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Interview de Marc Vizy, ambassadeur de France au Bénin: « Nous sommes dans une nouvelle logique de partenariat… »

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Entretien à bâtons rompus avec Marc Vizy, ambassadeur de France près le Bénin. C’est un diplomate d’aplomb qui accueille l’équipe de La Nation ce mercredi 13 juillet, veille de la fête nationale française dans ses bureaux de l’ambassade de France à Cotonou. Occasion pour notre hôte de jeter un regard sur l’état des relations entre les deux pays et d’évoquer les grandes lignes de la coopération dans un contexte marqué par la restitution des biens culturels béninois déportés en France. 
De la nature et de l’évolution de la coopération entre le Bénin et la France aujourd’hui, des enjeux sécuritaires dans la sous-région en particulier au Bénin et du rôle qu’y joue la France, Marc Vizy ne se livrera à aucune dérobade dans ses réponses, se prononçant somme toute d’un verbe mesuré, chose entendue et même attendue lorsque l’interlocuteur est un diplomate. 

Par   Kokouvi EKLOU, le 19 avr. 2023 à 13h42 Durée 5 min.

Marc Vizy : Tout d’abord, je voudrais vous remercier de m’avoir accordé cette interview juste avant la fête nationale. Je dirai que nos relations se portent bien parce que nous partageons les mêmes valeurs. Les valeurs, c’est notre devise : Liberté, égalité et fraternité. Le Bénin et la France ont eu longtemps un destin commun. Maintenant, chacun poursuit sa route mais les valeurs restent. Je crois que le fait que nous partageons les mêmes valeurs fait qu’on est plus aisé d’avoir de bonnes relations. Les relations mutuelles entre le Bénin et la France sont excellentes. Elles le sont d’autant plus qu’on a réalisé à la fin de l’année dernière de grandes choses ensemble dont la restitution des biens culturels.

Quelles sont les grandes articulations et nouveautés de ces relations ces dernières années ?

Ce qu'il est important de noter est que Bénin sait où il va. Il s’est fixé des objectifs et des priorités dans le Programme d’action du gouvernement 1 et 2 dont l’agriculture, les industries, l’agroalimentaire, l’énergie. La vision du Bénin et son développement séduisent. Donc pour nous, c’est plus facile d’articuler des actions de partenariat avec le Bénin, étant donné que la vision du partenaire est éclairée. C’est une nouveauté, côté béninois. Côté français, il y a eu un nouvel esprit depuis quelques années qui a été insufflé par le président Macron. C’est l’esprit de révolutionner l’Afrique-France. Nous ne sommes plus dans un système où les bailleurs de fonds décident de ce qui est bon pour leurs partenaires. Maintenant, nous sommes dans une sphère logique de partenariat. Le président Macron tient à ça, et il s’agit de définir ensemble ce que nous voulons faire. C’est aux Béninois de décider de ce qui est bon pour eux et nous, nous accompagnons si nous le pouvons. C’est vraiment une logique de partenariat. C’est ce qui caractérise notre nouvelle approche de partenariat pour le développement qui est d’ailleurs inscrit dans une nouvelle loi au mois d’août 2021 et qui a été adoptée par le Parlement en France.

Quel est l’agenda futur de ces relations ?

L’agenda futur de ces relations, c’est de continuer par nourrir ces partenariats entre la France et le Bénin et qui interviennent dans un grand domaine. Je pense que la France est un pays qui entretient divers partenariats avec le Bénin. Nous sommes partenaires dans le domaine de la sécurité, de la défense avec des actions de formation, de conseil, d’équipement. Tout ceci est très important dans le domaine de la défense. Dans le domaine de la sécurité intérieure aussi, nous avons des actions de formation avec la police sur la protection civile.
Probablement à la fin de ce mois, nous allons inaugurer ensemble une centrale solaire de 25 Mw qui a été financée par l’Agence française de développement et l’Union européenne et qui constitue les moyens dont le Bénin a besoin pour son développement énergétique. Il y a quelques semaines, nous étions avec Vinci Energies, l’agence française qui porte plus de 320 millions d’Euro de travaux partout à travers le Bénin. On a une entreprise française qui vient aussi créer 1 200 emplois dans le domaine de la relation client dans le centre de Cotonou. C’est du concret et on a plusieurs partenariats entre l’Université d’Abomey-Calavi et les grandes écoles françaises. Chaque année, on a des milliers de candidats béninois qui vont faire leurs études en France. On envisage de créer un deuxième lycée français parce que l’actuel lycée français au Bénin n’a pas les capacités suffisantes pour répondre à toutes les demandes. Il y a près 1 000 volontaires français qui viennent chaque année dans les Ong au Bénin pour faire des actions de développement, et on essaie de faire partir aussi des jeunes volontaires béninois qui viennent aussi nous aider en France parce que l’aide n’est pas dans un seul sens. On a trente collectivités locales françaises qui entretiennent des relations avec des communes béninoises pour les aider dans des projets et les relations humaines. Il y a aussi les recherches ; je suis allé visiter l’Institut de recherche clinique du Bénin où j’ai vu des chercheurs béninois et français qui apportent des avancées très concrètes sur le paludisme.

Vous avez beaucoup évoqué la défense et la sécurité. Quelles sont les nouveautés au regard des enjeux sécuritaires régionaux ?

Dans le domaine de la défense, nous avons fait évoluer notre partenariat, surtout depuis que les djihadistes ont attaqué le Bénin…

Vous avez parlé de djihadistes, est-ce qu’on a la certitude aujourd’hui qu’il s’agit d’un véritable mouvement de djihadistes ou doit-on parler de terroristes tout simplement, tat que les déterminants des attaques ne sont pas cernés ?

Ce sont assurément des terroristes. Et il y a plusieurs déterminants dont le manque de perspectives pour des jeunes à qui l’on miroite l’argent et qui s’appuient sur une sorte d’idéologie face à des personnes qui sont en manque de repères. La frontière entre terrorisme et djihadisme est assez proche.

Que marque de fondamental la restitution des fonds culturels dans les relations franco-béninoises ?

C’est un acte fondamental. C’est complètement la traduction d’un esprit de changement dans nos relations. Et c’est la concrétisation de la vision de deux hommes dont le président Talon qui a demandé en 2016 ces restitutions et le président Macron qui a trouvé l’importance de ces restitutions. Ce qui est fondamental est qu’on a fait les choses ensemble dans la confiance, le respect mutuel. La confiance, ça veut dire qu’on a eu à traiter des contraintes politiques qui ne sont pas forcément les mêmes en France et au Bénin. Ici, les autorités béninoises devraient expliquer à ceux qui étaient jusqu’au-boutistes que ce n’était pas la meilleure des solutions d’exiger que tout revienne en même temps. Il fallait leur expliquer plus amplement comment faire les choses sérieusement et dans le temps. Et puis chez nous, nos musées ont des budgets pour acquérir des œuvres, mais l’essentiel des œuvres, ce sont des dons et legs. Il fallait qu’on puisse expliquer à nos parlementaires et aux conservateurs des œuvres l’importance de la restitution des 26 œuvres. Ce qui est important est que les Béninois ont compris les contraintes des Français et vice versa. Aussi, on a travaillé dans la confiance d’un point de vue pratique. Tout le travail a été fait ensemble. Et cela a été un acte fondamental parce que ça a renforcé la confiance entre les deux pays.

Et quelle sera votre contribution pour donner suite aux attentes non encore satisfaites du Bénin à ce propos ?

Pour le président Talon, il est important que dans le mouvement de restitution, il puisse montrer aux Béninois qu’il ne concerne pas qu’une composante de la population béninoise. Donc, il a formulé d’autres demandes. Parallèlement, le président de la République française a chargé l’ambassadeur pour la Coopération patrimoniale internationale de rendre un rapport pour montrer comment on pourrait un peu fluidifier ces restitutions. Jusqu’à présent, pour chaque groupe de flux, il faut une loi. C’est un peu compliqué. Mais c’est justement parce qu’on ne peut contrevenir au principe d’inaliénabilité que par la loi. Donc, le président Macron a demandé à l’ambassadeur de réfléchir à d’autres formules de restitution. Le rapport vient d’être rendu et on peut imaginer que des mesures seront prises pour de possibles nouvelles restitutions.

Autrefois plus marquante, la présence de l'Union européenne (Ue) éclipse-t-elle l'empreinte de la coopération française moins visible de ce fait dans ce qui était considéré comme son pré carré ?
Moi je n’ai pas du tout le sentiment qu’on est éclipsé. Le partenariat franco-béninois est le plus complet des partenariats que le Bénin entretient avec d’autres partenaires. Nous avons le partenariat de défense, le partenariat de sécurité, le partenariat de coopération avec l’Agence française de développement qui intervient dans l’énergie, l’enseignement secondaire, l’enseignement universitaire, la formation professionnelle, la santé, etc. Tout cela fait 75 millions d’Euro de décaissement chaque année. C’est significatif. Il y a notre service coopération qui travaille sur les questions universitaires, du genre, de sports, de culture, il y a l’Institut français qui a une programmation à
85 % africaine et béninoise. Il y a le Cirad et l’Ifd, on a Campus France, on a le lycée français, on a France volontaires, on a toute une batterie d’opérateurs qui entretiennent ces partenariats et travaillent avec des Béninois. Je crois qu’on ne peut pas dire que nous nous éclipsons. Mais c’est vrai qu’aujourd’hui on travaille dans un état d’esprit « équipe d’Europe », ce qui fait qu’on se concerte. Par exemple, chaque mois, on (les ambassadeurs des pays de l’Ue accrédités au Bénin) se concerte entre ambassadeurs européens en poste ici, on travaille ensemble, on regarde nos programmes de coopération, on regarde un certain nombre de choses de nos actions, on essaye d’harmoniser notre action. Tout cela s’est traduit de manière très concrète dans la relation. Par exemple, il y a deux semaines, on a eu une longue matinée avec plusieurs ministres béninois où on a échangé sur tous les sujets. Donc, même les autorités béninoises se sont adaptées à cet état d’esprit. Début mai, par exemple, on est parti pendant quatre ou cinq jours dans le nord pour voir des projets européens, des projets belges, des projets allemands, des projets français, des projets néerlandais. Donc, il y a ce nouvel état d’esprit. On a décidé de travailler comme cela, ce n’est pas qu’on s’éclipse.

Les relations entre la France et les pays d’Afrique francophone sont de plus en plus chahutées sur le continent. Quelle lecture la diplomatie française fait de ce phénomène et quelle perception en avez-vous au Bénin ?

Les relations entre la France et les pays d’Afrique francophone, par l’histoire, sont trop lourdes ; par définition, c’est le plus lourd. Quand on est dans certains pays où les choses fonctionnent mal, où les gens sont malheureux ou vivent mal, les choses se détériorent, et le premier bouc émissaire, c’est nous ; c’est la première chose. Deuxième chose, si un régime est moins populaire, traverse une crise de popularité, comme nous sommes ceux qui travaillent plus avec les Etats, nous sommes targués de soutien au régime. Nous, nous travaillons avec un pays pour sa population et nous sommes bien obligés. Nous n’allons pas piétiner les autorités d’un pays, ce n’est pas possible. Il y a une autre raison, je trouve, c’est qu’en 2013, l’armée française est intervenue au Mali parce que les Maliens et même Bamako étaient menacés d’être envahis par les djihadistes. Il en a été décidé ainsi parce que ça représente une menace pour le Mali mais parce que si dans tout le sahel, des pays étaient contrôlés par des djihadistes, ce n’était bon pour personne. Mais le président français, à l’époque, avait décidé de le faire surtout parce qu’il avait en tête que pendant la deuxième guerre mondiale, beaucoup d’Africains sont venus nous aider à nous libérer du nazisme et donc, d’une forme de totalitarisme. Et il était important qu’en retour, les Français viennent aider ceux qui avaient payé le prix du sang pendant la deuxième guerre mondiale, pour les aider à se libérer d’une autre forme de totalitarisme qui est le djihadisme. Moi j’étais à l’époque, un proche collaborateur de l’ancien président donc, je sais que c’est l’une des raisons.
Cependant, on n’a jamais prétendu venir au Mali et dans les pays du Sahel pour résoudre, pour l’éternité, les problèmes de sécurité de tous les pays du Sahel. L’armée malienne au Mali devrait prendre le relais, on a fourni des formations, on a fourni des armes, et les Européens aussi, mais force est de constater qu’elle n’a pas pris le relais. La situation sécuritaire ne s’est pas véritablement améliorée, maintenant on nous fait porter le chapeau. Je ne sais pas ce qu’elle aurait été si les Français n’avaient pas été là. Et puis, il y a des Etats pour ne pas nommer la Russie qui ont décidé de dénigrer l’action de la France aux yeux de ses partenaires africains. Et nous, nous ne sommes pas naïfs, nous savons très bien qui paye combien à qui pour faire des usines à troll pour diffuser n’importe quels types d’infox sur la France. On a lu qu’il y a des bases françaises au Bénin. Vous en avez vu ? Il n’y en a pas et il n’est pas question qu’il y en ait. Il y a bien quelques militaires français qui viennent donner des formations au Bénin, il y a une poignée de coopérants qui aident dans l’armée béninoise, c’est tout. Il n’y aura pas de base française au Bénin. Et on diffuse ça et tout le monde y croit. On va expliquer que l’armée française est présente au Burkina Faso ou au Bénin pour exploiter les mines d’or. Ça doit faire peut-être 60 ans qu’il n’y a plus d’entreprises en France qui exploitent de l’or. Il n’y en a plus. Même en Guyane, territoire français, où il y a de l’or, ce sont les entreprises canadiennes qui y sont présentes. Donc, on raconte absolument n’importe quoi tout le temps, et ça c’est alimenté.

Des positions de plus en plus extrêmes marquent le paysage politique français aujourd'hui, portées par l'extrême droite et l'extrême gauche. Une telle tendance influence-t-elle la diplomatie française ? Si non, comment arrive-t-elle à tenir un cap qui ne cède pas à ses opinions émergées ?

En France, on a une Constitution qui est assez précise sur la répartition des compétences entre l’Exécutif et le Législatif. On a un président de la République, Emmanuel Macron, qui vient d’être réélu de manière très nette. Et il se trouve que c’est dans la Constitution du président de la République que relève le champ de la politique étrangère de la France. Même si c’est vrai qu’à l’Assemblée nationale on a des représentants d’extrême gauche ou droite, je pense que bien entendu, l’Exécutif est respectueux du Législatif, mais la Constitution est claire : c’est un peu chacun chez soi. Donc, la politique étrangère de la France elle est définie par le chef de l’Etat qui n’est d’aucun extrême comme vous savez.

Sous quel prisme lisez-vous les dynamiques politiques actuelles au Bénin ?

Le président Talon nous a reçus, nous les ambassadeurs européens il y a à peu près un mois et demi. On a tenu une très longue conversation avec lui sur la démocratie, sur la manière dont il voyait le régime politique idéal pour le Bénin, et lui, il a une vision claire. Le Bénin a une longue tradition démocratique et il pense que pour que le pays maintienne cette tradition démocratique, il faut essayer d’aboutir à des blocs de partis relativement réduits pour éviter que tout ça ne s’émiette. Il pense que c’est plus efficace pour le développement. C’est pour ça qu’il a prévu qu’en 2026, il y ait des élections générales, où on élise en même temps le président de la République, les députés et les maires, de manière que pendant la période d’au moins cinq ans, les gens travaillent ensemble, dans le même sens. C’est une vision des choses qui est tout à fait respectable. Ce qui est important, et je pense que c’est son souhait et il semble que c’est aussi le souhait de toutes les formations politiques actuellement, que les prochaines élections soient inclusives, transparentes et paisibles. Donc, je regarde l’actualité politique béninoise sous ce prisme-là. Je pense que les astres sont en train de s’aligner pour que ce vœu se réalise. Je pense que c’est le plus important pour le développement du Bénin.

Il est dit que le président Emmanuel Macron se rend bientôt à Cotonou, confirmez-vous l’information ?

Tout ce que je peux vous dire, c’est que c’est une hypothèse de travail effectivement mais tant que les deux présidents eux-mêmes n’ont pas annoncé la visite ensemble, ça reste une hypothèse de travail.

Avez-vous un message qui vous tient à cœur que vous voudriez partager ?

Le message qui me tient à cœur, c’est qu’on puisse continuer à travailler dans la confiance, de manière efficace ensemble