La Nation Bénin...
Vingt listes de candidatures devraient finalement prendre part au scrutin législatif du 26 avril prochain, eu égard au point fait par la Commission électorale nationale autonome (CENA). De toutes les listes, certaines seront particulièrement scrutées, tant leurs prestations pourraient influencer le paysage et le débat politiques immédiats ou à venir.
L’échiquier politique pourrait connaître une redéfinition sinon fondamentale, du moins d’envergure au lendemain du scrutin du 26 avril prochain. Ces législatives, les troisièmes de l’ère Boni Yayi, les seules que celui-ci aborde aussi dans un contexte de fin de mandat et de règne, pourraient en effet annoncer une esquisse de ce que serait la carte politique après lui. Si en 2007 et en 2011, il surfait encore sur la vague de l’état de grâce pour réussir à faire gagner les FCBE, en 2015, les réalités apparaissent autrement plus compliquées. A moins d’un an de la fin de son bail à la tête du pays, et alors qu’une érosion relative a commencé à grignoter les terres ‘’fcbéennes’’, le défi pour le chef de l’Etat est de se convaincre qu’il reste maître du jeu et que sa popularité est intacte après 9 ans passés au front. Les couleurs sont d’ailleurs annoncées puisqu’officiellement, les FCBE ambitionnent de glaner 50 sièges de députés sur les 83. De quoi contrôler, seules, la majorité parlementaire. Ambition démesurée dans le contexte actuel, fait d’Opposition de plus en plus frontale entre les FCBE et certains de leurs anciens cadres, dont certains sont tombés en disgrâce alors que d’autres se sont affranchis de la tutelle du président Boni Yayi ? En tout cas, convaincues de contrôler 80% de l’électorat, d’après des études qu’elles disent avoir commanditées, les FCBE veulent y croire en dépit de la conjoncture qui n’autorise pas à croire qu’elles auront autant de députés qu’en 2011, soit 41, et qui fait penser que si même elles arrivaient à accrocher une trentaine de sièges, ce serait une sacrée performance déjà. Car en face, l’Opposition est de plus en plus farouche et, la détermination, grande...
Ces alliés devenus ennemis
Candide Azannaï, Hélène Kèkè-Aholou, Mathurin Nago, Sacca Lafia, Djibril Mama Débourou, Claudine Afiavi Prudencio, Grégoire Laourou (la liste n’est pas exhaustive) : voilà autant de fidèles passés, depuis, à l’ennemi sinon mués en adversaires coriaces et tenaces. Si intrinsèquement certains d’entre eux ne pesaient pas grand-chose et pouvaient ne pas véritablement inquiéter les FCBE, ils auront réussi, prenant sans doute conscience de leurs faiblesses, à concevoir ou conclure des alliances qui leur permettent, dans l’absolu, d’être sereins. Ainsi, Candide Azannaï dans la 16ème circonscription électorale (Cotonou Ouest), tête de liste de l’alliance qu’il a conclue avec l’Union fait la Nation (Opposition traditionnelle), peut espérer, avec le positionnement de Me Joseph Djogbénou juste derrière lui, un effet de ralliement qui l’aiderait à se sortir d’affaire. Mathurin Nago dans sa bonne 18ème circonscription (Bopa, Lokossa, Houéyogbé) a réussi à s’adjuger le ralliement de Dakpè Sossou (2ème titulaire), maire de Lokossa dont l’emprise sur la circonscription, notamment la ville de Lokossa, peut aider le président sortant de l’Assemblée nationale à regagner son siège de député. Le cas échéant, Dakpè Sossou aura été un vrai porteur d’eau et Mathurin Nago peut alors considérer ces législatives comme la rampe de lancement de sa course à la Marina en 2016. Quant à Hélène Kèkè-Aholou, la tâche sera plus ardue pour elle, dans la 20ème (Adjohoun, Akpro-Missérété, Avrankou, Bonou, Dangbo) où elle aura fort à faire face au PRD, maître traditionnel des lieux, et aux FCBE qui la firent élire en 2007 et 2011. Cette alliance des Forces démocratiques unies (FDU) conduite par Mathurin Nago pourrait aussi espérer voir son candidat Bani Samari, réussir à tirer son épingle du jeu dans la 2ème circonscription (Gogounou, Banikoara, Ségbana) où il avait déjà créé la sensation en se faisant élire en 2011 sur une liste concurrente des FCBE. Peut-être faudra-t-il encore compter avec lui… Claudine Prudencio, pour sa part, si son UDBN seule n’aurait pas pu lui permettre de s’en sortir, peut espérer que naisse de son alliance avec l’UN, un résultat nommé victoire pour lui permettre de retourner à l’hémicycle. Et, ainsi, oublier ses noces passées avec les FCBE, des noces qui auront été en dents de scie, l’amenant à voir successivement en Boni Yayi, un «papa bonheur», puis « papa malheur » au gré des circonstances et des intérêts…
Grégoire Laourou, c’est probablement l’un de ceux qui n’auraient pas voulu combattre les FCBE, tant il se sera montré, au fil des années écoulées, un militant disponible et généralement discipliné. Mais l’ascension fulgurante de son poulain Komi Koutché, tel un TGV, aura quelque peu assombri l’éclat de son étoile dans la 9ème circonscription (Bantè, Dassa-Zoumè, Savalou). Les deux étant natifs de Bantè et ne pouvant figurer sur la même liste sans froisser les natifs des autres communes composant la circonscription, c’est sans doute malgré lui que Grégoire Laourou s’en va voir, avec son alliance Eclaireur, si l’herbe sera plus verte ailleurs que chez les cauris.
En ce qui concerne Sacca Lafia et Djibril Mama Débourou, des pontes de la galaxie Yayi dans le Nord du pays, l’on ne sait trop s’ils sont victimes du souci de renouvellement générationnel prôné par une certaine tendance au sein des FCBE, ou s’ils paient pour leur rapprochement d’avec le candidat annoncé à la succession de Boni Yayi, Robert Gbian, dont on sait qu’il n’est pas, pour le moment en tout cas, le favori du locataire de la Marina. Toujours est-il que ceux-ci se montrent critiques envers Boni Yayi. Comme en témoigne leur récent meeting à Kandi dans le cadre de la célébration de la Journée internationale de la femme, à l’occasion de laquelle Sacca Lafia a carrément déclaré et répété avec emphase que «Yayi Boni, c’est fini !» Avec Sacca Lafia, Djibril Mama Débourou et Robert Gbian conduisant l’alliance Soleil, les circonscriptions électorales du Nord en général, les 7ème (Nikki, Bembèrèkè, Sinendé, Kalalé) et 8ème (Pèrèrè, Parakou, Tchaourou, N’Dali) seront particulièrement disputées. Ici, le combat aura un goût relevé car il s’agira d’établir des rapports de force probants qui attestent, pour l’alliance Soleil, qu’elle est la nouvelle force qui contrôle les lieux, et pour les FCBE, que Boni Yayi influencera encore le jeu pendant un moment et donc, qu’il faudra quêter son soutien… Celui-ci cerné par ses anciens alliés, n’est pas moins en proie à l’appétit des opposants traditionnels.
UN, PRD, se tracer une trajectoire prometteuse
Opposants de vieille date à Boni Yayi, l’Union fait la Nation et le PRD auront à cœur de se rassurer, quant à l’avenir immédiat. Faire un résultat conséquent, pour se convaincre que l’adversaire a vendu leurs peaux avant de les avoir tués, et lui démontrer, par la même occasion, qu’ils n’ont pas dit leur dernier mot. L’UN, quoique délestée du PRD et de la RB aura fait montre d’une régularité dans sa ligne politique face au pouvoir durant toute la législature. Une attitude que l’alliance conduite par Bruno Amoussou proposera aux électeurs de récompenser. Un résultat franchement positif, en l’absence du PRD et de la RB convaincrait Bruno Amoussou et compagnie que leur combat est compris et soutenu par le peuple, et leur ferait espérer que l’avenir, qui commencera déjà avec 2016, après les municipales du 31 mai, pourrait être encore plus prometteur. Mais le PRD, dans ses bastions traditionnels entendra marquer son hégémonie mise en doute par les ralliements massifs de la plupart des maires issus de ses rangs, à la majorité présidentielle. Ayant réussi à garder tous ses députés élus en 2011 dans la logique de l’Opposition au pouvoir, logique suivie aussi par Atao Hinnouho quoique parti labourer son propre champ politique, le parti de Me Adrien Houngbédji peut se targuer aussi d’une régularité comportementale face au pouvoir en place, quoique… Ici, le retour à la compétition du leader charismatique des Tchoko-tchoko sera appréhendé comme la sensation et l’on observera s’il suffira à redonner des couleurs au PRD. Qui, s’il se fait maître dans ses fiefs traditionnels, pourra envisager de peser sur la présidentielle de 2016, en s’alliant à un candidat faute d’en avoir en propre.
Dans la même dynamique, la RB, après avoir failli perdre son identité en saisissant «la main tendue» par le chef de l’Etat après la présidentielle de 2011 et alors même que son président Léhady Soglo avait été le directeur de campagne du candidat unique de l’Opposition, qui contestait alors les résultats, aura pour souci de se repentir de sa collaboration avec les FCBE, pour se refaire sinon une virginité politique, du moins une santé à même de lui permettre de continuer d’exister par elle-même. On se demandait bien comment la RB aurait pu, en restant dans son alliance avec les FCBE et le président Boni Yayi, tout en se réclamant de ce dernier, se comporter sur le terrain à l’occasion de ces élections ; sachant que le chef de l’Etat ne manquera pas, comme par le passé, de prêcher aux siens que la seule liste qu’il reconnaisse est la liste FCBE qu’il aura conçue en personne.
En s’affranchissant de son partenariat avec le pouvoir, la RB a probablement fait une partie du chemin. Reste maintenant à convaincre les électeurs que cette rupture n’est pas que conjoncturelle. Pour ce faire, Léhady Soglo dispose d’un argument valable qu’il a d’ailleurs commencé à asséner : l’opposition de la RB à la révision de la Constitution dans les circonstances actuelles. Cela suffira-t-il pour lui permettre de glaner les 15 sièges de députés qu’il envisage ? Revigoré par son alliance avec le parti Réveil patriotique de Janvier Yahouédéou, lequel, dans la 24è circonscription électorale (Covè, Ouinhi, Zagnanado, Za-Kpota, Zogbodomey) entend bien démontrer que l’échec de 2011 n’était qu’une parenthèse de l’histoire, mais pourrait bien profiter des appréciations positives qu’auraient les populations à propos de cette alliance RB-RP pour se propulser à nouveau à l’Assemblée nationale d’où il pourra peut-être conforter son ambition présidentielle. En tout cas, la RB pourrait bien connaître une embellie dans cette circonscription. Mais à l’échelle nationale, cela reste une autre paire de manche…
L’AND aussi
Parmi les listes dont les performances méritent d’être suivies, il y a aussi l’Alliance nationale pour la démocratie et le Développement (AND) de Valentin Aditi Houdé. Un des rares qui, depuis qu’il a osé tourner dos au président Soglo, a toujours réussi à se faire élire député, et qui ambitionne de créer un vaste regroupement politique incarné par l’AND. Mais il aura été aussi un des soutiens du chef de l’Etat, après l’avoir combattu un moment. Un soutien qui s’est tout de même révélé très tôt critique au point d’afficher des désaccords et de l'amener à refuser clairement d’intégrer les FCBE.
Pour Valentin Aditi Houdé, le challenge est donc de prolonger l’histoire en revenant comme membre de la 7ème législature. Et s’il parvient à glaner quelques autres sièges de députés, il marquera les esprits et pourra confirmer le bien que certains pensent de lui, au point de lui promettre un rôle de premier plan dans l’arbitrage de la présidentielle de 2016…
Les présidentiables
Eric Houndété dans la 5è (Allada, Kpamassè, Ouidah, Toffo, Tori-Bossito), Joseph Djogbénou dans la 16è (Cotonou Ouest), Robert Gbian dans la 7è (Nikki, Bembèrèkè, Sinendé, Kalalé) et Janvier Yahouédéou dans la 24è sont les présidentiables annoncés, engagés dans la compétition pour les législatives. Leurs résultats seront donc dignes d’intérêt. Dans sa circonscription, Eric Houndété aura particulièrement à en découdre avec la RB, les FCBE, et l’AND dont la tête de liste, Octave Houdégbé entend bien se révéler comme un homme de terrain. S’il a, certes, l’avantage d’être régulièrement élu dans cette circonscription, Eric Houndété sait sans doute qu’il faut se garder de crier victoire avant l’heure, et doit donc ferrailler ferme face au vénérable candidat Houdégbé.
Quant à Joseph Djogbénou, sa position de 2è titulaire ne lui confère pas d’office la qualité de député. Mais dans cette circonscription où RB, FCBE et UN se partageront probablement les 5 sièges en jeu, il peut espérer, avec du travail et une certaine désaffection pour les FCBE qu’il entend provoquer chez les populations, que sa liste s’en sortira avec deux sièges, ce qui lui garantirait d’intégrer l’Assemblée nationale et de se faire une idée pratique de ce que peut être le combat politique.
Robert Gbian, dans cette 7è circonscription où 4 sièges sont en jeu, aura pour sa part, essentiellement, à en découdre avec les FCBE dont la liste est ici conduite par le ministre Théophile Yarou. Si pour le général à la retraite l’élection semble acquise, ce qui intéressera davantage, c’est le score que l’alliance Soleil fera dans cette circonscription. Un partage égalitaire des sièges avec les FCBE ou même 3 contre 1 au profit de sa liste sonnera comme une bonne entrée en matière et lui donnerait du relief. Une légitimité qui pourrait bien servir sa cause. Mais un score rachitique qui le verrait sauver son seul siège, apparaîtrait comme une contre-performance, un défaut d’ancrage politique. Mais il peut compter sur les tauliers comme Djibril Mama Débourou, son suppléant, pour le travail de mobilisation. Pour lui donc, ce sera comme un référendum local pour attester de sa légitimité à aspirer à la succession de Boni Yayi…
Quant à Nassirou Bako Arifari, en alliance stratégique avec les FCBE, dans sa première circonscription (Kandi, Malanville, Karimama), son adversaire principal sera celui de l’alliance Soleil, Issa Salifou. Si, du fait de ses responsabilités, le ministre a certainement perdu prise sur le terrain, au point qu’on se demandait si avec sa seule liste Amana il réussirait à se faire élire comme il y a quatre ans, le modus operandi trouvé avec les FCBE est de nature à lui garantir une élection sans fioritures. Suffisant pour ensuite prétendre à une quelconque légitimité pour embrasser la présidentielle ? Pas si sûr.
En ce qui concerne Janvier Yahouédéou, qui ne fait non plus mystère de son ambition de siéger à la Marina, ces législatives constituent un bon test. Lui qui, seul, avait glané 17.000 voix dans cette circonscription, qui ne suffirent pas à le propulser au palais des Gouverneurs à Porto-Novo, devra maintenant prouver que son ambition présidentielle n’est pas démesurée. Le résultat, s’il est concluant, sera cependant bémolisé par l’apport de la RB, qui pourra lui opposer que son élection n’est pas le fait de son poids intrinsèque…
Enfin, Léhady Soglo, dans la 16è, face aux FCBE et à l’UN, aura à convaincre de la justesse de la ligne politique de son parti, de 2011 à récemment, et espérer que les électeurs le comprennent. En tout cas, en deuxième position après ‘’maman’’ Rosine, il lui faudra faire gagner au moins deux sièges à sa liste pour gagner le pari de se faire élire député, même si on sait qu’il ne siégera probablement pas. Moins de deux sièges pour la RB, dans la 16è, serait un échec évident et mettrait quelque peu en doute sa légitimité à envisager la présidentielle.
En attendant, pour les uns et les autres, le plus important, c’est de se faire élire député…