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«Etha contest» d’Habib Dakpogan: Chronique pour un changement de comportement

Culture
Par   Josué F. MEHOUENOU, le 11 mars 2016 à 05h25

Habib Dakpogan n’aurait pas trouvé meilleure période pour publier son dernier ouvrage «Etha contest». Huit nouvelles croustillantes symptomatiques des intrigues politiques qui se sont jouées sous nos cieux ces dernières années. La satire sociale y trouve aussi son compte.

«Etha contest» de Habib Dakpogan s’ouvre sur «Un piège à cons». Une partie endiablée au cours de laquelle des collaborateurs assez proches du président Touchaud Zopiapia expose les manœuvres nuisibles dont ils se font les chantres et cela au détriment de la population de la cité imaginaire de Capharnahou. De la séance chez le Bokonon (diseur de sort) où des ministres se surprennent d’avoir en commun les mêmes féticheurs en passant par les séances peu catholiques organisées avec l’aide de ces prêtres, l’auteur draine le lecteur dans l’une des actualités de ces derniers mois au Bénin : les concours frauduleux. Devenus trop «gannan gannan» pour ne pas attirer l’attention sur l’intelligence subite reconnue à certaines ethnies qui curieusement sont celles d’où proviennent certaines autorités haut perchées.

Fort heureusement, ces situations peintes par l’écrivain qui s’est arrogé dernièrement le prix du président de la République «ne sont que pures coïncidences avec toute éventuelle situation réelle». C’est sans doute ce qui lui donne du cran et l’autorise à grandir dans l’imagination pour partager avec ses lecteurs certaines réalités des couloirs du pouvoir comme par exemple le rapport avec l’argent. Certains traits ministériels développés à foison au Bénin ces dernières années apparaissent aussi entre les lignes de «Etha contest». C’est ainsi qu’on découvre entre autres des "applaudisseurs" attitrés, rieurs professionnels surtout quand rien n’est drôle, promoteurs du salut japonais, louangeurs imperturbables, empereurs de la génuflexion…
Cette balade au cœur de la réalité au sommet de l’Etat imaginaire, l’auteur l’étale sur de nombreuses pages et le lecteur s’en délecte à travers un style limpide et très ironique, surtout lorsqu’il se demande «comment devenir utile à un poste inutile» ou encore lorsqu’il aide les ministres de son ouvrage à compter le nombre de messes de remerciement et d’actions organisées, ou encore le nombre de kilomètres parcourus lors des marches de soutien. L’ironie s’installe davantage lorsque Touchaud Zopiapia le président règle ses comptes avec certains de ses ministres dont il évalue les performances avant de s’en débarrasser.

Satire socio-politique

Derrière le piège à cons, c’est «Mariam Dicoh» qui se pointe. Une vingtaine de pages vite lues qui balaient quelques réalités du quotidien des citoyens. Les scènes sont partagées entre la rue, les bureaux, l’administration, fait un bref détour sur les flics monnayeurs de jetons et quelques autres personnages rencontrés çà et là. On aurait pu considérer «Etha contest», la nouvelle qui emprunte son titre à l’ouvrage comme une «atteinte aux bonnes mœurs», au regard de l’apologie qui y est faite de l’alcool. Mais l’auteur, semble-t-il, était plutôt dans une démarche pédagogique. Les noms des acteurs qui y officient suffisent pour se convaincre de la forte dominance alcoolique de cette nouvelle qui fait une place de choix à Dehan, Djoguétchédo… On apprend par exemple entre les lignes que l’alcool ronge, ruine et tue les microbes. Mais l’homme, il ne le tue pas. Car, si tel était le cas, Djoguétchédo lui ne serait plus sur terre. Puisqu’il est doté de ce qu’Habib Dakpogan appelle le «savoir-boire». Ce personnage qui doit certainement exister dans bien de contrées du Bénin est peint comme un expert de la boisson. Une personne ressource tellement expérimentée sur le front alcoolique, qu’il a fini par convenir de la juste mesure de son extase. Au détour des matchs alcooliques amicaux qui permettent de dégager les « prix Nobel» de la boisson, l’«Etha contest» se révèle et on en sait davantage sur lui. L’auteur a su peindre ici encore, la vie dans certaines contrées qui n’ont pour principal point d’attraction que des virées alcoolisées et a su remettre à l’endroit, ces pseudo-combats entre jeunes qui se livrent à des compétitions de meilleurs cuitards et autres. Le quartier «Waterpolo», choisi comme lieu du crime dans cette nouvelle est à l’image de nombreux autres qui dans la réalité, accueillent les scènes décrites avec humour, satire et figures de style par l’auteur.
Des exutoires alcooliques, Habib Dakpogan tire son lecteur par le bout du nez et le fait atterrir sur la planète moderne des «amoureux communicationnels». La nouvelle met en vedette Yann. Bel homme comme le décrit l’auteur. Pour un «Rendez-vous unique», s’en était vraiment un. Et Melissa la jeune «amoureuse» a dû avant de voir le désiré Yann et comme c’est bien le cas ces jours-ci, skyper et whatsapper longtemps. Des jours et des nuits de messages pour se partager «bébé je te kiffe», «je te surkiffe», «Tu es kinda», «On va se faire une teuf balèze malade» et mille autres SMS dans ce genre, devenus des primordiaux indiscutables, réseaux sociaux obligent avant les rendez-vous galants. Et comme les histoires du virtuel sont ce qu’elles sont, le rendez-vous tant attendu se révèlera un bon fiasco hyperbolique. Et si après cette nouvelle, l’auteur s’est donné une pause en allant à l’assaut de «Le centième discours», cela n’aura duré que le temps de caricaturer les messages pompeux servis au peuple, bien souvent pour l’endormir plutôt que pour autre raison. Avant de plonger à nouveau sa plume dans les intrigues amoureux. Visiblement, Habib Dakpogan lui-même y prend son pied. A compter et à conter les histoires de maîtresses mal aimées, d’amantes mal servies, ou encore d’épouses cocufiées. Dans son «Etha Contest», les exemples sont légion.

Changement de comportement

De «Madame Matrix à «Moi, moitié de moitié», on le voit un peu dans une toge d’avocat. Même s’il évite d’appuyer sur l’accélérateur, le seul fait de s’attarder sur le sort, la situation, les intentions et le vécu des maîtresses de certains hommes suffit pour comprendre que l’auteur plaint les épouses dociles dont les maris trop fidèles, ne peuvent se passer d’une seconde vie de couple. Souvent bien plus succulente, en tout cas à leur entendement et à laquelle, il y apporte fantasme, énergie, foi et engagement. Ouvert sur «Un piège à cons» et refermé sur «Un problème de pain», le recueil de nouvelles «Etah Contest» paru aux Editions plurielles et germé par le génie littéraire de Habib Dakpogan est une belle satire sociopolitique qui se laisse lire. Huit histoires, huit intrigues les unes aussi intéressantes que les autres. Mais il faut y voir aussi une chronique littéraire qui appelle à un changement de comportement individuel et collectif. Car, même s’il est resté muet sur ce pan, l’auteur n’a pas voulu qu’ironiser et amuser son lecteur. La dose fumante de plaisanteries qu’il a logée entre les lignes de son troisième ouvrage est l’illustration grandeur nature de son appel au changement. Changement, non pas comme certains l’ont prôné, mais sans doute authentique. Raison pour laquelle il s’est attardé sur l’inconséquence politique et tout ce qui va avec. Fort heureusement, il s’y prend tellement bien entre humour et satire ! «Etha Contest» est le troisième ouvrage de l’écrivain Habib Dakpogan après « Partir ou rester, l’infamante république» et «PV, salle 6»?