La Nation Bénin...
Le
professeur Aubain Godjo, jurisconsulte et spécialiste des marchés publics,
évoque dans cet entretien, les sanctions appliquées aux Personnes responsables
des marchés publics (Prmp). Il plaide pour un allègement des mesures
répressives qu’il juge disproportionnées par rapport aux fautes
professionnelles commises, souvent involontaires.
Professeur Godjo : Je vous parlerai des grands défis de ce secteur très sensible et en même temps d’un bref aperçu de son évolution dans le temps. Ce secteur consomme une grande partie du budget de l'État, après les salaires. Il est aussi fortement exposé à la corruption, rendant la transparence budgétaire difficile sans une organisation rigoureuse. C’est pourquoi certaines institutions sous-régionales et internationales ont mené des analyses sur les systèmes de marchés publics dans plusieurs pays, dont le Bénin. Le rapport a relevé plusieurs lacunes, notamment un Code des marchés publics qui ne respectait pas les normes internationales et une absence d'organes de régulation adéquats. À l’époque, une commission relevant du ministère des Finances gérait le système, mais ses membres étaient souvent juge et partie.
En
réponse aux recommandations, une structure dédiée a été créée, mais elle
restait sous la tutelle de l’Inspection générale des finances, avec ses propres
insuffisances. Un atelier national a ensuite réuni les acteurs publics, privés
et de la société civile pour élaborer une feuille de route, menant à la réforme
de 2009 du Code des marchés publics, réajusté en 2017 sous le régime de la
Rupture. Malgré les progrès, des problèmes persistent, et le code a encore été
modifié en 2020, bien qu’il ne soit pas encore parfait.
Les sanctions actuelles dans les marchés publics ne sont pas directement prévues dans le Code des marchés publics, mais dans le nouveau Code pénal qui inclut des infractions comme la corruption. Ce code pénal réprime aussi les interactions financières avec des agents publics. C'est cette législation que les magistrats appliquent aujourd'hui. En plus, l’autorité de régulation applique des sanctions prévues par ses textes, telles que des suspensions pouvant aller jusqu'à cinq ans, entraînant la perte d'emploi pour de nombreux contractuels. Cependant, certaines décisions de cette autorité ont été contestées devant la Cour suprême, qui a jugé certaines d’entre elles comme des abus de pouvoir, soulignant un problème dans le système.
Un exemple concret concerne un maire qui a acheté 16 motos en plusieurs tranches trimestrielles, justifiant cette approche par une mauvaise compréhension du Code des marchés publics. Bien que son intention ne soit pas frauduleuse, il a été accusé de "saucissonnage", une pratique interdite. L’erreur ici réside dans sa méconnaissance des règles, puisqu'il aurait pu réaliser un marché global et ajuster les modalités de paiement en fonction des crédits disponibles. Ce cas illustre que la répression, dans certains cas, n’est pas adaptée et qu’un renforcement des capacités des acteurs des marchés publics serait plus bénéfique que des sanctions systématiques et parfois injustes.
Le Code des marchés publics de 2020 n'est pas parfait. Par exemple, l'organe de régulation doit souvent émettre des circulaires pour guider les acteurs sur des dispositions difficiles à appliquer. Cela soulève la question de savoir si cet organe a vraiment l’autorité pour interpréter la loi via des circulaires. Il y a là un problème, car la loi devrait primer sur ces notes circulaires. Malgré ces lacunes, l’organe de régulation joue son rôle en donnant des avis et en soutenant les acteurs du système. Cependant, la mise en œuvre du code est imparfaite, et les acteurs ne l’appliquent qu’avec difficultés.
L’approche
choisie par l’organe de régulation est celle de la répression, parfois sévère.
Bien que ce soit une politique publique assumée, cette répression semble
injuste dans certains cas même s’il faut reconnaitre certains dérapages de la
part des acteurs. Prenons l'exemple des fautes professionnelles : si un
électricien commet une erreur, il est soumis à des sanctions disciplinaires. En
revanche, un agent des marchés publics, pour une faute mineure, peut se
retrouver face à une sanction pénale. Il y a ici une confusion entre faute
professionnelle et faute pénale. Ce traitement rigide des agents des marchés
publics mérite d’être revu pour éviter des sanctions disproportionnées des
agents de la fonction publique pris globalement.
Le secteur des marchés publics est l’un des plus contrôlés, avec une chaîne de régulation bien définie : organes de régulation, de contrôle et de passation. Chaque action de l’organe de passation est soumise à vérification avant d’être validée, et cette supervision peut parfois poser problème. Par exemple, un ministère a validé un marché qui a ensuite été contesté, entraînant une réunion d'urgence avec plusieurs institutions, y compris le président. Cette situation a conduit à des sanctions, non seulement pour l'organe de passation, mais aussi pour ceux chargés du contrôle.
L’organe
de régulation a mis en place des mesures correctives, comme l’affichage des
avis d’appels d’offres dans plusieurs lieux publics pour plus de transparence.
Auparavant, certaines Prmp affichaient les avis tardivement, limitant ainsi la
compétition. Désormais, ces avis doivent également être publiés à la
préfecture, à la mairie, et à la Chambre de commerce. Ces initiatives montrent
une volonté de réguler efficacement le système, mais des dérapages persistent.
En dépit des améliorations, il est nécessaire d’évaluer l’application de la politique publique dans les marchés publics. Une évaluation permettrait de déterminer les gains et les pertes, et d'apporter les corrections nécessaires pour un meilleur fonctionnement du système.
C’est un secteur délicat et il faut l’avouer, il arrive que les Prmp soient confrontées à des pressions. Mais elles ont souvent les moyens d'agir, et tout dépend de leur personnalité et de leur vision à long terme. Par exemple, il est arrivé alors que j’étais en fonction que mon supérieur hiérarchique me demande de contourner une procédure pour passer un marché et j'ai insisté sur le respect des règles, en demandant un processus approprié. Ce qui montre que l'ignorance n'est pas toujours la cause des erreurs. De nombreux agents dans les marchés publics commettent des erreurs non intentionnelles, souvent par méconnaissance des textes légaux.
Le
renforcement des capacités est essentiel pour améliorer la performance des
acteurs et réduire les fautes. Beaucoup de défaillances observées dans le
système sont dues à un manque de formation ou de sensibilisation aux lois en
vigueur. Un exemple courant est l'ignorance des règles sur les conflits
d'intérêts: des membres de commission continuent de siéger alors qu'ils ont des
relations avec des soumissionnaires, sans savoir qu'ils doivent se retirer.
Le
système doit évoluer vers une meilleure professionnalisation. Il est aussi
important de doter les organes de contrôle des moyens adéquats pour accomplir
leurs tâches, car le volume de travail dépasse souvent leurs capacités. Enfin,
une révision globale du système, accompagnée de réformes, est nécessaire pour
éviter que les acteurs ne se retrouvent dans des situations délicates et pour
améliorer la gouvernance.
Je ne veux pas absoudre les Prmp et entreprises adjudicataires. Certains sont responsables des fautes commises. Une fois qu’ils acceptent un poste, ils doivent respecter leurs obligations. Toutefois, il est essentiel de bien évaluer la faute, qu’elle soit intentionnelle ou non. Prenons l'exemple du maire qui a acheté des motos en plusieurs tranches. Il n'y avait pas une mauvaise intention, mais une méconnaissance des règles. L’erreur dans l'appréciation de ce type de faute peut entraîner des sanctions injustes.
J'ai
travaillé avec le Bureau d’analyse et d’investigation (Bai) et une fois, j'ai
été appelé pour éclaircir une situation à la Brigade économique et financière
(Bef). Cela montre que parfois, les acteurs du système ont simplement besoin de
conseils pour éviter des erreurs. Beaucoup d'agents de la chaîne des marchés
publics sont placés sous mandat de dépôt, puis relâchés faute de preuves
suffisantes. Cela pose la question : est-ce la meilleure solution ? Plutôt que
d’incarcérer systématiquement, ne pourrait-on pas les poursuivre sans mandat de
dépôt, puisque ces agents ne sont pas des fugitifs potentiels ?
Il
serait pertinent de marquer une pause pour évaluer l'impact de cette politique
publique. Le régime de la Rupture a entrepris de nombreuses réformes, mais
certaines sanctions devraient être réexaminées pour s'assurer qu'elles soient
justes et efficaces, en tenant compte des réalités du terrain■