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Guides touristiques: Dans l’univers de ces diplomates cachés

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...de la destination Bénin est fort important... ...de la destination Bénin est fort important...

Plus qu’un artiste, le guide touristique peut vivre toutes sortes d’émotions dans l’exercice de son art. Une prestation sur un site ou un circuit requiert certaines qualités et une maitrise de la matière. A l’heure où un nouveau vent souffle sur la destination Bénin, les guides ne sont pas en marge des politiques publiques. Seront-ils au rendez-vous de l’histoire ?

Par   Arnaud DOUMANHOUN, le 05 juil. 2023 à 09h09 Durée 4 min.
#Guides touristiques
Martine de Souza épouse Guindéou, 33 ans de carrière, la soixantaine, porte toujours sa passion des premières heures pour le guide touristique, un métier appris aux côtés de son père, dans la cité historique de la famille « de Souza » de Ouidah, qui renvoie à un pan de l’histoire de la traite négrière. Elle raconte qu’au cours d’une visite de site, un pasteur venu des Etats-Unis, 75 ans environ, conduit par ses soins dans une plantation d’ananas à Savi, un arrondissement de la commune de Ouidah, s’est mis à crier : « Oh mon Dieu ! Qu’est-ce qui me fait dire que l’ananas pousse sur les arbres ? ». Un évènement qui l’a beaucoup amusée. Mais le guide touristique vit également des situations beaucoup plus délicates. « J’ai failli être giflée un jour par une noire américaine, quand elle a appris que j’étais de Souza, parce qu’elle a estimé que c’est mon arrière-grand-père qui a dû vendre son arrière-grand-père. Heureusement, j’ai esquivé…», confie-t-elle. Elle poursuit : « Les gens lui ont demandé de présenter des excuses, et elle a refusé, mais moi j’ai gardé mon sourire, je ne l’ai pas perdu. Voilà des qualités qu’il faut avoir en tant que guide… ». C’est dire que le métier de guide touristique est très exigeant. Prenant la mesure de la place qu’occupent ces acteurs dans la chaîne touristique, le gouvernement qui s’est engagé dans un vaste projet d’amélioration de l’offre touristique, afin de faire du secteur le second pilier de la croissance, a initié un plan de formation à l’endroit des professionnels.

Une personnalité, une nationalité 

Au total, 54 guides touristiques retenus par le ministère du Tourisme, de la Culture et des Arts, dans le cadre de la promotion de la destination Bénin, ont été formés en 2022, avec l’appui technique de l’Organisation mondiale du tourisme (Omt), au niveau de 5 pôles touristiques à savoir : Ouidah-Avlékété-Grand-Popo, Abomey-Dassa-Kétou, Nikki-Natitingou-Boukoumbé, Ganvié et Porto-Novo. « Il faut forcément avoir un background qui vous permet de vous exprimer face aux touristes. D’abord, il y a la langue, ensuite la culture générale et la culture spécifique, puis la connaissance de son pays…», a indiqué Martine de Souza. Selon Jean-Michel Abimbola, ministre du Tourisme, de la Culture et des Arts, les guides font partie intégrante de la chaîne de valeur d’une destination touristique. En contact direct avec les touristes, garants de l’image de la destination et de la perception qui sera gardée du pays, ils jouent un rôle crucial dans la qualité et l’enrichissement de l’expérience du touriste. « Lorsque vous avez un bon guide, tout de suite vous avez envie de revenir. Vous allez demander à vos amis de vous accompagner chaque fois et ainsi de suite… », a ajouté Atou Seck, représentant résident de la Banque mondiale au Bénin, lors du lancement de la formation des 54 guides touristiques. A en croire Jeanne Paule Gouvidé, guide touristique, les visiteurs n’ont généralement accès à aucune autre information que celles que leur servent les guides. C’est pourquoi, le guide devrait faire attention, apprendre, effectuer des recherches et disposer de vraies informations, et savoir interagir avec des personnes qui ne sont pas de sa culture. «Il faut dire aux touristes ce qui est vrai, parce qu’une personne à qui l’on fait visiter un site, peut être ambassadeur devant 
10 000 personnes. Aujourd’hui, il y a internet, et il peut avoir des milliers d’abonnés… », souligne Jeanne Paule Gouvidé. Aussi, relève-t-elle, la personnalité des touristes varie en fonction de leur nationalité.

Anticiper sur le flux

« Ce n’est pas la façon dont vous gérez un Français, que vous devez gérer un Américain. Et la majorité des clients ne vous diront pas qu’ils ne sont pas satisfaits. Ils ont appris à être des diplomates. C’est dans leur éducation. En Europe, il faut sourire même quand on n’en a pas envie, juste par politesse. Après, ils vont écrire leurs ressentis sur un site internet », explique Jeanne Paule Gouvidé. Le guide se doit d’avoir donc, une ouverture d’esprit, une bonne qualité relationnelle, le goût et la disponibilité pour les rencontres, la maîtrise du potentiel touristique de sa région, la capacité de parler plusieurs langues, une formation professionnelle adéquate. Du retour historique des biens culturels à la construction de grands édifices en hommage aux amazones ou aux dévoués de la patrie, en passant par la mise en œuvre d’une douzaine de projets touristiques pour le second quinquennat de Patrice Talon, le Bénin s’affirme comme une destination privilégiée. Mais l’amélioration de l’offre touristique passe aussi par la qualité des ressources humaines, ce qui est indispensable pour gérer le flux touristique qui s’annonce en raison des investissements consentis ces dernières années dans le secteur. « Je suis sûre de ma compétence, de la qualité de ma prestation, en conséquence, je suis exigeante en ce qui concerne mes tarifs. Si un collègue fait un circuit à 7 000 F par personne, j’exige 20 000 F et mes clients sont satisfaits, et préfèrent le faire à ce prix… », confie Jeanne Paule Gouvidé. La qualité du guide touristique est essentielle pour le rayonnement de la destination Bénin. Pour le ministre Jean-Michel Abimbola, disposer d’une main d’œuvre qualifiée et compétente est indispensable pour l’offre d’une expérience de séjour qualitative et différenciée. En dépit des années passées aux côtés de son père, et du bain linguistique au Ghana, Martine de Souza, l’ancienne guide animatrice du musée d’histoire de Ouidah, a suivi plusieurs formations qui lui ont permis de forger cette réputation qui fait d’elle, l’une des figures de proue dans le secteur. « J’ai une passion particulière pour ce métier parce que je rencontre tous les jours différentes personnes de différentes cultures. On s’évade à chaque moment », relève-t-elle. 

Des tensions au bout du circuit

Elle confie qu’un jour, alors qu’elle conduisait des volontaires du Corps de la paix, un groupe mixte, composé de Blancs et Noirs américains, les choses ont failli mal tourner. Après avoir fait la route des esclaves, relate-t-elle, la place aux enchères, l’arbre de l’oubli, et le Zomaï où les esclaves étaient gardés dans l’obscurité, la fosse commune, elle a observé que la colère montait dans le regard des Noirs américains, et des larmes coulèrent de leurs yeux. « Arrivée à la porte du non-retour, le groupe s’est scindé en deux. Les Blancs d’un côté, les Noirs de l’autre. Et quand je leur ai dit que nous irons à la plage au bord de l’eau, les Noirs ont dit carrément qu’ils n’iront pas avec les Blancs », explique la guide professionnelle. Elle ajoute : « J’étais avec ma fille. Elle s’est occupée des Noirs et moi des Blancs américains. Heureusement que cela n’avait pas dégénéré, parce qu’ils étaient vraiment en colère après avoir appris l’histoire. Ce sont des choses qui nous arrivent dans ce métier... ». A juste titre, le gouvernement insiste sur l’importance et la qualité des ressources humaines pour faire face aux flux touristiques et aux nouvelles exigences des clients, dès que le tourisme prendra son envol. En attendant, la Fédération nationale des guides de touristes du Bénin que préside Martine de Souza, s’active pour appuyer l’initiative qui consiste à renforcer les capacités des acteurs. « Nous faisons une programmation pour le recyclage de ceux qui exercent déjà le métier, et la formation de ceux qui y aspirent. Bientôt nous aurons des milliers de touristes, et s’il n’y a pas des guides avérés, assermentés, le tourisme est à l’eau. Les efforts du gouvernement seront vains. Le guide est l’ambassadeur, la vitrine de son pays face aux touristes », a insisté la présidente de la Fédération nationale des guides de touristes du Bénin.