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Réhabilitation du lac Ahémé et ses chenaux: L’amorce de la résurrection d’un fleuron économique en péril

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Lac Ahémé Lac Ahémé

Le Programme intercommunal de réhabilitation du lac Ahémé et ses chenaux a pris corps avec le dragage pilote du carrefour critique de Djondji-Houncloun. Si les résultats de la restauration amorcée du complexe fluvio-lagunaire se font déjà sentir sur le terrain, les attentes des populations riveraines restent grandes.


Par   Claude Urbain PLAGBETO, le 20 févr. 2024 à 05h54 Durée 7 min.
#Réhabilitation du lac Ahémé et ses chenaux
Sur les rivages de l’océan Atlantique, de la Porte du Non-Retour à Djondji, commune de Ouidah, le ballet de camions rime avec un tourbillon de poussière en ce temps brumeux d’harmattan. A hauteur du village de Mêkô, au bord de cette portion de la Route des pêches sommairement rechargée, se dressent majestueusement des dunes de sable oblitérant la vue panoramique sur mer.
L’extension de ces collines de sable témoigne de toute l’énergie déployée par l’entreprise chinoise China Harbour Engineering Company Limited (Chec) ayant eu la charge du dragage pilote du carrefour critique de Djondji-Houncloun.
Le Programme intercommunal de réhabilitation du lac Ahémé et ses chenaux (Pira) a ainsi pris corps. Quelque 750 000 m3 de sable sont obtenus à partir du dragage hydraulique et mis à la disposition de l’Etat pour les grands travaux, renseigne Martin Gbèdey, directeur général de l’Agence pour le développement intégré de la Zone économique du lac Ahémé et ses chenaux (Adelac). Les travaux officiellement lancés en janvier 2022 sont globalement à terme et en instance de réception, se réjouit-il.
Cette première phase a permis de réhabiliter environ 208 hectares sur le plan d’eau avec une profondeur moyenne de 6 à 7 mètres par endroits. Le site de dragage concerne les villages de Djondji dans l’Atlantique, de Houncloun (arrondissement d’Avlô, commune de Grand-Popo), de Mèkô dans la lagune côtière de Ouidah et s’étend à Docloboé dans la lagune de Grand-Popo et au hameau de Hata dans le chenal Aho.
Sur le site, un reboisement de mangroves est fait sur 12 hectares. Des cocotiers sont mis en terre sur des bas-fonds rechargés notamment à Gonkô, ainsi que des arbres devant servir de bois de chauffe autour du plan d’eau. Des réserves biologiques sont réalisées pour servir à repeupler le lac.
Des ouvriers en pleins travaux de finition de la passerelle reconstruite à Mêkô pour le grand bonheur des riverains 
Deux passerelles en matériaux précaires sont reconstruites en matériaux définitifs, l’une à Mêkô et la seconde à Hata. A cela, s’ajoutent quatre embarcadères / débarcadères érigés en matériaux plus solides et confortables respectivement dans les villages de Mèkô, Djondji, Houncloun et Gonkô.
Ouf de soulagement

« Il s’agit d’un projet exclusivement financé sur le budget national pour un peu plus de 22 milliards F Cfa pour cette phase pilote », informe le directeur général de l’Adelac.
« C’est un acte historique, un acte majeur, car aucun gouvernement n’a été aussi loin dans le financement de la bathymétrie dans un lac dans notre pays », salue Jean-Placide Agbogba, chef de l’arrondissement d’Agbanto, président de la Commission de l’Environnement de la Communauté des communes des lagunes côtières (Cclc), établissement public de coopération intercommunale (Epci) qui rassemble les communes de Grand-Popo, Comè, Ouidah, Kpomassè et Abomey-Calavi.
Le démarrage du dragage du lac Ahémé et de ses chenaux est salué par les populations Xwla, Xwéla, Saxwè et autres qui partagent ce complexe fluvio-lagunaire au sud du Bénin. Le général de division à la retraite, Félix Tissou Hessou, ancien ministre, ressortissant de Guézin, village riverain du lac, se veut reconnaissant au gouvernement et particulièrement à l’ancien ministre Pascal Irénée Koupaki, natif de la rive Est du lac (Kpomassè) qui en a fait son cheval de bataille et a procédé au lancement des études de faisabilité en 2012. « C’est un rêve qui commence à se réaliser parce que depuis l’enfance, nos parents se plaignaient de l’ensablement du lac, surtout après l’érection de la route-digue (2,6 km) sur la Route inter-Etats n° 1 Cotonou-Lomé qui empêche l’écoulement normal des eaux », laisse-t-il entendre. Il ne cache pas sa joie et son enthousiasme face au travail « remarquable » abattu, tout en espérant que le gouvernement puisse disposer des moyens adéquats pour exécuter les prochaines phases dans un délai raisonnable.
« Le dragage a été bien fait ; les pêcheurs en profitent déjà et espèrent que les prochaines saisons pluvieuses seront davantage fructueuses », apprécie Cyprien Aziahounkoui, chef du village de Mèkô-Plage (arrondissement de Djègbadji, commune de Ouidah). Les travaux ont permis de donner du travail à beaucoup de jeunes au chômage, qui ne sont plus obligés d’aller en aventure en Côte d’Ivoire, au Congo, au Gabon, à la recherche de zones de pêche plus favorables, assure-t-il. « De même, enchaîne-t-il, les salicultrices trouvent leur compte parce que le dragage a fait sortir du sel en quantité et avec la fermeture des trous à poissons sur le site, certaines d’entre elles ont intensifié la production de sel iodé et en jouissent jusqu’à présent. »
Des espèces réapparaissent  

Le carrefour critique du plan d’eau de migration des espèces halieutiques de la mer vers la lagune étant libéré, la navigabilité est plus aisée et la productivité s’en ressent. « Il y a de plus en plus de poissons et les gens viennent même d’ailleurs pour pêcher », admet Cosme Akakpovi, pêcheur à Djondji. « Seulement, c’est profond et nous avons du mal à pêcher. Donc, nous pouvons dire qu’ils ont fait du bon travail», poursuit-il, tout en souhaitant que le bassin soit davantage élargi.
« On trouve des capitaines de 25, 30 et même 40 kg aujourd’hui », confirme son compère Romain K. Dansou, tout heureux de ce regain d’activité.
Mieux, des espèces halieutiques qui se faisaient rares commencent à pointer leurs museaux. « Il y a de plus en plus des poissons que nos parents avaient pêchés et qu’on n’avait plus retrouvés depuis longtemps, comme le capitaine, la carpe rouge (Ayantô en langue locale) et le silure blanc (Kokotoè) », note Morel-Inès Aziahounkoui, habitant de Mèkô.
Le même constat est fait le long du chenal Aho. « Nous trouvons Ayantô et Azalou houminton qu’on ne voyait plus qui apparaissent de plus en plus», confie René Mensah, pêcheur à Nazoumè, arrondissement d’Agbanto, commune de Kpomassè. Son compagnon Claude Lawson, président des jeunes du village, confirme cet état de choses, mais signale l’envasement du cours d’eau suite au dragage pilote. Un comblement qui perturbe les habitats des poissons et des autres espèces aquatiques, soutient-il.
En revanche, au niveau de Grand-Popo, les effets du dragage ne sont pas encore perceptibles. « On n’a pas encore noté une amélioration de la pêche ici », laisse entendre Benoît Tossou, chef sous-zone de pêche de la commune. « Il faudra déboucher l’embouchure qui est comblée pour que les activités de pêche continentale soient plus florissantes », estime-t-il, espérant que la prochaine phase du dragage prendra en compte l’estuaire et les localités voisines.
Le président de la Commission de l’Environnement de la Cclc partage cet avis. « La question principale, c’est de faciliter la circulation hydrologique de la mer vers le grand bassin, car le lac est nourri par 60 % d’espèces d’origine marine. On ne peut réhabiliter le lac sans ouvrir le canal », fait savoir Jean-Placide Agbogba