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Entretien avec le réalisateur Arcade Assogba: « Faire des films relève de plus en plus d’une gageure »

Culture
Arcade Assogba Arcade Assogba

Le pari n’était pas gagné d’avance. L’équipe de réalisation et de production, tout comme les acteurs, ont dû se ceindre les reins pour que le film « L’argile » soit une réalité. Le réalisateur Arcade Assogba revient ici sur le parcours peu ordinaire d’un film qui fait déjà parler de lui au-delà du Bénin. 

Par   Josué F. MEHOUENOU, le 31 juil. 2023 à 08h52 Durée 3 min.
#Arcade Assogba
La Nation : Que retenir de ce long métrage que vous venez de lancer comme votre premier cri de cinéaste ?

Arcade Assogba : Alors là, vous commencez en force. Rires. Je dirai que c’est effectivement un cri strident. Un phare lancé depuis les bords de l’Atlantique à Ouidah. Il s’agit par ce film de dire à la terre que nous Béninois n’avons pas cessé de rêver de cinéma, d’un cinéma qui nous ressemble profondément. Le récit aborde des sujets comme celui du retour des cerveaux en Afrique, l’amour et la famille. On y a mis d’importantes clés de lecture de la culture locale. Un phénomène comme celui du culte dédié aux jumeaux n’avait jamais été abordé au cinéma, par exemple, avant cette œuvre. Quelqu’un a dit que si l’on ne raconte pas l’Afrique, elle disparaitra. Moi je dis que ceux qui osent raconter le Bénin méritent d’être reconnus et salués. Ils sont nombreux à avoir accompagné ce projet de film. 

Mais pourquoi avoir attendu dix ans pour sortir ce film ?

Oui, c’est long. Mais quand on choisit de creuser ses propres sillons, loin des sentiers battus, hors de tout agenda imposé, on ne compte pas le temps, on tutoie l’intemporalité. Le soir de la première du film, Didier Nassègandé qui incarne le personnage de Radio Brouillée, confiait au public qu’il ne ressent pas avoir passé neuf ans depuis le tournage ; il disait qu’il n’a pas le sentiment d’avoir changé physiquement par rapport à son double à l’écran. Didier avait raison, le temps nous a épargnés de ses affres, je crois même qu’il a été notre meilleur allié en ce qui concerne ce film. Il y a aussi le fait que ce film est fait dans un désert cinématographique. C’est une expression consacrée. En Afrique francophone, faire des films relève de plus en plus d’une gageure. Le Bénin ne fait pas exception, malheureusement.

Justement, comment avez-vous réussi à financer ce film, à mobiliser autant de têtes d’affiche sans l’appui des pouvoirs publics ?

Vous savez, je dois dire que j’ai eu la chance d’avoir appris le cinéma auprès d’un cinéaste dont c’est un peu la réputation quand même. Jean Odoutan a souvent été présenté par la presse française comme le Jean-Pierre Mocky africain, celui capable de faire plusieurs longs métrages avec le budget d’un seul. Je me souviens du moment où il m’a proposé de me lancer dans une expérience de long métrage. Cela faisait plus de quatre ans que je suis sorti avec brio de l’Institut cinématographique de Ouidah, qu’il a créé. Je l’ai assisté sur son cinquième long métrage et participé en tant que premier assistant réalisateur aux films « Un pas en avant, les dessous de la corruption » de Sylvestre Amoussou et « Orillas » de l’Argentin Pablo César. Je rappelle que tous ces films, celui de Jean Odoutan y compris, ont été tournés totalement en scoop au Bénin, chose quasi impossible depuis lors. J’avais réalisé un court métrage avec mes collègues de l’Ico, et j’étais persuadé que le long métrage n’était pas dans mes cordes. Rien qu’à y penser, je refoule. Mais non, Odoutan s’est engagé à me faire lire des scénarios qu’il avait écrits afin que nous nous lancions dans le projet de me faire faire ce long métrage qui m’intimidait à ce point. L’écriture de l’Argile est sortie donc de ce remue-ménage opéré dans la réserve de son scénariste, producteur et conseiller technique. Nous faisions du footing tous les matins tout en faisant le point sur ce qu’il a écrit la veille. En même temps, à une étape donnée, c’est en courant les matins que nous avons identifié les lieux de tournage dans des coins authentiques de Ouidah que nous parcourions comme des explorateurs d’un type particulier. 

Finalement, vous vous êtes bien débrouillés !
 
Après, il a fallu compter sur ses propres finances et ceux du seul véritable mécène sur qui je savais pouvoir compter, Ousmane Alédji. Plusieurs fois, je suis retourné vers ce dernier pour annoncer que l’argent qu’il m’avait donné était terminé. Sans hésiter, le grand frère sortait son chéquier alors qu’il n’en attendait rien en retour. Croyez-le, j’ai une bonne tête comme on dit en fongbé (Rires). A l’époque, la direction de la cinématographie s’était lancée dans la production d’un long métrage. Sa ligne de conduite a été de dire que tous les cinéastes devraient se joindre sur ce film. On était en 2014. Nous autres de Ouidah, appartenons à l’Argile, notre contrée bien aimée avec laquelle nous faisions corps. Notre école, c’était de créer avec nos propres têtes et nos muscles. J’ai réussi à convaincre un monde d’excellents artistes et de techniciens qui en voulaient. Monsieur Claude Balogoun m’a confié à titre gracieux une caméra Sony Z7 et des rails de type moderne qu’il venait d’acquérir. De trois semaines de tournage nous sommes passés à cinq mois. Bref, l’histoire autour du film est un véritable roman dans lequel tout n’est pas rose. Mais au final, nous sommes fiers d’avoir fait l’impossible grâce à des Béninois d’une extrême intelligence. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, je leur suis éternellement reconnaissant. 

Et vous avez réussi à drainer toutes ces grandes figures du monde artistique béninois dans une telle mission ? 

Comme vous le dites. Je m’étais rapproché des plus grands parce qu’un véritable grand artiste est comme le personnage Motolari d’une pièce de théâtre de Camille Amouro. Quelqu’un dont le nom signifie « je sais lire l’avenir ». Le pompon, c’est la participation du professeur Roger Gbégnonvi. Il s’était engagé tout de suite. C’est ma meilleure amie qui avait favorisé le contact. Pour ceux qui ont vu le film en salle le mercredi 19 juillet, il s’agit d’un véritable hommage à lui rendu après son décès intervenu une semaine jour pour jour avant le lancement officiel du film. Quand je vous disais que les artistes sont ceux qui lisent l’avenir, en douteriez-vous encore ? Puisse-t-il reposer en paix dans le creux de l’argile de Ouidah. J’en profite pour saluer également la mémoire de feu Grégoire Noudéhou qui était également avec nous sur ce film. Faire son premier long métrage avec une personnalité de son rang, élève de Joseph Kpobli avec lequel il a conçu des décors pour Sembène Ousmane, Abderrahmane Sissakou et Saint Pierre Yaméogo, c’est juste extraordinaire. 

Seriez-vous prêt à reprendre un film dans les mêmes conditions ?

Notre fougue et notre détermination ont pu nous permettre de surmonter les nombreux obstacles qui ont pu se dresser sur notre chemin dans le cadre de la production de ce film, c’est vrai. Et comme vous le savez, jeunesse n’est pas éternelle. Il faut espérer que nous avons fait nos preuves et qu’il est temps qu’une industrie cinématographique se mette véritablement en place dans notre pays. Cela fera faire un grand bond au milieu culturel et à l’image du pays tout entier.