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Panégyriques claniques à l’ère de la modernité: Un patrimoine culturel immatériel sous-estimé

Culture
Les panégyriques claniques sont reconnus pour leur efficacité dans  diverses situations, en l’occurrence dans le maintien de la paix Les panégyriques claniques sont reconnus pour leur efficacité dans diverses situations, en l’occurrence dans le maintien de la paix

Identité culturelle, les panégyriques claniques, appelés « akô » en fon et « oriki » en Yoruba, sont reconnus pour leur opportunité et leur efficacité dans diverses situations. Mais, dans les grandes villes du Bénin comme Cotonou, les jeunes en savent peu et n’en mesurent pas la valeur.

Par   Pierre FASSINOU (Stag.), le 24 août 2023 à 09h20 Durée 3 min.
#Panégyriques claniques
Chantés comme des louanges, les panégyriques sont totalement étrangers à beaucoup de jeunes, comme Jean Akouvi. Apprenti mécanicien, il n’en sait presque rien. « Je ne connais pas mon panégyrique parce que je n’ai jamais entendu mes parents déclamer cela, bien que j’ai grandi au village », confie-t-il. Son défi, c’est de pouvoir se rattraper pour se construire une identité. «J’aimerais bien le connaître, car cela fait partie de notre culture. Je pense d’ailleurs faire un tour chez mes parents au village pour en savoir davantage », ajoute-t-il avec un air rassurant. Josué Mensah, élève en classe de Terminale, est dans le même cas. Il ignore aussi son panégyrique clanique. « Le panégyrique, c’est la voisine qui est à côté de mon appartement qui le chante à ses enfants. Sinon en vrai, je n’ai jamais entendu mes parents dire des choses du genre », lance-t-il, peu intéressé par le sujet. Originaire d’Abomey, Naomi Bagbonon est plus ouverte à sa culture, en dépit de la modernité. Elle s’essaie à mémoriser son panégyrique mais ne parvient pas encore à retenir l’intégralité. 
« Le panégyrique clanique est un facteur d’identification culturelle dont se servent les chercheurs pour retrouver les origines. En clair, il rapproche les uns des autres et peut être un élément de cohésion sociale », explique Amour Binazon, historien.  Pour lui, le panégyrique clanique est non seulement un vecteur de brassage socioculturel, mais a également une grande importance pour tout individu, car les réalités sociétales font appel à ces paroles délicates et pleines de sens. Dans les familles royales où la tradition est une religion, l’on assiste à une sorte de déification du panégyrique. La question est prise au sérieux de sorte que certaines lignées s’assurent de sa transmission, en bonne et due forme, à leurs descendants. Amour Binazon en donne l’utilité : « Pour calmer son mari mécontent, une femme peut lui réciter son panégyrique. Elle le récite également au bébé lorsqu’il pleure, pour le calmer, le dorloter et le faire revenir à de meilleurs sentiments. Il y a une force terrible là-dedans. Cela devient en quelque sorte un calmant », soutient l’historien. A l’en croire, l’unanimité est faite autour de l’importance du panégyrique clanique. « En notre temps, le panégyrique clanique nous permettait de nous identifier entre collectivités, partout où nous nous retrouvions. Ainsi, vous récitez votre panégyrique pour qu’on identifie rapidement votre collectivité afin de vous orienter vers votre grande famille. Voilà, entre autres, une utilité du panégyrique clanique chez nous», relève Amour Binazon. Il se désole du fait que le panégyrique clanique ne soit pas transmis de génération en génération, perdant progressivement sa sacralité. 

Valeurs didactique et romantique

Dans les sociétés à tradition orale, indique Aikpo Paul, acteur culturel, la parole joue le rôle de canal de transmission du savoir au sein de la communauté. C’est à travers elle que les anciens lèguent des connaissances à la postérité. Ces connaissances sont exprimées par le biais d’éléments culturels tels que : les proverbes, les contes, les chansons, les légendes, les litanies… Avec certains amis engagés pour la cause de la restauration du patrimoine culturel immatériel, Aïkpo Paul a choisi de réfléchir sur les litanies (ak?`). « Nous nous sommes rendu compte de ce que la plupart des jeunes ne connaissent plus grand-chose de leur panégyrique familial. Même à Abomey, chez les Fon, seules certaines personnes âgées (m?´xoxo´) et en particulier les femmes ancrées dans la tradition, détiennent assez d’informations sur les ak?`mlamlà », constate Aikpo Paul. A son avis, la litanie dans la communauté africaine a une valeur didactique dans la mesure où elle permet de s’instruire. On l’emploie pour exprimer certaines vérités. Elle permet ainsi d’attirer la sympathie. Il est évident qu’on peut s’en servir pour déclarer son amour à quelqu’un ou lui faire connaître ses sentiments. C’est ce qui justifie sa fréquente exécution, surtout par les vedettes des musiques traditionnelles telles que Alokpon, Gangnon, Gbétchéou, qui s’en servent dans leurs « wan yiyi hàn » (chansons d’amour) afin de se faire plus proches de la personne à qui la chanson est dédiée.