La Nation Bénin...
La Charte africaine des valeurs et
des principes de la décentralisation, de la gouvernance locale et du
développement local était au cœur des discussions menées par les participants à
la troisième cohorte de l’Ecole africaine de la décentralisation (African
school on decentralisation) qui s’est déroulée du 3 au 15 septembre dernier à
Addis-Abeba en Ethiopie. Membre de l’effectif ayant participé à ces assises,
Stanislas Hounkanlin, directeur du Plaidoyer de l’Association nationale des
communes du Bénin (Ancb) explique les contours de ce document dont la
ratification et la mise en œuvre par les Etats contribueront à consolider la
gouvernance locale.
La Nation : Vous êtes de la
troisième cohorte de l’Ecole africaine de la décentralisation. Quel a été le
sujet principal de cette initiative ?
Stanislas Hounkanlin : Le
programme est conduit par l’Université de Cape Town en Afrique du Sud en
partenariat avec l’Université d’Addis-Abeba. L’édition de 2023 a connu la
participation d’une trentaine d’acteurs de la décentralisation venus d’une
vingtaine de pays africains. Ces praticiens et spécialistes de divers
backgrounds ont pendant deux semaines partagé leurs expériences mais aussi
leurs visions des modèles de décentralisation adaptés aux réalités des pays du
continent. La rencontre a permis d’examiner sous différentes perspectives les
processus de décentralisation mis en œuvre aussi bien dans les pays
francophones qu’anglophones. Au cœur de l’édition 2023 de l’Ecole africaine de
la décentralisation, la Charte africaine des valeurs et des principes de la
décentralisation, de la gouvernance locale et du développement local adoptée le
27 juin 2014 à Malabo en Guinée équatoriale.
Que comprendre par la Charte
africaine de la décentralisation ?
La Charte africaine des valeurs et
des principes de la décentralisation, de la gouvernance locale et du
développement local est une initiative de l’Union africaine qui est intervenue
dans un contexte de (re)centralisation extensive de la gouvernance publique
avec à la clé une délivrance de services inadaptés aux besoins des populations
et une insuffisance de transparence et de redevabilité de la part des pouvoirs
publics.
La Charte énonce un certain nombre
de principes phares (13 au total) dont l’objectif fondamental est de promouvoir
la décentralisation, la démocratie locale, la bonne gouvernance locale et le
développement local. Elle mise sur une volonté accrue des pays membres de faire
avancer la décentralisation sur le continent.
Le Bénin fait partie des huit pays ayant ratifié à ce jour la Charte. Il faut encore 15 ratifications avant qu’elle ne soit déclarée entièrement en vigueur. La Commission de l’Union africaine, à travers ses structures spécialisées, continue de sensibiliser les Etats membres afin qu’ils signent et ratifient ce document qui constitue un outil d’orientation et de cadrage des Etats dans la marche vers l’expérimentation ou le renforcement de la décentralisation. Ce document contient des ressources pertinentes pour les gouvernements centraux mais aussi pour les organisations et institutions infranationales qui, de leurs positions respectives, doivent travailler à l’effectivité de la participation des populations à la base aux processus de prise de décision.
Visiblement, c’est un document peu
connu. Pourquoi il en est ainsi ?
Effectivement, cela fait bientôt
dix ans que la Charte a été adoptée mais elle n’est pas très connue en dépit
des initiatives de sensibilisation et de vulgarisation mises en œuvre jusque-là
par la Commission de l’Union africaine. Mais en réalité, la sensibilisation des
acteurs sur le contenu et les implications de la Charte ne devrait pas revenir
seulement à l’organisation continentale. Chaque Etat membre devrait conduire ce
chantier au plan national car la mise en œuvre de la Charte implique une
diversité d’acteurs à savoir toutes les parties prenantes de la
décentralisation dont les structures nationales, les services déconcentrés, les
gouvernements locaux, la société civile et le secteur privé dont le rôle est
aussi mis en exergue dans le document.
Où en est le Bénin dans sa
ratification et dans sa mise en œuvre ?
Il m’est difficile de répondre
avec précision à cette question. Néanmoins, en tant qu’observateur averti de la
vie sociopolitique en général et du secteur de la décentralisation, de la
gouvernance locale et du développement local en particulier, je constate que
notre cadre légal sur la décentralisation répond plus ou moins aux
préconisations de la Charte qui veulent que les lois et règlements
reconnaissent et protègent la décentralisation et les pouvoirs dédiés aux
autorités locales. Toutefois, il faut reconnaître que le Bénin pouvait faire
mieux en insérant dans la Constitution des dispositions plus explicites et plus
engageantes telles que le pourcentage ou le minimum à transférer aux communes sur
les revenus nationaux. L’Association nationale des communes du Bénin avait
conduit vainement une campagne dans ce sens. La faîtière des communes demandait
le transfert d’au moins 15 % des recettes de l’Etat aux communes, vu
l’importance des fonctions qui leur sont dévolues.
Par ailleurs, l’encadrement
institutionnel des communes doit être repensé afin d’éliminer les germes de
conflits qui émergent de ce qu’il convient d’appeler la superposition de deux
institutions tutélaires commises presque à la même mission. Après tout, on
comprend aisément que derrière certaines initiatives du gouvernement, se trouve
une recherche d’efficacité et d’efficience, deux mots clés inscrits en lettres
d’or dans la Charte. Le recrutement et le déploiement de cadres techniques
qualifiés dans les communes peuvent être perçus comme une remise en cause du
principe de la libre administration énoncé par le Code de l’administration
territoriale. Mais sous un autre angle, cette option du gouvernement central
s’insère clairement dans une logique d’amélioration de la performance des
administrations locales, qui est un objectif important mis en avant par la
Charte.
Quelles sont les perspectives pour
une mise en œuvre adéquate de cette charte ?
Il faut simplement souhaiter que
les efforts engagés par le gouvernement dans le sens de l’amélioration de la
gouvernance locale soient poursuivis. Et que tout en poursuivant ce rêve de
voir se construire des administrations locales efficaces dans la délivrance des
services publics locaux de qualité, il va falloir préserver les acquis
fondamentaux de la décentralisation.
En outre, le gouvernement doit
initier ou renforcer les actions de sensibilisation sur la Charte africaine des
valeurs et des principes de la décentralisation, de la gouvernance locale et du
développement local, qui doit inspirer les innovations apportées à la
gouvernance locale dans les 77 communes et au niveau national. Je voudrais
finir en souhaitant que tous, nous devenions des activistes de la
décentralisation, afin que la mise en œuvre du principe de subsidiarité
fortement préconisé par la Charte et qui ressort d’ailleurs clairement dans nos
lois et règlements nationaux puisse nous aider à réaliser la finalité de la
décentralisation qui n’est rien d’autre que l’amélioration des conditions de
vie des populations à la base?