut me
sanctionner. Si je suis à bout de souffle, je quitte le parti. On en
sanctionnera tellement que, finalement, on va se retrouver encore dans un autre
contexte.
C’est pour vous dire que le législateur,
évoluant étape par étape, est venu à l’étape où il faut stabiliser les partis
politiques, il faut accroitre la confiance entre l’élu et ses mandants, il faut
fidéliser l’élu, l’attacher suffisamment à son parti pour qu’on cesse de
connaître les couacs que nous avons à l’Assemblée. Cela me permet de rappeler
qu’à une année donnée, il y a 12 ans environ, nous étions à quelques encablures
des élections quand un député d’un parti bien connu, qui était même au pouvoir,
a démissionné trois fois dans la même semaine. Parce qu’il a reçu une promesse
d’un parti qui lui a versé les arts mais pas en totalité ; et le jour de la
plénière, quand il est venu, ne voyant pas venir le reste, il dépose sa
démission pour retourner dans son groupe. Son groupe voyant aussi qu’il était
perdant, l’appelle pour lui faire une proposition qu’il prend, et accepte de
donner sa procuration à son parti, mais le jour du vote, il est venu dans la
salle, alors que la présence annule la procuration. Et il est apparu qu’il
avait déjà reçu le complément de l’autre côté. Donc, personne ne savait dans
quel sens il allait voter. C’est pour nous dire que si nous voulons une
démocratie crédible, transparente, prometteuse d’un lendemain meilleur, il faut
travailler à la stabilité des formations politiques. Il faut travailler
également à la stabilité des élus au sein de leur formation politique.
Donc, c’est vu juste que de dire désormais les
députés ne donneront les parrainages qu’au candidat désigné par leur formation
politique.
D’aucuns estiment que cette question de
parrainage exclut les candidatures indépendantes alors qu’ailleurs, il y a tout
au moins des primaires pour jauger l’opinion populaire. Quelle est votre
lecture ?
Comme il se dit bien souvent, tous les chemins
mènent à Rome. Que les autres fassent de primaire et que nous, nous décidons à
l’étape où nous sommes que les parrainages restent dans les limites de
l’enceinte à laquelle appartient l’élu, c’est la même chose puisqu’on
n’interdit pas au sein des partis qu’il y ait plusieurs candidatures. X ou Y
peut être aspirant à la candidature à l’élection présidentielle au sein de son
parti. Il reste que le parti puisse l’investir. De tous ses aspirants, le
bureau politique ou le conseil national, qui peut représenter les électeurs de
cette formation, procédera par vote pour choisir entre deux ou trois aspirants,
le candidat idéal et le parti va l’investir. Une fois que le parti l’investit,
tout le monde l’accompagne. Et si nous ne faisons pas encore les primaires,
c’est parce que nous n'en avons pas les moyens. Ça viendra.
Je vous dirai aussi qu’un pays qui veut son
développement ne peut plus continuer de se laisser diriger par un individu
inconnu du champ politique, et c’est arrivé au pouvoir qu’il se mettra à
rédiger un projet de société. Comment peut-on lui exiger la reddition de
comptes, puisqu’il vient comme il part.
C’est pourquoi aujourd’hui, dans presque tous les pays, que ce soit en
France, en Grande Bretagne ou aux Etats-Unis, ce sont les formations politiques
qui élaborent les projets de société à l’avance, et battent campagne sur cette
base, pour les différentes élections. Ça veut dire qu’au lieu que ce soit un
individu, c’est un groupe. C’est une frange importante de la population qui est
aux affaires. C’est pourquoi aux Etats-Unis, dès le lendemain de la victoire
d’un parti, l’on décape du sommet vers le bas les cadres qui font place à la
formation qui a gagné. Laisser un quidam prendre le pouvoir, est un risque. Le
régime en place est en train de travailler à ce que la responsabilité soit une
responsabilité collective.
L’autre préoccupation, c’est le seuil de
20 % de suffrages fixé pour dérocher des sièges.
On veut s’assurer tout simplement qu’à l’aide
de ce médicament, l’on sera guéri. De la question de la stabilité des partis,
il découle qu’il faut que les partis soient représentatifs. Par exemple on
avait plusieurs syndicats et les grèves allaient dans tous les sens. Puis, l’on
a eu l’idée de demander aux travailleurs, dans la multitude de syndicats, de
désigner ceux qui peuvent les représenter le mieux. L’on est arrivé à une ou
deux centrales syndicales, et cela a permis de contrôler le mouvement. Donc il faut
que nous ayons des partis politiques suffisamment représentatifs. C’est pour
cela d’abord que la barrière ou le filtre de 10 % avait été fixé. Maintenant on
descend dans les circonscriptions pour dire, qui peut partager les sièges.
C’est une autre préoccupation. Si nous avons trois partis, et que sur 200
électeurs attendus, c’est 100 suffrages qui ont été exprimés, et que chacun des
trois partis a bien travaillé, 20 % fois 3 fait 60 % et il reste encore 40 %
qu’ils vont se partager.
Si le nombre de partis est réduit et que les acteurs sont confiants quant à leur capacité à convaincre l’électorat, pourquoi mettre en place des accords de gouvernance ?
Dans tous les pays, dans toutes les nations,
l’on met toujours en place l’accord de gouvernance. En Israël, Benjamin
Netanyahou qui n’avait pas la majorité, a été obligé d’aller en accord de
gouvernance avec des partis un peu proches de son obédience. Ce n’est pas
nécessairement parce qu’on aurait manqué de voix, qu’on n’aurait pas rempli les
pourcentages définis, mais parce qu’on veut élargir notre base en acceptant des
accords de gouvernance. Il y a deux cas possibles.
Nous sommes à quelques mètres des limites
définies, ou du moins nous avons défini la limite, mais nous sommes en train de
vouloir être plus nombreux, être plus grands. Donc les accords de gouvernance,
c’est un principe auquel il ne faut jamais se dérober. Plus on est nombreux à
partager la même vision, ou à accepter à se rapprocher de la vision du plus
fort ; plus la nation est unie. Donc, l’accord de gouvernance, même si on ne le
dit pas, c’est automatique, c’est naturel. Il est différent de l’accord d’alliance
qui a été supprimé, où des partis qui savent pertinemment qu’ils n’ont pas la
capacité, la force nécessaire, continuent d’animer la vie politique et à
l’approche des élections, se pressent de faire des accords d’alliance.
Votre mot de la fin
Je voudrais dire à nos concitoyens qui ne sont
pas de l’arène politique, de ne pas se laisser perturber. Il n’y a pas péril en
la demeure. Aujourd’hui, les partis politiques représentatifs ont le
financement de l’Etat. Leurs poches ne souffriront pas. Ils ont juste besoin
d’utiliser cet argent pour aller faire la mobilisation de leurs troupes et
capter le plus grand nombre d’électeurs et le tour est joué.
Honorable Epiphane Quenum