La Nation Bénin...
L'Afrique, berceau de l'Ubuntu où résonne l'écho
puissant du principe "Je suis parce que nous sommes", se trouve à un
carrefour crucial de son histoire. Malgré ses richesses culturelles et ses
ressources abondantes, le continent peine à établir une gouvernance publique
véritablement au service de tous.
Pourquoi
cette difficulté persiste-t-elle ?
La réponse réside peut-être dans la nécessité de rétablir les fondements traditionnels de l'autorité et de l'Ubuntu au sein de nos structures politiques et gouvernementales.
Dans
la sagesse intemporelle du terme latin "Autoritas", nous découvrons
une essence qui transcende la simple notion de pouvoir coercitif.
"Autoritas" évoque le respect, l'influence et le prestige qui
découlent non seulement de la position d'une personne, mais de la qualité de
son caractère, de sa sagesse et de son intégrité. C'est dans cette conception
de l'autorité que réside un parallèle frappant avec les principes fondamentaux
de l'Ubuntu, où le bien-être de la communauté prime sur les intérêts personnels.
Le
terme "Ubuntu" provient de la langue bantoue, qui est parlée par de
nombreux groupes ethniques en Afrique subsaharienne. Il est souvent traduit par
"je suis parce que nous sommes". La philosophie Ubuntu enseigne que
nous sommes tous liés par notre humanité commune et que notre bien-être est
intrinsèquement lié au bien-être des autres membres de la communauté. Cette
philosophie met l'accent sur des valeurs telles que le respect, la compassion,
la solidarité et la responsabilité collective. Elle promeut également un sens
profond de la communauté et de l'interconnexion, encourageant les individus à
agir dans l'intérêt du bien commun plutôt que de leurs intérêts individuels.
Bien
que le concept de Ubuntu soit profondément enraciné dans les cultures
africaines, il a également attiré l'attention et l'intérêt au-delà du continent
africain. Il a été étudié et discuté dans des contextes philosophiques,
sociologiques et politiques du monde entier, en raison de sa pertinence
universelle en matière de coopération, de justice sociale et de construction de
communautés harmonieuses.
Mais
comment pouvons-nous rétablir cette harmonie entre Autoritas et Ubuntu au sein
de la politique et de la gouvernance en Afrique ?
Voici
cinq actions audacieuses pour ouvrir la voie à une nouvelle ère de
leadership-service et de gouvernance :
1.
Valoriser les sagesses ancestrales : Il est temps de puiser dans les réservoirs
de sagesse que nos ancêtres nous ont légués. Réintégrons activement les
enseignements et les pratiques des cultures traditionnelles dans nos processus
décisionnels contemporains. Par exemple, les méthodes de résolution de conflits
anciennes, telles que la médiation communautaire, peuvent compléter
efficacement les procédures légales modernes.
2.
Promouvoir des exemples de leadership Autoritas-Ubuntu où service rime avec
sacrifice (ou don de soi) : Redéfinissons ce que signifie être un leader en
mettant en avant des modèles de leadership qui incarnent les valeurs de
l'Ubuntu. Les programmes de formation des dirigeants devraient intégrer des
principes de leadership inspirés des modèles traditionnels africains, mettant
en avant l'humilité, le service et l'intégrité. Car un vrai chef se distingue
non par sa position, mais par son dévouement à sa communauté.
3.
Renforcer les structures communautaires : L'union fait la force. Soutenons et
renforçons les structures communautaires traditionnelles qui favorisent la
participation collective à la gouvernance. Des assemblées villageoises ou des
conseils consultatifs peuvent être des forums puissants pour impliquer les
citoyens dans les décisions qui les concernent directement.
4.
Cultiver l'intégrité et le respect mutuel : L'éducation est la clé du
changement. Lançons des programmes éducatifs et des campagnes de
sensibilisation qui mettent en avant les valeurs d'intégrité, de respect et de
responsabilité collective. En enseignant ces valeurs dès le plus jeune âge,
nous pouvons façonner une génération de citoyens engagés et éthiques, prêts à
transformer leur société.
5.
Encourager la justice restaurative : Prenons le chemin de la guérison plutôt
que de la vengeance. Inspirons-nous des pratiques de justice restaurative
présentes dans de nombreuses cultures africaines, où l'accent est mis sur la
réparation du tort, la réconciliation et la restauration des relations. En
favorisant le dialogue et la réparation, nous pouvons reconstruire les tissus
sociaux déchirés par les conflits.
En
réhabilitant ces aspects essentiels d'Autoritas-Ubuntu au sein de la
gouvernance publique, l'Afrique peut forger un modèle de leadership qui allie
la richesse de sa tradition culturelle à la dynamique de son présent et de son
avenir, au service du bien commun.
Or, le leadership est peu enseigné en Afrique
En effet, comparée à d'autres régions du monde, l'Afrique compte moins d'institutions et de curricula dédiés spécifiquement au leadership. Cette disparité peut s'expliquer par plusieurs facteurs dont les deux ci-après.
Héritage
colonial : Les systèmes éducatifs africains ont souvent été conçus à partir des
modèles éducatifs occidentaux introduits pendant la période coloniale. Ces
modèles ont mis l'accent sur des disciplines académiques spécifiques au
détriment de la formation au leadership et à la gouvernance.
Priorités
de développement mal comprises : Dans de nombreux pays africains, les priorités
de développement ont souvent été axées sur des besoins plus immédiats tels que
la santé, l'éducation de base et le développement économique. Les programmes de
leadership, quand ils existent, ont été relégués au second plan. C’est
probablement l’une des causes fondamentales et structurelles de la persistance
du mal-développement des pays africains.
Pour remédier à cette situation, plusieurs mesures peuvent être prises :
1. Investissement dans l'éducation au leadership basée sur Autoritas-Ubuntu : Les gouvernements, la société civile et le secteur privé peuvent investir davantage dans le développement de programmes de formation au leadership intégrant les principes d'Autoritas-Ubuntu. Cela peut se faire à tous les niveaux de l'éducation, en commençant par le cercle familial, puis à l'école primaire jusqu'aux niveaux universitaire et professionnel, en mettant l'accent sur le service, l'humilité et l'intégrité dans le leadership.
2.
Renforcement des institutions existantes en accord avec les valeurs
d'Autoritas-Ubuntu : Il est important de renforcer les institutions existantes
qui offrent déjà une formation au leadership, en les alignant sur les valeurs
d'Autoritas-Ubuntu telles que le respect mutuel et le service désintéressé.
Cela peut se faire en fournissant un soutien financier et technique, ainsi
qu'en favorisant la collaboration et le partage des meilleures pratiques entre
ces institutions.
3.
Intégration du leadership basé sur Autoritas-Ubuntu dans les curricula
existants : Plutôt que de créer de nouvelles institutions, le leadership basé
sur Autoritas-Ubuntu peut être intégré dans les curricula existants dans les
domaines de l'éducation formelle et non formelle. Cela peut se faire en
développant des modules de leadership qui incorporent les principes
d'Autoritas-Ubuntu, mettant l'accent sur la responsabilité collective et la
compassion envers les autres.
En
prenant ces mesures, l'Afrique peut progresser vers une culture du leadership
dynamique et inclusif fondée sur les principes d'Autoritas-Ubuntu, contribuant
ainsi à son développement économique, social et politique dans un esprit de
solidarité et de respect mutuel.
Un
message à nos chefs africains en guise de conclusion :
Alors
Chef, pour que tu sois grand, il n'est pas nécessaire de rendre les autres plus
petits ; bien au contraire. Il s’agit d’aider les autres à grandir afin que
nous puissions grandir ensemble pour atteindre de nouveaux sommets de
prospérité et de paix. Osons embrasser cette vision audacieuse d'une Afrique où
Autoritas et Ubuntu se conjuguent pour créer un avenir radieux pour tous ses
fils et ses filles.
Luc GNACADJA Président de GPS-Development
Ancien
Ministre
Ancien sous-secrétaire général des Nations Unies