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Kinkinhoué : Le benjamin des musées du Bénin appelle à l’aide

Culture
Par   Josué F. MEHOUENOU, le 28 oct. 2015 à 11h02

Dernier-né des musées du Bénin, le musée régional de Kinkinhoué dans la commune de Djakotomey, loin de bénéficier de l’attention qu’on accorde aux benjamins, végète dans un désintérêt doublé d’actes de vandalisme. Au lieu d’être un joyau, il est promis à une mort lente si rien n’est fait.

Si l’accès au musée régional de Kinkinhoué était aisé, si le visiteur pouvait trouver des repères sans être obliger, tous les dix mètres, de s’arrêter pour demander son chemin, cela constituerait sans doute un mal de moins parmi les multiples maux qui étouffent l’émancipation du tout dernier des musées du Bénin. Mais hélas !

Pourtant, la difficulté d’accès est loin d’être la seule gangrène de ce lieu de culture. Il faut finalement parvenir à se repérer, à s’introduire sur le site, pour se rendre à l’évidence. Le mal est bien plus profond.
Sur les lieux un seul agent, contractuel affecté sur place à la suite des derniers redéploiements de personnel administratif affecté au ministère en charge de la Culture. C’est lui qui, d’un air distrait, reçoit les rarissimes visiteurs. Il les accueille dans un français approximatif avant de les remettre aux mains du conservateur. Lui, heureusement, est une tête bien faite et semble connaître son musée. Seulement, au lieu de vanter le centre dont il a la charge, il accueille ses hôtes avec des jérémiades. Mais visiblement, Moubachirou do Régo n’a pas le choix. Responsable des collections muséales et affecté depuis un an et demi à Kinkinhoué pour assurer les charges de conservateur, l’homme s’échine. Il a du mal à offrir la visibilité qu’il mérite à ce musée régional, censé aider les peuples Adja-Tado et Yorouba du Bénin à contempler leur passé.

Un joyau délaissé

«Ce musée a été ouvert au public le 7 juin 2014 par les ministres en charge de l’Environnement et de la Culture. L’objectif est d’en faire un musée populaire, un musée de civilisation, un musée enraciné dans la société… son histoire est un condensé du passé des cultures Adja- et Yoruba… C’est un lieu de mémoire de la période coloniale du Sud Bénin, une vitrine de la civilisation de l’ère culturelle Adja…» Les mots pour dépeindre son musée ne manquent pas au conservateur. A l’écouter, on se ruerait sur ce lieu. Et c’est là que se trouve tout le contraste. Les trois hectares sont presque vides. Les bâtisses, réhabilitées, ont abrité par le passé les résidences du chef canton Essou, de ses épouses et ses enfants. Actuellement deux salles d’exposition accueillent quelques-uns des objets du chef canton retrouvés après son décès. Ils constituent les seules richesses du lieu.
Son premier responsable assure que d’autres objets du chef sont aux mains de ses descendants. Ils pourraient lui parvenir sous peu, les négociations se poursuivent. Au-delà de ces objets, Moubachirou do Régo entend donner au musée son caractère régional et populaire. Des actions auraient été initiées avec la collaboration de la direction départementale de la Culture et la direction du Patrimoine culturel à Cotonou pour collecter d’autres objets liés à l’histoire et à la vie de cet homme. Cette opération, selon le conservateur, s’étendra aux communes des départements du Mono-Couffo. Sur ce chantier, des avancées notables ont été déjà enregistrées, note-t-il, avec satisfaction. Le gain sera bénéfique pour la commune de Djakotomey, localité hôte du musée. Les autorités locales se sont engagées pour que l’opération de collecte porte ses fruits.

Un musée «torturé» par la population

Le plan de développement communal (PDC) troisième génération de la commune prévoit de faire une place de choix à la valorisation du musée et du patrimoine culturel en général dans la commune, assure le secrétaire général de la mairie de Djakotomey, Ludovic Houèdé. Il reconnaît que les deux PDC précédents n’ont pas suffisamment pris en compte la question du patrimoine. Il rappelle l’engagement du nouveau conseil communal qui, ayant inscrit la valorisation du patrimoine au cœur de son action, a visité le musée, le lendemain de son installation. Cette occasion en or, le conservateur des lieux ne l’a pas raté. Il a exposé sa longue liste de doléances aux autorités.
Pour le secrétaire général de la mairie de Djakotomey, l’administration communale n’ignore pas la part de responsabilité qui lui revient dans la promotion et la valorisation de ce musée. Par le passé, argumente-t-il, il aurait fallu que les rôles de chaque acteur soient clairement définis pour permettre une répartition des tâches. «C’est nous qui abritons le musée et nous avons intérêt à tout faire pour qu’il ait une certaine notoriété et qu’il puisse recevoir des touristes. Pour l’économie locale, promouvoir l’art et la culture passe par la visibilité du musée », insiste-t-il.
Le secrétaire général, comme le conservateur, déplore les actes de vandalisme répétés sur les installations et sur l’édifice du musée. Pour lui, il ne faut pas y voir un relâchement de la mairie. «Le musée fait trois hectares et on ne peut pas demander au conservateur d’assurer lui-même le gardiennage», poursuit Ludovic Houèdé. Pourtant, en l’absence de toute autre solution et pour préserver l’édifice qui ne dispose ni de toilettes, ni d’électricité, encore moins du moindre point d’eau, le conservateur assure qu’il n’hésiterait pas à troquer à la nuit tombante, ses attributs de gardien contre ceux de gardien de nuit. Pour lui, c’est la seule manière de contenir l’incivisme grandissant des habitants. Une double peine pour le conservateur qui, en plus de faire face à un désintérêt de la part de la population, se voit contraint de jouer les épouvantails la nuit, pour chasser les voleurs.

Des statistiques écœurantes

Il est clairement évident que les musées du Bénin, en tout cas ceux qui sont publics sont peu fréquentés. Le musée de Kinkinhoué n’échappe pas à la règle. Et manque de pot, le benjamin souffre davantage de cette situation. Au cours de l’année 2015, son taux de fréquentation est très bas. Un ou deux visiteurs par mois, s’attriste le conservateur en présence de son collaborateur qui l’appuie d’un geste de tête.
Il égraine les chiffres. En janvier 2015, une seule personne lui a rendu visite. En février, il y en avait six dont trois Béninois. Au mois d’avril, deux étrangers y sont passés alors que le mois précédent, les deux maîtres des lieux n’ont vu personne. Au mois de mai, 32 scolaires y sont passés grâce à une action destinée aux établissements d’enseignement secondaire. Les mois suivants, la tendance est resté la même avec une moyenne d’un visiteur par mois. Cette situation, le conservateur, dépité, l’explique surtout par la sociologie du milieu. Il note que le patrimoine n’est pas la tasse de thé locale. Conséquence, le village artisanal érigé à grand frais, près du musée est abandonné, sans le moindre occupant.
Dans cet océan de tristesse, une note de joie pourtant : le site web. Un touriste étranger qui a découvert les lieux l’a offert pour répondre au cri de détresse du conservateur. Reste à savoir si cette fenêtre ouverte sur le monde va attirer des visiteurs à Kinkinhoué.