La Nation Bénin...

La Nation : Vous avez suivi le déroulement du 2e tour du scrutin présidentiel, quelles sont les grandes leçons que vous en tirez ?
Laurent Mètognon : J’ai suivi les élections du dimanche 20 mars en tant qu’observateur au nom du comité populaire anti-fraude qui avait déjà travaillé au premier tour. C’est un comité qui existe sur toute l’étendue du territoire national. Comme son nom l’indique, c’est un comité populaire anti-fraude qui appelle à la vigilance des populations et à la transparence dans le vote. A part le faible taux de participation constaté çà et là, les électeurs béninois se sont acquittés de leur devoir citoyen. Quand on parle du peuple, les gens s’étonnent souvent. Le peuple, ce sont les gens qui souffrent, ce sont ces petits employés du privé, du public ou du semi-public. Le peuple, ce sont ceux qui revendiquent l’accès à l’eau potable, l’accès aux soins de santé, le droit à l’information et à la lumière. Il s’agit des jeunes, des femmes, des travailleurs. Ce sont eux qui ont souffert de la gestion de ces dix dernières années. Ce sont ceux-là qui pleurent parce que l’impunité a atteint un seuil de non retour dans notre pays. Ce sont ceux-là qui ont honte de vivre en tant que Béninois à cause de ces scandales, ces crimes de sang, ces assassinats. Ils ont soif de la vraie liberté, la liberté d’aller et de venir. Vous avez remarqué qu’au niveau des travailleurs, il y a beaucoup d’actions qui ont été étouffées dans le sang; même au niveau de la presse avec des interpellations des radios et télés privées.
Il faut saluer également la maturité de notre peuple qui s’est levé comme un seul homme pour sauvegarder le patrimoine de nos ancêtres, Béhanzin, Bio Guéra, etc. Ce peuple s’est levé pour dire non à la recolonisation de notre pays, parce qu’il s’agissait effectivement d’une recolonisation.
En juin 2015, lorsque le candidat, Premier ministre Lionel Zinsou avait été nommé, cela avait déjà fait l’objet d’une inquiétude notamment au niveau de certains partis dont le Parti communiste du Bénin (PCB) qui avait tiré la sonnette d’alarme. Cette campagne avec le peuple qui souffre nous a permis de savoir que les Béninois ont vraiment pris conscience. Et c’est la première leçon que nous tirons de cette élection présidentielle, à savoir le rejet de la recolonisation de notre pays. La deuxième que nous tirons, c’est le rejet de la gestion des dix dernières années par le président Boni Yayi. C’est une gestion qui est basée sur l’impunité, la fraude, les scandales. Le peuple a été unanime sur ce rejet et c’est ce qui a favorisé ce que nous appelons aujourd’hui la rupture. Et la rupture pour un nouveau départ suppose également que le peuple a des exigences à satisfaire. Une exigence, c’est d’abord l’impunité qui doit être combattue dans tous ces méandres. Et lorsqu’on parle de l’égalité des chances de tous les Béninois aujourd’hui, cela suppose une véritable justice. Parce que ce n’est que dans la justice et la vérité que l’homme peut être satisfait. Qu’il soit pauvre ou riche, justice doit lui être rendue. Dans un service public, qu’il connaisse quelqu’un ou pas, il faut qu’il soit traité comme un être humain.
Qu’attendez-vous du Nouveau départ ?
Le Nouveau départ, c’est assez d’exigences et les 100 premiers jours doivent être déterminants comme dans le Changement mué en Refondation. C’est pourquoi, le rejet de la recolonisation, on doit le voir dans les actes du nouveau président, de façon concrète. Le programme du Nouveau départ de Patrice Talon a des limites, sur lesquelles, nous devons travailler. Ceux qui avaient parlé des états généraux du peuple à savoir le Front de refus du Bénin Wahala, le Parti communiste du Bénin, la Convention patriotique des forces de gauche et des travailleurs, la jeunesse, les femmes, c’est maintenant que nous devons pouvoir faire ces états généraux. Il va falloir alors mettre ce qu’il y a de bon dans tous les autres programmes des candidats malheureux dans le programme de Patrice Talon pour avoir le programme du peuple. Parce que c’est maintenant que le plus difficile commence. Lorsque c’est le peuple qui a décidé, il a toute la force et toute la puissance pour agir.
Il va falloir que le nouvel élu soit à l’écoute de ce peuple. Le peuple veut d’une rupture pour un véritable nouveau départ et s’il veut être accompagné, il faut qu’il écoute le peuple et non ceux qui sont arrivés autour de lui pour se faire une nouvelle vie. Je félicite les Béninois d’avoir refusé la recolonisation, pour avoir chassé la Françafrique. Je l’exhorte à se mettre debout pour que toutes les réformes portent son empreinte et non l’empreinte de ceux qui pensent qu’ils sont plus intelligents que le peuple. En direction des travailleurs, des responsables syndicaux, il faut qu’ils soient vigilants à partir d’aujourd’hui jusqu’à la passation de service pour sécuriser les ministères, les biens meubles et immeubles. Pour ceux qui sont au niveau du secteur financier, il faut qu’ils sécurisent le trésor public parce qu’il ne faut pas que les gens profitent de leur défaite pour vider nos ministères et les quelques ressources qui restent. Les agents qui ont été très dociles parce qu’ils pensaient que Lionel Zinsou allait revenir, si aujourd’hui, ils prêtent main forte à ces ministres qui savent quand il faut faire disparaître les papiers les plus sécurisants pour notre pays, ils seront appréhendés. Tous les comités anti-fraude, toutes les organisations au niveau des Ongs qui ont veillé sur l’élection sont également dans tous les ministères et veilleront à ce que ces travailleurs ne se livrent pas à ce vilain jeu. D’un moment à l’autre, je sortirai un papier dans ce sens surtout au niveau du secteur financier et des entreprises publiques pour donner les directives à suivre pour qu’ils ne rendent pas difficile la tâche au nouveau président.
La Commission électorale nationale autonome a donné les grandes tendances. Les regards sont à présent tournés vers la Cour constitutionnelle. N’est-ce pas un jubilé avant l’heure ?
Je ne pense pas. Comme je l’ai dit, nous étions sur le terrain comme plusieurs observateurs et ce qu’on a vu dans les urnes ne peut plus être tronqué quelque part. Et lorsque le candidat Premier ministre, Lionel Zinsou, lui-même reconnait que l’écart est si grand, il ne pourrait plus avoir inversion des tendances. La Céna a donné les grandes tendances sans grandes modifications. La Cour constitutionnelle, même si elle arrive à invalider des voix, il n’y aura pas d’inversion si ce n’est que par rapport au taux de participation. Je pense que nous avons déjà un président qui s’appelle Patrice Talon, un président qui doit organiser les états généraux le plus tôt possible et avoir un programme consensuel. Parce que des autres programmes, il doit prendre en compte les exigences du peuple, pour un véritable nouveau départ.
Propos recueillis par Maryse ASSOGBADJO