La Nation Bénin...
Les audiences ont démarré à la Cour spéciale des affaires foncières, lundi 15 mai dernier. Instituée par la loi N°2022-16 du 19 octobre 2022 portant création, organisation et fonctionnement de la Cour spéciale des affaires foncières, cette nouvelle juridiction a une compétence territoriale bien délimitée et une compétence matérielle exclusive.
« Il est créé au sein de l'organisation judiciaire, une cour spéciale des affaires foncières. La Cour spéciale des affaires foncières est une juridiction spécialisée ». Ainsi énoncés, les deux premiers articles de la loi N°2022-16 du 19 octobre 2022 portant création, organisation et fonctionnement de la Cour spéciale des affaires foncières (Csaf), apportent d’entrée des précisions sur la nouvelle juridiction qui a ouvert ses portes lundi dernier. A la lettre de ces deux articles, il se dégage que, primo, la Csaf s’incruste dans l’organisation judiciaire du Bénin et donc sous la Cour suprême qui reste la juridiction de dernier ressort, et secundo, la Csaf n’est pas à considérer comme une juridiction de droit commun mais une juridiction spécialisée. Ce qui la rend spéciale, ce n’est pas sa prédominance sur d’autres juridictions mais c’est plutôt l’exclusivité de sa compétence matérielle sur un territoire bien délimité. Les deux articles qui suivent, notamment les articles 3 et 4 viennent davantage mettre la lumière sur ce qui rend spéciale la nouvelle juridiction. « La cour spéciale des affaires foncières connait : des actions réelles immobilières ; des actions relatives à l'expropriation pour cause d'utilité publique. Toutefois, le contentieux des actes administratifs relatifs au foncier reste de la compétence du juge administratif. La cour spéciale des affaires foncières a pour ressort territorial les communes ci-après : Abomey-Calavi, Allada, Cotonou, Ouidah, Porto-Novo, Sèmè-Podji et Tori-Bossito ». Tel qu’il est signifié dans la loi, la cour spéciale des affaires foncières a une compétence exclusive sur 7 communes. A ce niveau, il convient de faire quelques clarifications pour éviter tout amalgame. Victor Fatindé, président de la Csaf a d’ailleurs explicité l’étendue et les limites de la compétence de la Cour spéciale des affaires foncières, à l’occasion de l’ouverture de la première audience de l’institution, lundi 15 mai dernier. La Csaf a une compétence stricte sur les sept communes que sont Abomey-Calavi, Allada, Cotonou, Ouidah, Porto-Novo, Sèmè-Podji et Tori-Bossito et qui sont composées au total de 61 arrondissements et de 716 villages et quartiers de ville. Cela voudra dire que le Tpi d’Abomey-Calavi perd sa compétence en matière foncière sur la commune d’Abomey-Calavi mais continuera à connaître des dossiers relatifs au foncier dans la commune de Sô-Ava qui est sous sa compétence territoriale. Le Tpi d’Abomey-Calavi continuera à enrôler les contentieux fonciers à Sô-Ava, et ce, même s’il est question d’actions réelles immobilières. Il en est de même pour le Tpi de Ouidah qui perd sa compétence en matière foncière sur les communes de Ouidah et de Tori-Bossito mais qui la garde sur la commune de Kpomassè relevant de son territoire… Par ailleurs, la Cour d'appel de Cotonou reste la juridiction de deuxième recours même en matière foncière pour les juridictions de première instance sous son ressort territorial et qui ont connu de dossiers fonciers dans les communes de leur compétence, exception faite des sept communes prises en compte par la Csaf. La compétence territoriale étant élucidée, il convient de s’intéresser à la compétence matérielle.
Les matières attribuées
à la Csaf
La compétence matérielle de la Cour spéciale des affaires foncières est double. En premier, les actions réelles immobilières. Faut-il le rappeler, une action réelle est une action par laquelle l’on demande la reconnaissance ou la protection d’un droit réel, d’un bien. On parle d’action réelle mobilière lorsque l’action porte sur un meuble ; et d’action réelle immobilière lorsqu’elle porte sur un immeuble. Les actions réelles immobilières sont de plusieurs ordres. Entre autres, l’action en revendication pour réclamer le respect de son droit de propriété ; les actions en bornage qui permettent de délimiter les terrains, parcelles...; les actions portant sur les droits réels principaux démembrés du droit de propriété dont les actions en matière de servitude et en matière d’usufruit ; et les actions qui portent sur les droits réels accessoires en l’occurrence les actions relatives au droit de suite, au droit de préférence… La deuxième matière de la Csaf, ce sont les actions relatives à l’expropriation pour cause d’utilité publique (Ecup). L’Ecup est une procédure par laquelle la puissance publique porte atteinte au droit de propriété en dépit de son caractère « inviolable et sacré » afin d’obtenir par le biais d’une cession forcée, le transfert à son profit d’un bien immobilier. La mise en œuvre de cette expropriation est légalement conditionnée par l’obligation du paiement d’une indemnité « juste et préalable » à l’exproprié ; et la finalité de l’expropriation doit être la réalisation d’un objectif d’utilité publique. La procédure d’expropriation comporte généralement deux grandes phases : la phase administrative (déclaration d’utilité publique, arrêté de cessibilité) et la phase judiciaire qui ne peut avoir lieu qu’après la phase administrative. La phase judiciaire, qui est désormais confiée à la Csaf, porte généralement sur le transfert de propriété et la fixation des indemnités par voie judiciaire à défaut d’accord amiable entre l’autorité expropriante et l’exproprié. Qu’il s’agisse de l’un ou l’autre de ces deux matières, la Csaf ne connait pas du contentieux des actes administratifs relatifs au foncier qui reste sous la compétence du juge administratif.
Un dispositif professionnel
Pour sa première session lancée lundi dernier, et qui a été ouverte dans l'une des salles d’audience de la Cour d'appel de Cotonou, la Cour spéciale des affaires foncières a programmé une dizaine de dossiers. Victor Fatindé, président de la Csaf, a insisté sur trois principes que se donne la juridiction pour bien remplir sa mission : rigueur, méthode et efficacité dans le traitement des dossiers.
« Nous irons en profondeur pour examiner chaque dossier. Toutes les parties seront informées à temps afin de prendre part aux audiences. Nous irons lentement, sûrement mais efficacement en menant toutes les diligences nécessaires afin d’éviter d’avoir à faire face à des contentieux relatifs à la non-opposabilité d’une décision de justice », promet le président Victor Fatindé. Il assure que l’on n’assistera pas à des renvois de dossiers de longue durée, car l’institution entend faire preuve de célérité. La jeune juridiction doit prendre en charge les litiges fonciers pendant devant les tribunaux de droit commun qui coiffaient les sept communes qui sont désormais sous sa compétence territoriale. Par conséquent, les dossiers en instance ont été transférés à la Csaf et sans compter les nouvelles affaires foncières sur sa compétence territoriale qui sont directement enrôlées par la Csaf ! Le défi est grand . La Csaf a été créée pour assurer la célérité et le professionnalisme dans le traitement des contentieux liés au foncier dans certaines communes où la problématique est importante. « Malgré les innovations du Code foncier et domanial, notamment en matière de gestion du contentieux, force est de constater que la problématique de l’insécurité foncière demeure et représente un risque potentiel de trouble à l’ordre public, autant qu’un frein à l’investissement public et privé. En effet, les lenteurs procédurales, la défiance des justiciables à l’égard des juges et les incertitudes des solutions jurisprudentielles sont autant de facteurs aggravant le phénomène et auxquels s’ajoute souvent la remise en cause de l’autorité des décisions de justice en la matière. Sont particulièrement concernées par cette situation préoccupante, les communes de Porto-Novo, Cotonou, Abomey-Calavi, Ouidah, Tori-Bossito, Allada et Sèmè-Podji », avait relevé le gouvernement dans le conseil des ministres en sa séance du mercredi 11 mai 2022. La tâche est donc immense et la mission sensible mais la Cour spéciale des affaires foncières pourra compter sur des magistrats rattachés spécifiquement à l’institution et sur la collaboration avec des structures et institutions spécialisées comme l’Agence nationale du domaine et du foncier mais aussi la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme dont le parquet exerce les fonctions de ministère public devant la Csaf. Aux termes de la loi, la Cour spéciale des affaires foncières a son siège à Cotonou. Mais elle peut, si elle le juge utile, se réunir en d'autres lieux relevant de son ressort territorial. En attendant d’avoir son siège, la Csaf a ses bureaux au Centre de documentation et d’information juridiques sis dans l’enceinte de la Cour d’appel de Cotonou ■