La Nation Bénin...
Les
présidents béninois et nigérien ont bien fait de saisir l’opportunité de la
médiation des anciens présidents béninois pour régler les différends qui
opposent les deux pays. Mais faudrait-il encore que les deux parties évitent au
maximum les erreurs de parcours pour garantir une issue heureuse de la
médiation, estime Joël Atayi-Guèdegbé, analyste politique et expert en
gouvernance. Dans cette interview, il esquisse, entre autres, des approches de
solutions pour la normalisation et le renforcement rapides des relations entre
le Bénin et le Niger.
La
Nation : La médiation des anciens présidents Soglo et Yayi semble produire ses
fruits au regard des communiqués publiés au terme de leurs rencontres avec les
présidents Tiani et Talon. Pourrait-on déjà parler de bonne nouvelle pour les
peuples béninois et nigérien qui souffrent de cette crise depuis 10 mois ?
Joël Atayi-Guèdègbé : Ne boudons point notre plaisir de constater que, depuis une dizaine de jours, quelque chose semble bouger dans le bon sens dans la crise nigéro-béninoise née cumulativement, depuis bientôt un an, de la rupture de l’ordre constitutionnel au Niger, des menaces d’intervention militaire de la Cedeao contre la junte militaire ayant renversé l’ex-président Bazoum et des escarmouches au sujet du transit du pétrole nigérien par le Bénin, etc.
Oui,
pour nos peuples et pour l’ambition d’intégration sous-régionale
ouest-africaine, voire pour le panafricanisme originel, cette méditation est
une chance qui passe et, par conséquent, est une chance à saisir des deux côtés
du fleuve Niger.
Mieux,
cette crise devrait nous offrir l’occasion de mieux accueillir les conflits qui
ne peuvent manquer de surgir de nos relations étrangères, si étroites et
historiques soient-elles, pour mieux comprendre le ressenti profond des autres,
les intérêts spécifiques au-delà des positions et prétentions affichées
probablement avec une certaine surdétermination. Il y a donc lieu de considérer
cette médiation comme une opportunité de parvenir à un nouveau départ des
relations bénino-nigériennes, qui ne pourra pas faire, d’une manière ou d’une
autre, l’économie d’un approfondissement des causes et des facteurs générateurs
du conflit, avant d’aboutir progressivement à la satisfaction de certains
besoins qui devraient être bien identifiés pour éviter, à terme raisonnable, la
relance d’une forme larvée du ou des conflits réels, loin des arrangements à
courte vue ou de façade.
Alors
que la médiation des deux anciens présidents n’était pas vraiment prise au
sérieux par certains, qu’est-ce qui a contribué à cette ouverture après l’échec
de plusieurs tentatives de la Cedeao et du gouvernement béninois les mois
passés, selon vous ?
D’emblée, il conviendrait de souligner que la Cedeao n’a fait que se montrer velléitaire ou maladroite ; que ce soit au sujet de la libération du président renversé Bazoum ou, plus particulièrement, au niveau des mesures et actions de suivi à initier dès lors qu’elle avait annoncé son renoncement à l’option militaire et autorisé la réouverture des frontières ; ce qui ne concernait d’ailleurs que celles du Niger avec le Nigeria et le Bénin (le Burkina Faso et le Mali étant demeurés des voisins solidaires de la junte nigérienne).
Mais,
ce qui pourrait d’abord expliquer fondamentalement l’ouverture en cours, entre
le Niger et le Bénin, tient à l’apparition quasi concomitante de ce que je
nommerais laconiquement une certaine “intelligence de la nécessité” pour ne pas
stigmatiser davantage nombre d’erreurs d’appréciation ou d’expressions
publiques regrettables…
Enfin,
pour s’en tenir à ce qu’il est donné à voir et noter publiquement, il est
indéniable que face aux pertes subies par les économies des deux pays, la paix
des braves au profit du bien-être de nos populations respectives a été une
option raisonnable et mutuellement profitable au lieu de la surenchère et de la
fuite en avant.
Il ne restait qu’à ce que cela soit porté avec conviction et avec le moins d’arrière-pensées possible à travers les bons offices des anciens présidents béninois, voire nigériens, face aux actuels présidents Talon et Tiani du Bénin et du Niger qu’il convient d’encourager. De part et d’autre du fleuve Niger, cette capacité de persuasion est, à coup sûr, un capital de responsabilité historique à entretenir chez nos anciens chefs d’État malgré les griefs dont ils peuvent être l’objet.
Une commission tripartite sera mise en place pour aplanir les divergences. Quelles sont, selon vous, les erreurs à éviter par les uns et les autres pour garantir une issue heureuse des pourparlers ?
En effet, comme je l’évoquais au début de cet entretien, il devient impératif de réduire au maximum les erreurs de parcours, même s’il ne faut pas avoir la naïveté de croire que le processus ne sera pas à l’abri d’éventuels soubresauts ou difficultés. Ici, l’option de la commission tripartite est nécessaire, à plus d’un titre, pour organiser la mise en présence des autorités actuelles du Niger et du Bénin qui se connaissent et s’estiment bien peu.
Or, par le passé, les difficultés, voire les crises entre le Niger et le Bénin n'ont été surmontées qu’en raison de la fréquentation et de l’estime mutuelles des dirigeants de nos deux pays, notamment quand nous avons su éviter d’en venir aux armes entre 1964 et 2006 au sujet de nos prétentions respectives sur l’île de Lété, etc.
Donc, il va sans dire que les anciens présidents Soglo et Yayi gagneraient à constituer un collège arbitral ou de facilitation du dialogue recherché avec, par exemple, deux de leurs anciens-collègues qui pourraient être monsieur Mahamane Ousmane et monsieur Mahamadou Issifou, sinon le Général Salou Djibo. A défaut de ce dernier qui offre l’intérêt de présenter un profil semblable à celui du chef actuel de la junte nigérienne, il ne serait pas superflu d’impliquer à un moment où à un autre, l’actuel président de la junte burkinabè qui a le double avantage d’entretenir de bonnes relations de coopération militaire avec le Niger comme le Bénin et dont le pays partage des frontières communes avec ces deux pays au niveau du parc W, un des foyers du terrorisme où il urge que les trois pays coopèrent concrètement sur le plan sécuritaire. Ce qui offrirait une inestimable occasion d’apprendre à mieux se connaître, de se rendre utiles à la tranquillité de nos diverses populations et de parvenir à l’instauration de la confiance mutuelle.
Particulièrement pour la junte nigérienne, qui reste obsédée par une agression militaire française adossée à une base arrière au Bénin, la demande sécuritaire est une étape de la médiation à traiter avec beaucoup de soins en espérant qu’au niveau de la mise en œuvre de l’accord relatif au pipeline pétrolier, l’on se garde, avec la partie chinoise, de devoir passer par l’arbitrage de la Cour de justice de l’Uemoa.
Et puis, si les deux Etats pouvaient convenir assez vite de la reprise des échanges ordinaires à travers les hommes et les biens, sans doute pourraient-ils convenir dans un premier temps que les frontières ne soient ouvertes qu’en journée tout en définissant des procédures plus intégrées entre nos corps de sécurité et de contrôle au niveau du poste frontalier juxtaposé, etc.
En attendant la probable fumée blanche au terme des travaux de la commission, quelles sont déjà les leçons qu'on pourrait tirer de cette crise diplomatique et politico-judiciaire entre le Bénin et le Niger ?
Les leçons à apprendre de cette malheureuse crise entre le Niger et le Bénin, deux Etats condamnés par la géographie, l’histoire et la volonté d’intégration sous-régionale, sont loin d’être exhaustives.
Il n’empêche que, s’agissant de la partie béninoise et après les crises larvées subies avec le Nigeria et le Niger, le défi du bon voisinage devienne crucial pour la gouvernance du président Talon. Ce dernier serait-il incompris de la plupart de ses pairs ou aurait-il banalisé, voire négligé cet aspect dans la conduite de notre diplomatie ?
Sur le plan de notre présence dans les communautés sous-régionales comme la Cedeao et l’Uemoa, c’est presque une lapalissade de relever qu’il sera encore plus crucial de discerner les enjeux des luttes d’influence sous-régionale et, parfois géostratégique, en présence au regard de nos intérêts spécifiques comme des efforts de concertation et de cohésion internes. Malgré notre engagement résolu en faveur de l’intégration économique et sécuritaire comme des valeurs de l’État de droit démocratique, l’image du Bénin semble assez brouillée dans les cénacles comme au niveau des opinions publiques. Or, elle pourrait être mieux restituée par des postures renouvelées et plus explicites sur le plan de la redynamisation de l’espace ouest-africain.
Ainsi, notamment de l’Uemoa, qui offre l’intérêt et l’avantage de nous réunir encore avec les Etats de l’Aes qui n’en ont pas claqué la porte, et que le président Talon pourrait enfin accepter de présider. Avant la fin, qui ne sera certes pas de tout repos, de ses deux mandats constitutionnels au Bénin, il pourrait y avoir là le gage et le témoignage les plus palpables du souci de notre pays de se montrer utile à la construction d’un espace ouest-africain intégré de coprospérité non inféodé à quelque puissance étrangère, et ce, sans apparaître comme des donneurs de leçons.